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Bruno Bertez : L’épopée de Brian Sack à la Fed

Le responsable du Market Group est en première ligne dans une opération très risquée. Où les dérapages sont dangereusement minimisés.

Il était un homme qui s’appelait Sack. Brian P. Sack. Il était important et très intelligent. Il côtoyait les plus grands, Bernanke et Geithner.

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Il était Executive Vice President de la Federal Reserve Bank of New York, à la tête du Groupe chargé des marchés. Cet homme était un homme d’expérience des marchés avec une grande connaissance «de l’inter-action entre la politique de la Réserve fédérale, les marchés financiers et l’économie».

Il avait été à la tête de la section Analyse des Marchés Monétaires et Financiers au Conseil des Gouverneurs du Système de Réserves fédérales. Il était expert dans la «compréhension des mouvements sur les marchés financiers provoquée par la politique du FOMC».

Le Market Group à la Federal Reserve Bank of New York, c’est le bras séculier de l’institution. Ce Market Group intervient sur les marchés pour transmettre, par ses opérations, à Wall Street, les décisions prises par la Fed. Il achète et vend des valeurs du Trésor pour influencer le niveau des taux d’intérêt.

Depuis la crise, il a mis au point des programmes très complexes et une quantité impressionnante d’algorithmes pour ancrer «plus profondément encore l’action de la Fed dans les différents segments des marchés privés».

A chaque séance du FOMC, Brian Sack fait un compte-rendu de ce qui se passe sur les marchés et de ce que son Market Group y a fait.

Quand la Fed décidera de retirer les liquidités et de monter les taux d’intérêt, c’est lui qui conduira la manoeuvre sur les marchés. Déjà, c’est lui qui prépare le terrain par des tests et des opérations précurseurs.

Brian Sack est un expert des deux côtés de la barrière public/privé: auparavant il conseillait des hedge funds et différents investisseurs institutionnels. Sa réputation était grande et on comprend que Bernanke, impressionné, ait voulu se l’adjoindre. Leurs préoccupations étaient voisines. Brian Sack était célèbre pour sa capacité à prévoir sur les marchés privés «les conséquences de la politique et des décisions de la Fed».

Des mauvais esprits et des envieux, il y en a toujours, vous le savez. Et ils disent que si les marchés sont manipulés et s’il existe un vrai PPT (Plunge Protection Team) effectif et opérationnel, c’est là au 9e étage du Liberty 33 à Manhattan que les choses se passent.

C’est là, dans cet immeuble, qui porte le nom évocateur de Liberty que Sack et ses 400 traders dirigent les marchés privés, les marchés libres.

Comme le dit Brian Sack, «la Fed va bientôt s’embarquer dans un cycle de resserrement monétaire comme jamais il n’y en a eu dans l’histoire». C’est une action extraordinaire sur beaucoup de points, par les montants concernés, mais aussi par son caractère unique, totalement neuf. «Le cadre de cette action sera totalement inédit et les outils seront totalement nouveaux, à peine testés». Brian Sack reconnaît que l’opération est risquée, mais il croit en ses propres capacités, en celles de son équipe et il ajoute «si nous communiquons efficacement, les choses se passeront bien… les marchés devront être clairement informés et bien préparés».

Quand on connaît l’osmose qui existe entre la Federal Reserve Bank of New York, les grandes banques d’investissement, et les grands hedge funds, on se dit que sous cet aspect, celui de la communication et de la préparation, il n’y a aucun souci à se faire. La Federal Reserve Bank of New York pense comme les grandes banques d’investissement et les grandes banques d’investissement pensent comme la Federal Reserve Bank of New York. Ce qui sera peut-être un peu plus délicat, c’est la «compréhension » du grand public des investisseurs.

Disons que la population boursière peut être divisée en deux, d’un côté les «agents» et de l’autre côté, la clientèle finale. Les agents ont toute chance de bien comprendre et d’être bien préparés, la clientèle finale un peu moins. Si sa «compréhension » est un tout petit peu, rien qu’un tout petit peu décalée, c’est lui qui fera la contre-partie de la Federal Bank of New York et des banques d’investissement.

Nous retrouvons le problème que nous avons déjà évoqué dans nos chroniques précédentes, sur le «front trading» des banques d’investissement.

Ce «front trading» repose sur un accès à l’information privilégié, sur l’utilisation de modèles sans cesse plus raffinés et sur des outils de trading, algorithmes qui fonctionnent en nano-secondes.

