Hedge Funds, Private Equity...

Matières Premières Agricoles : Quand la faim justifie les moyens….

Sur les marchés des matières premières agricoles, les produits phare du petit-déjeuner occidental (sucre, cacao, thé, jus d’orange) ont été les vedettes de l’année.

Point, bilan et perspectives sur le marché tumultueux des matières premières agricoles…

PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :

Cette année, la formule breakfast à l’anglaise a été plébiscitée sur les marchés à terme. Le thé, la boisson british par excellence, et le cacao ont enregistré des hausses époustouflantes en raison d’une baisse de l’offre.

Pour le thé, les tensions devraient diminuer en 2010 car on s’attend à une meilleure récolte au Kenya, le pays de référence pour l’export, où la production a sévèrement chuté à cause du manque de pluies.

Pour le cacao, le déclin de la production de la Côte d’Ivoire, le premier pays fournisseur, est connu de longue date et rien ne laisse présager une amélioration de la récolte.Avec un cacao au-delà des 3 500 dollars la tonne à la mi-décembre à New York, le plus haut sommet de l’année, qui renoue avec le pic historique de 1977, les chocolatiers se sont mis à broyer du noir. Ils envisagent de diminuer la teneur en cacao de leurs produits pour conserver leur marge.En 2010, les gourmands pourraient bien trinquer, à moins que la hausse ne doive beaucoup aux investisseurs. Dans ce cas, les producteurs risquent de trouver bien amer ce commerce pas très équitable.

Comme le cacao, le jus d’orange souffre d’un déclin structurel de la production. En Floride, où sont récoltés 40% des fruits transformés en jus, la maladie décime le verger, une météo défavorable a fait le reste. Là aussi, les cours culminent sans qu’une alternative crédible ne soit en vue. La demande en jus est restée soutenue. Pour conjurer la menace de la grippe H1N1, les Américains se sont mis à boire plus de jus d’orange.

Enfin, pour terminer ce petit déjeuner de luxe, voici une bonne cuillerée de sucre. La hausse a été vertigineuse : jeudi dernier, un nouveau record a été enregistré à New York où la livre valait plus de 26 cents. Les retards de la récolte brésilienne laissent entrevoir le pire pour 2010. Pour se remettre de ces émotions du matin, vous prendrez un peu de café, avant que les cours ne s’envolent… attention, c’est annoncé pour 2010

Fort de café, le cours du café

L’équilibre entre l’offre et la demande est de plus en plus serré, notamment pour les cafés d’Amérique du sud. Alors évidemment, ce phénomène contribue à maintenir fermement le prix du café. Ce sont essentiellement les prévisions de récoltes des producteurs qui en déterminent le prix. Or le Brésil annonce une baisse de 25% de sa production, et pas la moindre, puisque le Brésil produit de l’Arabica de haute qualité. L’une des raisons de ce recul est liée au fait que tous les deux ans le pied de café de l’Arabica doit marquer une pause. Ce qui sera le cas pour l’année 2010. Cet arrêt forcé à évidemment des conséquences sur l’offre.

Quant à la production colombienne, elle sera encore cette année très faible, proche de son niveau le plus bas depuis 35 ans. De son coté, le Vietnam, second pays exportateur mondial a affronté en début d’année des pluies diluviennes endommageant les récoltes de son café robusta. Par ailleurs, les producteurs de café sont confrontés à l’augmentation du prix des engrais à laquelle s’ajoute la difficulté d’emprunter. Il leur sera donc difficile de réaliser des investissements pour améliorer leur rendement. Si la production recule, ce n’est pas le cas pour la demande qui augmente.

L’ICO (Organisation internationale du café) annonce une demande mondiale, pour la saison 2008/2009 de 128 millions de sacs. Pour 2009/2010 elle prévoit 132 millions de sacs, soit une hausse de 3%. En effet, boire du café est devenu tendance, presque tous les pays apprécient aujourd’hui ce breuvage. D’autant plus que publicité et marketing ont contribué à changer l’image du café. On en parle comme d’un vin, en évoquant sa provenance, son cru… Rien d’étonnant donc que le groupe suisse Nestlé enregistre une progression de 30% en 2009 des ventes de sa filiale Nespresso. Avec des récoltes moindres, des stocks qui se réduisent et une demande en hausse, le prix du café risque fort de grimper…

Le cours de l’ail s’enflamme de Pékin à Rotterdam. La grippe A y serait pour quelque chose.
 
C’est bien connu dans les Carpates, l’ail protège des vampires.
En Chine, depuis quelques mois c’est un rempart contre le virus H1N1. On en met dans tous les plats, histoire de renforcer les défenses immunitaires face au nouveau péril.
 
