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Nicolas Baverez : Les fractures du capitalisme

La sortie de la récession au printemps 2009 n’implique pas la sortie de la crise. Le désendettement du monde développé et la conversion du modèle économique de la mondialisation s’étendront sur dix à quinze ans. Durant cette transition, l’économie mondiale restera à la merci de chocs majeurs – contre lesquels il n’existe plus d’antidotes compte tenu de la dégradation des finances publiques et des bilans des banques centrales -, mais aussi de poussées protectionnistes ou populistes, comme la récente votation suisse contre les minarets.

La faillite de Dubaï, pivot entre la bulle passée de la dette privée et la bulle future de la dette publique, souligne que la normalisation des politiques économiques devra s’engager dès 2010. A défaut, les séquelles des interventions publiques s’ajouteront aux déséquilibres structurels de la mondialisation pour menacer d’implosion l’économie sous l’effet de six grandes fractures.

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Entre secteurs privé et public.

Sous l’effet de l’effondrement du crédit, les entreprises ont dû ajuster leurs capacités de production tandis que le recul de la demande restait limité du fait des politiques de relance. D’où une progression des gains de productivité et de la rentabilité du secteur privé, quand les Etats développés se trouvent confrontés à une explosion sans précédent de la dette publique qui dépassera 100 % du produit intérieur brut (PIB) à partir de 2012. Ce sont désormais les Etats qui portent les risques systémiques, non les banques ou les marchés.

Entre le monde développé et les pays émergents.

En raison des impératifs du désendettement, la croissance sera limitée à 1,5 % dans le monde développé au cours de la prochaine décennie, contre 6 % dans les pays émergents et plus de 8 % en Chine. Croissance molle et chômage permanent alimenteront les pressions protectionnistes, surtout si perdurent les dysfonctionnements du marché des changes, et ouvriront de vastes espaces au populisme démagogue.

Au sein du monde développé.

Les Etats-Unis ont effectué un choix clair en faveur de l’inflation pour favoriser une croissance supérieure à 2 %, la décrue du chômage et le désendettement. Le Japon se trouve plus que jamais enfermé dans la déflation. Cumulant vieillissement, surendettement, sous-compétitivité et refus de l’inflation, l’Europe, à l’exception de l’Allemagne, aura du mal à créer de la croissance.

D’autant qu’elle s’est dotée de règles monétaires, budgétaires, concurrentielles et environnementales qui en font un espace hostile à la production et à l’innovation. Les tensions iront croissantes au sein de la zone euro en raison des écarts de productivité et de la crise financière des pays les plus fragiles, le risque souverain grec en est le premier exemple.

Entre les Etats et les marchés.

Le risque de déflation a légitimé l’intervention des Etats et l’idée de leur revanche sur les marchés. Mais ils n’ont remporté qu’une victoire à la Pyrrhus. Ils seront confrontés aux coûts des politiques de relance, d’un nouveau capitalisme d’Etat, du vieillissement démographique, de la réorientation des modèles économiques vers les consommateurs du Sud, la croissance verte et l’économie de la connaissance. Ils seront dépendants comme jamais des banques et des marchés qui les financent.

Entre les Etats et la gouvernance naissante de la mondialisation.

La crise est née du divorce entre la mondialisation accélérée de l’économie et l’absence de mondialisation politique. Sa gestion s’est traduite par une renationalisation des politiques économiques alors que s’esquissait une gouvernance mondiale à travers le G20, la conférence de Copenhague ou les négociations du cycle de Doha. La stabilisation du capitalisme suppose la reconnaissance de principes, d’institutions et de règles planétaires dans un monde composé d’Etats rivaux et hétérogènes.

Entre liberté économique et liberté politique.

Si le capitalisme est indispensable à la liberté politique, il peut prospérer sans elle, comme en Chine ou en Russie. Le XXe siècle fut structuré par la lutte entre démocratie et totalitarisme. Le destin du XXIe siècle pourrait se nouer autour de la compétition entre nations libres et régimes autoritaires pour la direction et la régulation du capitalisme. 

Nicolas Baverez est économiste et historien

LE MONDE ECONOMIE | 21.12.09

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3 réponses »

  1. Le vote suisse n’est pas une crispation, c’est là qu’on observe à quel point les libéraux ont parfois des raisonnements de bisounours, avec leurs frontières ouvertes au nom du multiculturalisme servant à faire rentrer des apôtres anti-libéraux ne connaissant que leur monoculturalisme barbare et en assimilant juste les ensembles humains à des consommateurs X ou Y interchangeables.

    Je conseille à Baverez de se pencher sur le fonctionnement de l’Islam qui est juste le pendant oriental du communisme, à ceci près que l’on peut changer plus facilement de positionnement idéologique que de religion.

    Voila qui devrait refroidir son enthousiasme.

  2. Je souscris tout à fait au commentaire du précédent intervenant! On ne sort de « la religion de paix et d’amour » que les pieds devant…
    Le multiculturalisme est un mythe qui, à moyen terme, ne pourra que créer des fractures et amener de la violence; nous en voyons déjà les prémices mais aucun responsable ne semble vouloir en prendre acte…
    A croire qu’il faut des cataclysmes pour que les choses changent…

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