Changes et Devises

Marc de Scitivaux /Europe: Un plan B est possible…

Marc de Scitivaux /Europe: Un plan B est possible…

  Milton Friedman, un des plus éminents économistes du XXe siècle, n’avait jamais cru à la création d’une union monétaire en Europe. Même après l’instauration de l’euro il ne changeait pas son jugement et déclarait en 2002: « Dans les dix ou quinze ans à venir (ce qui nous conduit à 2012-2015 !), la zone euro finira par éclater. »

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Sa démonstration était simple: « On peut avoir une unification économique sans unification politique, à condition de combiner la liberté du commerce et des mouvements de capitaux avec des changes flottants. Si les changes sont fixes, il n’existe plus de politique économique spécifique à chaque pays, répondant aux conditions particulières des pays en question. » Ce que voulait dire Milton Friedman c’est que les pays qui n’auraient pas fait les mêmes efforts compétitifs que d’autres, faute de pouvoir, au sein de la zone euro, utiliser l’arme de la dévaluation, seraient contraints, tôt ou tard, d’abandonner une partie de leurs acquis en termes de salaires directs ou indirects. Scénario qu’il jugeait insupportable en termes politiques. « C’est un sacrifice considérable auquel je ne crois par les Européens prêts. »

Milton Friedman : L’improbable passage à la monnaie unique (cliquez sur le lien)

La justesse de cette analyse saute aux yeux aujourd’hui. Faute de pouvoir dévaluer il est demandé aux populations grecque ou espagnole d’abandonner la partie des salaires, des retraites, des couvertures médicales, etc., qui ne fut pas financée par leur travail mais par la dette à l’étranger. C’est douloureux! Sans avoir besoin de passer nos frontières, il n’est qu’à voir les stupéfiantes propositions socialistes sur le dossier des retraites pour voir que le principe de réalité est loin de s’imposer sans résistance.

Nicolas Baverez : le programme calin de la gauche (cliquez sur le lien)

Il n’y a pas de solution dans le cadre institutionnel actuel que l’on puisse raisonnablement envisager tant il semble inconcevable que les Grecs (ou les Français) aient des comportements allemands, ou que les Allemands acceptent les fantaisies budgétaires méditerranéennes. Il y a une issue: les Allemands redeviendront des Allemands et les Grecs des Grecs… Est-ce si grave? Ce n’est pas sûr.

En 1988 Margaret Thatcher, au Collège de l’Europe, à Bruges, avait proposé une sorte de plan B pour la construction de l’Europe. Elle prônait le renforcement des liens économiques au sein d’une zone de libre-échange et le renforcement de la coopération militaire. La monnaie unique, si celle-ci devait voir le jour, ne pouvait être que la cerise sur le gâteau après que celui-ci a été cuit. On s’aperçoit, en relisant son discours, que son approche était très réaliste. Avoir voulu mettre la charrue avant les bœufs risque d’avoir coûté au projet européen, en termes de soutien populaire, plus qu’il ne lui aura rapporté.

Marc de Scitivaux jdd mai10

BILLET PRECEDENT : Marc de Scitivaux : Le cimetière des occasions perdues (cliquez sur le lien)

EN COMPLEMENTJEAN-MARC VITTORI Le « storytelling » des Etats  26/05/10  

Pour le retour de Jean-Marc Vittori au grand journal sur BFM  La planète finance est comme secouée par un tremblement de terre. Les repères habituels valdinguent, des actions de père de famille aux Etats, en passant par les banques et les frontières coréennes. Du coup, les investisseurs se raccrochent à la trinité de la stabilité : le dollar, l’or, le Bund. Le billet vert a culminé face à l’euro, le métal jaune a encore grimpé et les obligations d’Etat allemandes s’arrachent au point de faire ramener les taux d’intérêt allemands à long terme autour de 2,5 %. Dans les salles de marché, on ne sait plus à quel saint se vouer. Ou, plus précisément, on ne sait plus en quel récit on peut encore croire. Car les investisseurs ne sont pas des monstres froids guidés par la seule cupidité. Au contraire : ils n’aiment rien tant que de se faire raconter une belle histoire, avec un début, une fin et le chemin choisi pour aller de l’un à l’autre. Tout en sachant très bien que l’histoire ne se déroulera pas comme prévu, qu’il y aura des mauvaises surprises, des détours imprévus et des raccourcis surprenants.