Vrai remède de grand-mère ou croyance spontanée comme chaque épisode d’alerte sanitaire en génère ? Difficile de trancher. Toujours est-il que l’effet grippe A, qui dope actuellement la demande de jus d’orange aux Etats-Unis, a fait exploser en Chine la demande en ail, la Chine étant le premier pays consommateur et producteur de la fameuse bulbe. Si pour le marché américain du jus d’orange cette demande prophylactique est un facteur de hausse parmi d’autres, sur le marché chinois de l’ail c’est d’abord une aubaine pour les spéculateurs.
 
Pas seulement à cause de la grippe A, mais surtout parce que la production d’ail a chuté. Les bas prix de 2007 ont découragé les paysans. Les opportunistes aux poches bien garnies ont surgi au bon moment. Les gains qu’ils ont réalisés pendant le boum de l’immobilier ou sur la Bourse de Shanghai ont suffi à acheter quelques lots d’ail pour le stocker en attendant que les prix montent. Ils ont quadruplé depuis le mois de mars. La bulle s’est propagée sur les marchés étrangers, car la Chine est aussi le premier exportateur au monde d’ail.
 
En Europe, les prix rendus au port de Rotterdam ont doublé depuis le mois de septembre. La contagion est toutefois limitée puisque dans l’Union ces exportations sont encadrées par un quota quantitatif et des droits d’entrée. La fièvre de l’ail chinois ne contaminera pas le reste du monde.

Par Dominique Baillard et  Patricia Lecompte RFI DEC09

EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES :

Ruée des fonds d’investissement vers les terres agricoles !

Après avoir lancé des produits indexés sur l’évolution des prix des produits agricoles, de nombreuses banques et fonds d’investissement se tournent dorénavant vers l’acquisition des terres… 

Alors qu’en juin 2008, le lancement par KBC de produits indexés à la hausse des cours du cacao, du café, du sucre, du blé, du maïs et du soja avait provoqué un scandale, poussant même plusieurs hommes politiques à proposer l’interdiction de ce type de produit, plusieurs banques et fonds investissent de nouveau le secteur agricole. 

Selon la FAO (Agence des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation), pour faire face à la croissance démographique – correspondant à plus de 2 milliards de bouches supplémentaires à nourrir d’ici 2050 – il faudra accroître la production agricole mondiale de 70%, correspondant à une augmentation des terres arables de plus de 100 millions d’hectares. 

Banques et fonds d’investissement ont déjà anticipé la tendance. Depuis plusieurs mois, Deutsche Bank et Goldman Sachs ont acquis des fermes et des usines de viande en Chine. Morgan Stanley a acheté plusieurs milliers d’hectares de terres en Ukraine, le bassin de céréales de l’Europe. Selon un dirigeant de Morgan Stanley, beaucoup d’autres grandes banques sont également à la recherche de terres. 

L’information est confirmée par Barclays Capital, la division banque d’investissement de Barclays. Roger Jones, co-head of commodities chez Barclays Capital, précise « nous étudions un grand nombre d’options de ce type ». 

Les hedge funds et les grandes entreprises ne sont pas en reste.

Le hedge fund Renaissance Capital a également investi en Ukraine et y a acheté 300 000 hectares. L’entreprise lituanienne Agrowill, les Suédois Alpcot Agro et Black Earth Farming investissent massivement en Russie. Le fonds d’investissement américain Black Rock a mis sur pied un fonds spéculatif agricole de 300 millions de dollars, dont 30 millions sont dédiés à des acquisitions de terre. Le britannique Dexio Capital souhaite acheter 1,2 million d’hectares de steppes russes. La société française Louis Dreyfus Commodities qui possède 60 000 hectares au Brésil est actuellement intéressée par l’achat ou la location de terres en Afrique subsaharienne. Le groupe immobilier Knight Frank International met en place un fonds pour acheter des terres agricoles dans le Royaume-Uni. 

Les hedge funds auraient acheté des milliers d’hectares de maïs et de plantations de canne à sucre aux États-Unis et au Brésil. 

« L’agriculture va être l’un des meilleurs secteurs pour faire de l’argent dans les 10 prochaines années » avait averti Jim Rogers, un des gourous de l’industrie des hedge funds, lors d’une interview accordée à Reuters au mois d’août

« Dans de nombreux endroits du monde, les prix alimentaires sont élevés et les prix des terres faibles, explique l’ONG Grain. On peut donc clairement gagner de l’argent en prenant le contrôle des meilleurs sols, proches des ressources en eaux. » L’horizon de placement est de 10 ans en moyenne et les retours sur investissements sont évalués entre 10 et 40 % par an pour les fermes situées en Europe et peuvent atteindre 400 % en Afrique.