Par leurs opérations, ces banques d’investissement ou banques de marchés ou desks de proprietary trading des commercial banks prélèvent l’essentiel de la rentabilité que l’on peut attendre d’un investissement en actif financier. En tant que relais, courroie de transmission des politiques des banques centrales, les banques d’investissement, les banques de marchés, les grandes organisations du type Blackrock sont dans une authentique position d’initié de fait. Position d’initié qui porte sur des billions et des trillions et qui, à ce titre, modifie totalement la répartition des profits que l’on peut attendre d’investissements en actifs financiers.

Pour un investisseur final, cette activité de prise de position des «agents» équivaut à un prélèvement sur ce qu’il est en droit d’attendre.

S’il y a une vraie raison pour laquelle le système des banques d’investissement, des opérations de proprietary trading doit être limité, c’est celle-ci: ce système autorise le prélèvement d’une partie de plus en plus importante et maintenant considérable de la rentabilité des placements financiers.

Plus l’innovation galope, plus l’écart entre les «agents» et l’investisseur final s’accroît, et plus la rente que s’octroient les banques d’investissement, grands hegde funds et autres, progresse. A un point qu’elle devient spoliatrice.

Par ailleurs, le phénomène est considérablement aggravé par la dérive du système, lequel fonctionne par la création systématique de bulles. On le verra d’ici quelques temps, peut-être d’ici quelques années, qui sait, lorsque la bulle de la finance gouvernementale qui est en train de se gonfler, éclatera.

Déjà, les placements sans risque ne rapportent plus rien pour le public et l’investisseur final, mais en plus, les placements à risques sont amputés d’une rente au profit des acteurs du système, c’est à une authentique exploitation de l’épargne au sens marxiste du terme que l’on assiste!

Il s’agit d’une question politique dont l’importance dépasse très largement celle du faux problème vu par le petit bout de la lorgnette de la rémunération des traders. Cette rémunération scandaleuse des traders n’est possible que parce que cette rente que nous décrivons existe. C’est une question politique au sens noble du terme et non politicien car le financement des investissements est une question fondamentale dans une société et, si ceux qui financent ces investissements, qu’ils soient individuels ou collectifs, si ces investisseurs sont spoliés, c’est la classe sociale, généralement classe moyenne, correspondante, qui en est acppauvrie.

Spoliée, cette classe a plutôt tendance, au fil du temps, à voter contre le système, plutôt que pour.

Le secret relatif du calendrier

Pour faciliter la «compréhension» de ce qui va se passer, ou plus exactement de ce qu’il voudrait qu’il se passe à l’avenir, Brian Sack, Chef du Market Group, décrit la manipulation qui a été opérée depuis la mise en place des programmes de la Fed. «Nous avons acheté 1,69 trillion d’actifs financiers… Grâce à cela nous avons fait baisser les taux d’intérêt à long terme…

En retirant du marché de larges montants d’assets à maturation longue et à risque élevé, nous avons réduit le volume global de risque que le marché avait à conserver… Ceci a réduit la prime de risque sur tous les assets… Autrement dit nous avons fait monter les prix de tous les assets et abaisser leur rendement…

La baisse des rendements a, de proche en proche, gonflé les prix de tous les assets car les investisseurs ont progressivement recherché des placements alternatifs ». Brian Sack qualifie ce mouvement de gonflement du prix des assets et d’abaissement de proche en proche des primes de risque de «portfolio balance effect». Un effet d’équilibre du portefeuille global qui est bien sûr modélisé.

Ainsi donc, la Fed a fait monter les prix des assets et fait chuter les primes de risques tout à fait volontairement et son problème maintenant comme l’explique le chef du Market Group, c’est de sortir de cette politique sans provoquer l’effondrement des marchés.

Comment pense-t-elle réussir?

La réponse tient en trois points.

 Premièrement, en s’abstenant de revendre ce qu’elle a acheté auparavant.

Deuxièmement, en mettant l’accent pour opérer le resserrement monétaire, essentiellement sur la hausse des taux courts. «La hausse des taux courts doit devenir l’instrument le plus actif de la politique monétaire».

Troisièmement, en communiquant clairement ses intentions et les buts poursuivis pour chaque mouvement et décision.

On remarquera une absence de marque: il n’est nullement question dans la partie communication de donner des éléments de calendrier.

Cela reste un secret . Secret de l’efficacité ou bien secret d’asymétrie puisqu’il est bien évident que le calendrier ne sera pas un secret pour tout le monde. Les grandes banques sont aussi bien, voire mieux équipées que la Fed et elles auront les moyens de discerner ce calendrier. Ceci est confirmé par la dernière déclaration la semaine dernière de Bernanke, le calendrier sera «data dependent». Or, qui a accès aux datas les plus sophistiqués, les plus précis, les plus efficaces, si ce n’est les services des grandes banques. Ceci est vrai à un tel point que même le Trésor et la Fed les consultent.