 En France, Charles Beigbeder a également flairé le bon filon. Apres avoir révolutionné le marché du courtage boursier avec le courtier en ligne Self Trade, puis celui de l’électricité avec Poweo, il s’attaque désormais à l’agriculture. A 45 ans, il est devenu président et actionnaire d’AgroGénération, un producteur de céréales qui exploite actuellement trois fermes d’une surface totale de 20 000 hectares en Ukraine. Il vise, à terme, d’accroître cette superficie à près de 500 000 hectares correspondant à une production annuelle d’environ 2 millions de tonnes de grains de blé. 

Si la spéculation, les rendements et la diversification des investissements sont les moteurs des banques, entreprises et hedge funds, il n’en est pas de même de la plupart des Etats qui se lancent dans l’achat ou la location de terres loin de leurs frontières. Ceux-ci souhaitent assurer à leur population une sécurité alimentaire en se lançant dans la production céréalière et de viande plutôt que de recourir aux importations dépendantes des fluctuations des cours mondiaux

Les monarchies du golfe qui disposent de très peu de terres arables, souhaitent garantir l’approvisionnement de leur population en ressources agricoles, et notamment en blé. Elles possèdent plus de 3 millions d’hectares au Soudan, au Pakistan et en Indonésie. Suite à l’augmentation des prix alimentaires sur le marché mondial et à la chute du dollar, les pays du Golfe persique ont vu, en cinq ans, la facture de leurs importations bondir de 8 à 20 milliards de dollars. L’Arabie Saoudite a annoncé en février dernier vouloir investir en Afrique du Sud et aux Philippines pour cultiver bananes, mangues, ananas, riz, maïs et viande bovine. Toutes ces denrées seraient destinées au marché saoudien. Le Qatar et le Koweït sont locataires de centaines de milliers d’hectares au Cambodge. 

Avec près de 2,5 milliards de personnes, la Chine et l’Inde abritent près d’un tiers de la population mondiale. Les deux pays qui possèdent un ratio « population/terres agricoles » assez faible, cherchent à obtenir de nouvelles concessions loin de leur contrée. 

La Chine a ainsi acquis 2,1 millions d’hectares (soit l’équivalent de la Slovénie) en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Australie. L’empire du Milieu voit ses surfaces agricoles disparaître à mesure que le pays s’industrialise

« Au cours des cinq prochaines années, vous aurez des millions de personnes en plus cherchant à manger du pain, des nouilles, et à boire du café … Il n’ya aucune chance que l’offre puisse rattraper la demande », explique Badung Tariono, gestionnaire de fonds pour ABN AMRO basé à Amsterdam.

 Et ce n’est pas tout. La pression sur les terres arables viendra aussi de la demande croissante en biocarburants et en céréales pour l’alimentation du bétail afin de fournir de la viande vers les marchés émergents

La gestion des ressources agricoles sera un véritable défi pour l’ensemble des pays de la planète. Et les risques sont énormes : A Madagascar, la location d’un million trois cent mille hectares de terres (soit la moitié de l’espace agricole disponible) par le groupe coréen Daewoo pour une durée de 99 ans, a provoqué une véritable révolte de la population, conduisant à l’annulation de la vente et la destitution du président

Paul Monthe,NF, le 27 octobre 2009

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Marchés agricoles, le grand brouillage

Par Pierre-Alexandre Sallier LE TEMPS 23 NOV

Les fonds dictent de nouveau les prix mondiaux sur les bourses aux grains. Et perturbent leur fonctionnement et le travail des négociants «traditionnels».

Les participants s’en défendent. Mais comment ne pas voir dans la conférence Global Grain, installée la semaine dernière dans un grand hôtel genevois, un contre-sommet répondant à celui sur la crise alimentaire, tenu au même moment par les Nations unies? Pas de risque de manifestation altermondialiste: les 800 participants ne parleront pas de la faim dans le monde, un problème «politique» à leurs yeux. Derrière leurs paroles prudentes, l’un des principaux problèmes affectant les marchés de denrées agricoles remonte pourtant à la surface: l’influence des institutions financières.

Pourquoi Dan Basse, le responsable du bureau de prévision américain AgResource, assure-t-il que «le marché des céréales ne va pas faire du surplace en 2010 et sera marqué par des fluctuations rappelant 2008», alors que l’ampleur des stocks mondiaux de céréales promet le contraire? Parce que, sur les bourses aux grains, ces commerçants se sentent un peu seuls; au milieu des «hedge funds», des banques spéculant pour leur propre compte, des caisses de retraite, des épargnants jouant avec les fonds ETF… Au total 250 milliards de dollars sont actuellement placés sur l’ensemble des matières premières. Alors que 80 milliards suffisent à acheter la dernière récolte mondiale de blé, maïs, soja.

Le poison du «carry trade»

Cette frénésie battra son plein en janvier, lorsque ces institutions financières réalloueront l’argent de leurs clients. «En ce moment, les fonds vendent ce qui est cher – le pétrole – et achètent des grains bon marché», décrit Xavier Patry, responsable de l’antenne genevoise de la firme de négoce Lansing. Ce qui explique le rebond de 25% du cours du blé en deux mois… en dépit de l’abondance des moissons. Un effet collatéral de l’abaissement à zéro des taux d’intérêt aux Etats-Unis. Destinée à relancer la première économie mondiale, cette mesure offre d’énormes opportunités de «carry trade»: les banques obtiennent des dollars pour rien et achètent à tour de bras de l’or, du pétrole, du blé, du maïs.

Quitte à ce que cette avalanche d’argent brouille la raison d’être de ces marchés à terme: s’assurer d’un prix à l’avenir en reportant le risque de fluctuation sur d’autres intervenants. A Chicago, «sur certains contrats sur le blé, il n’y a plus de convergence entre le prix à terme et celui au comptant lors de la livraison, ce qui met à mal tout le système», reconnaît Xavier Patry.

Pratiques «malhonnêtes»

«Les fondamentaux ne jouent plus de rôle dans l’évolution des marchés» constate Bernard Kursner, patron d’Agrocean, une petite firme de négoce de Nyon. Cet ancien du groupe André observe un «changement d’éthique dans ce métier». Auparavant, «c’était parole contre parole: si les prix bougeaient entre le contrat et sa livraison, personne ne disait rien, on encaissait les pertes». Mais avec les fluctuations actuelles, «ces variations peuvent atteindre 1 ou 2 millions de dollars sur un contrat, conduisant vos interlocuteurs à revenir sur leur parole». Constat similaire de Loïc Desselas, président de Soufflet Négoce, entité du géant français de la meunerie achetant 4 millions de tonnes de grains par an. «Cette volatilité rend les contreparties peu fiables, encourage des pratiques malhonnêtes dont certaines sociétés ne se relèvent pas.»

Tous rechignent pourtant à faire le procès de la «spéculation». «Les prix finissent tôt ou tard par refléter la réalité: récoltes, déficits, météo…», assure Xavier Patry. Pour Loïc Desselas, elle reste «inhérente au métier des négociants», qui achètent une cargaison à un moment, la revendent à un autre.

Le problème est sémantique: le terme «spéculation» recouvre indifféremment les paris des hedge funds, les investissements de fonds de pension ou les opérations de couverture des négociants. Et comment qualifier les actions des fonds d’investissement «maison» des multinationales du négoce?

Le régulateur reste dépassé

Depuis un an, la CFTC – le gendarme des marchés à terme américains – tente de faire le ménage. Et menace de limiter les interventions des financiers sur les bourses aux grains. «Une grosse partie des échanges se font de gré à gré, hors de ces marchés», tempère Xavier Patry. Organisateur du congrès Global Grain, James Dunsterville se fait plus fataliste. «Cela sera très dur de restreindre l’activité de fonds ou de grandes banques comme Goldman Sachs, qui ont déjà intégré ces changements de règles et trouvé les moyens de les contourner.» Ces institutions sont donc appelées à perturber de manière durable la fixation des prix alimentaires. Quitte à menacer les populations les plus fragiles; celles dont l’essentiel des revenus est consacré à ces denrées de base.

2010 sera l’année du maïs»

Les tensions resteront fortes sur les prix mondiaux du maïs, contrairement à ceux du blé et au soja, a en croire les experts.

Depuis deux mois, les fonds d’investissement rachètent en masse des contrats sur le blé. Un pari étonnant, alors que les surplus de production atteignent le quart des récoltes annuelles mondiales.

Au sommet Global Grain, Dan Basse, analyste du bureau AgResource, a prévenu que «2010 sera surtout l’année du maïs». Son équation? Des besoins jamais assouvis, biocarburants obligent. Et des rendements qui plafonnent – les OGM n’ont pas tenu leurs promesses – font reposer l’accroissement des récoltes sur l’ensemencement de nouvelles terres en Amérique latine et dans l’ex-URSS. «Les marchés vont porter leur attention sur ces deux régions: la moindre sécheresse se traduira par des hausses brutales des cours mondiaux», avertit le gourou.

Sur le soja, Clément Gautier, analyste au sein de la maison parisienne Plantureux, rappelle que «de grosses récoltes sont attendues». Sans compter que la Chine pourrait ralentir ses achats, ayant reconstitué ses stocks ces deux dernières années, ce qui ne devrait guère faire monter les cours.

Par Pierre-Alexandre Sallier LE TEMPS nov09

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