Reste la question de savoir si les prix des assets ne sont pas trop élevés et si les primes de risques ne sont pas trop basses, donc en fait, pour parler simplement, la question de savoir si les marchés d’actions et ceux de tous les actifs à risque ne sont pas menacés de chuter.

La réponse de Brian Sack mérite d’être citée in extenso «nous espérons atteindre une période de croissance soutenue, très au-dessus de la tendance de long terme, et cela soutiendrait le prix des actifs à risque »!

Nous espérons que vous êtes rassurés.

Ce qui paraît remarquable, dans une telle approche, et nous vous rappelons que c’est cette approche qui nous gouverne, ce qui paraît remarquable, c’est l’évacuation totale du réel. Nous sommes dans une approche pratique, manipulatoire, dans laquelle les marchés sont instrumentalisés, mais le réel lui est totalement escamoté. Totalement escamoté au profit d’abstractions quantifiés et modélisables qui n’ont aucun rapport avec ce qui se passe dans la sphère économique et sociale.

Les risques sont élevés, ils sont même reconnus et analysés, mais qu’importe, les primes de risques ont été abaissées et elles doivent rester basses! Tout le monde prévoit une croissance lente, inférieure à la tendance de long terme, qu’importe, on espère une croissance exceptionnellement élevée, au-dessus des normes! Les observateurs craignent un double-dip, en particulier ils craignent une rechute du logement avec l’échéance de modification des prêts AltA et des prêts ARM, ils craignent une nouvelle vague de difficultés sur les marchés de crédit, mais qu’importe, on fait comme si le risque n’existait pas. Le risque, ce risque, dont on manipule le prix, est une donnée des équations, un paramètre des modèles, rien d’autre. Et tout est à l’avenant. Et c’est exactement l’attitude d’esprit, l’aveuglement, le refus des évidences, qui non seulement ont conduit à la crise, mais qui ensuite ont conduit à la considérer comme contenue. (BBZ)

BRUNO BERTEZ agefi mars 10

BILLET PRECEDENT : Bruno Bertez : La folie des hauteurs (cliquez sur le lien)

EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES CES 2 ARTICLES DU WSJ : 

La Fed pourrait rencontrer un obstacle à sa taille

Les films de superhéros incluent généralement une phase perturbante dans laquelle le héros est dépassé par des forces opposées. Ben Bernanke et la Fed ne semblent pourtant pas connaître de tel moment tandis qu’ils poursuivent leur sauvetage de l’économie américaine.

Les mesures extraordinaires prises par le président de la Réserve fédérale américaine ont indéniablement réussi à convaincre les investisseurs de replacer leur argent dans des actifs plus risqués. Le S&P 500 a ainsi enregistré un bond stupéfiant de 43% en un an et les obligations spéculatives, ou junk bonds, rapportent actuellement 5,85 points de pourcentage de plus que les rendements des obligations du Trésor, selon Bank of America. Cet écart est bien plus étroit que les 9,61 points de pourcentage observés neuf mois après la récession de 2001.

La thèse des spéculateurs à la hausse est séduisante. L’argent facile crée une croissance auto-entretenue dans l’économie réelle qui apportera à son tour les bénéfices nécessaires pour alimenter la hausse des marchés d’actions et d’obligations. Et si les résultats du premier trimestre dépassent les attentes, l’élan positif va probablement persister.

Une chose est sûre, les investisseurs ne croient pas que la Fed puisse faire un faux pas. Une récession en W ne semble en effet pas imminente. Le marché est également rassuré par le fait que la banque centrale américaine n’ait pas permis de réelle flambée de l’inflation depuis les années 1970.

Néanmoins, lorsque le marché voue une confiance excessive à l’égard de la banque centrale, il en vient presque toujours à ignorer les développements économiques et financiers néfastes. Par conséquent, si ces événements se matérialisent et si la Fed apparaît tout d’un coup faillible, les prix des actifs pourraient en prendre un coup.

Or Ben Bernanke est actuellement aux prises avec plusieurs défis de taille. Pris un par un, ils pourraient être gérables. Ensemble, ils constituent un obstacle majeur.

Il y a tout d’abord des 1.160 milliards de dollars environ d’excédent de trésorerie détenu par les banques qui pourraient, comme certains le craignent, être utilisés pour financer une explosion des prêts susceptible d’engendrer de l’inflation.

Si la Fed dispose d’outils pour contrôler cette énorme masse de liquidités, elle n’a aucune expérience récente sur la manière de le faire.

Vient ensuite l’intense pression politique pour faire baisser le taux de chômage, actuellement à 9,7%. Il est vrai que certains membres de la Fed ont déclaré qu’ils relèveraient les taux d’intérêt face au taux de chômage élevé si la situation économique l’exigeait. Pourtant, le discours accommodant semble l’emporter.

La Fed doit également faire face à un déficit public record, tellement important que les investisseurs obligataires pourraient s’étrangler avec les obligations du Trésor, ce qui ferait monter les taux d’intérêt à long terme. Face à cela, une politique accommodante de la part de la Fed pourrait entraîner un maintien des taux d’intérêt à court terme à un niveau bas, ce qui pourrait également engendrer de l’inflation.

Les spéculateurs à la hausse, emballés par les récentes actions de la Fed, vont oublier ces inquiétudes. Nous arrivons néanmoins au moment critique où le héros pourrait enfin rencontrer son véritable ennemi.

Peter Eavis, wall street journal mars10

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Bernanke éclaire les marchés sur le bilan de la Fed

Petit à petit, les dirigeants de la Réserve fédérale lèvent le voile sur la façon dont ils comptent réduire le bilan de la banque centrale.

Jeudi, le président de la Fed, Ben Bernanke, a donné un indice supplémentaire sur la façon dont il compte procéder.

Témoignant devant le Congrès, Ben Bernanke a déclaré qu’à l’avenir – sans horizon bien défini – il souhaitait que le bilan de la Fed soit ramené à son niveau d’avant-crise, ce qui semble confirmer l’hypothèse actuelle selon laquelle la banque centrale ne compte détenir, à terme, que des obligations du Trésor.

Alors que le bilan de la Fed s’élève à plus de 2.000 milliards de dollars, Ben Bernanke a déclaré au Congrès que la banque souhaitait le ramener sous la barre des 1.000 milliards. Au début de la crise, en août 2007, le bilan de la Fed se montait à environ 850 milliards de dollars.

En évoquant un objectif chiffré en dollars, B.Bernanke a permis de cocher une case de plus dans la liste des moyens dont la Fed usera pour retirer les dispositifs de soutien non conventionnels aux marchés financiers mis en place depuis fin 2007. L’essentiel de ce témoignage devant le Congrès portait sur la stratégie de sortie de crise de la Fed, et sur ce point, le patron de la banque centrale a donné peu de nouveaux éléments. Il a surtout réaffirmé qu’un resserrement de la politique monétaire n’était pas pour demain.

Qui plus est – B.Bernanke l’a confirmé jeudi – la vente de la grande quantité d’actifs liés au crédit hypothécaire détenus par la Fed se fera très progressivement. Tant que la banque n’a pas décidé d’un plan spécifique pour réduire son bilan, les membres du comité de politique monétaire de la Fed sont convenus de ne pas réinvestir le produit des titres de crédit hypothécaire, a-t-il souligné.

Mais ces titres devront bien, à terme, être vendus. « Ce qui est certain, c’est que nous ne voulons pas conserver [des actifs liés à des crédits hypothécaires] pendant trente ans », a déclaré le patron de la banque centrale. La tâche ne s’annonce pas facile. La Fed, qui doit achever son programme de rachats de titres hypothécaires ce mois-ci, en aura acheté pour près de 1.300 milliards de dollars.

Et comme tout ce qui conduit à une contraction du bilan de la Fed est un resserrement de la politique monétaire, la banque centrale va devoir procéder avec une grande prudence.

Les observateurs s’attendaient à ce que la Fed commence par retirer des liquidités du système financier, avant de relever ses taux et de vendre certains actifs. Mais l’insistance de Ben Bernanke sur les ventes d’actifs en a conduit certains à se demander si l’ordre dans lequel la Fed compte procéder ne serait pas plus flexible.

Selon Michael Feroli, de J.P.Morgan, les commentaires prononcés jeudi par Ben Bernanke ont un peu moins mis l’accent sur le fait que les ventes d’actifs interviendraient en dernier.

« Il est peut-être hâtif de dire que l’horizon des ventes d’actifs a été modifié, mais le discours a remis cette question à l’ordre du jour et les références à ce sujet mériteront d’être surveillées de près dans les mois qui viennent », a-t-il estimé.

-Michael S.Derby, wall street journal mars10 

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