Les gouvernants ont parfaitement compris ce goût des marchés. Ces dernières décennies, ils ont développé un véritable art du « storytelling » économique. Un pays comme la France affecte certains de ses plus brillants sujets à l’Agence France Trésor, chargée de porter la bonne parole tricolore à coups de « roadshows » partout où il y a de l’argent à placer.

Le problème, c’est qu’une crise financière séculaire a bousculé les scénarios racontés ces dernières années. Comme dans un séisme, les plafonds sont passés au-dessous des planchers et les courbes macroéconomiques ressemblent à des poutrelles tordues par la violence du choc. Les Etats développés sont pris dans des contradictions apparemment insolubles. Leurs dirigeants racontent par exemple qu’ils vont faire des efforts budgétaires sans précédent l’an prochain pour maîtriser leurs déficits publics. Ces derniers jours, ceux de l’Italie et du Royaume-Uni sont venus rejoindre la France, les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Espagne dans le choeur de ces belles promesses. Mais, dans le même temps, ils expliquent que le boom de la croissance va doper leurs rentrées fiscales, alors que le tour de vis budgétaire risque d’étouffer des économies encore mal remises du choc encaissé en 2008-2009. En France, le gouvernement conserve par exemple l’hypothèse devenue complètement irréaliste d’une croissance annuelle moyenne de 2,5 % dans les trois prochaines années. Le calme reviendra quand les Etats recommenceront à raconter une histoire crédible, et non plus des histoires.

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Henri Schwamm  :Les scénarios pour l’euro

  Comment la dette publique pourra-t-elle évoluer dans la zone euro?

La Banque centrale européenne vient de présenter trois scénarios d’évolution possible du ratio de dette publique par rapport au PIB de la zone euro jusqu’en 2030.

Elle entend fournir ainsi une estimation approximative du montant de l’assainissement budgétaire requis dans cette région pour ramener les finances publiques sur une trajectoire soutenable.

Quelles hypothèses macroéconomiques sous-tendent ces scénarios?

Le taux de croissance du PIB en volume est fondé sur la trajectoire du taux de croissance potentielle réelle de la zone tel qu’il ressort des projections établies par la Commission européenne et le Comité de politique économique. Selon ces estimations, la croissance potentielle réelle reviendra progressivement du niveau relativement élevé de 2,2% en 2011 à 1,5% en 2030.

La hausse du déflateur du PIB (indice implicite des prix du PIB) est supposée constante, à 1,9%, sur l’ensemble de la période considérée. Le taux d’intérêt nominal implicite de la dette publique est supposé constant, à 4,3%, soit la valeur enregistrée en 2008 (les valeurs pour la période 2009- 2010 pouvant être faussées par la crise financière).

Les trois scénarios prennent comme point de départ les prévisions de l’automne 2009 de la Commission européenne relatives à la dette publique de la zone en 2010 (84% du PIB). La valeur de départ du solde primaire en 2010 est de -3,7% du PIB. Le ratio de la dette publique devrait continuer d’augmenter, sauf si un excédent primaire (solde budgétaire global hors paiements d’intérêts) suffisamment élevé est dégagé pour stabiliser ce ratio.

Evolutions budgétaires possibles à compter de 2011:

le scénario 1 s’appuie sur un processus d’assainissement budgétaire rapide (amélioration du solde primaire d’un point de pourcentage de PIB par an jusqu’à l’équilibre budgétaire global en 2018; légère diminution du solde primaire par la suite de manière à maintenir le budget en équilibre jusqu’en 2030).

Le scénario 2 retient une trajectoire d’assainissement moins ambitieuse (amélioration du solde primaire de seulement un demipoint de PIB par an jusqu’à l’équilibre budgétaire global en 2025 ; ensuite, excédents primaires compatibles avec un budget en équilibre jusqu’en 2030).

Le scénario 3 suppose l’absence de tout effort d’assainissement (solde primaire maintenu à -3,7% du PIB et restant constant jusqu’en 2030). Evolution possible de la dette publique de la zone: le ratio de la dette publique culminera à 89,3% du PIB en 2013 dans le scénario 1 et à 97,2% du PIB en 2017 dans le scénario 2. Par la suite, ces deux scénarios conduiront à une baisse progressive du ratio de la dette. La valeur de référence de 60% du PIB ne sera atteinte qu’en 2026 dans le scénario 1. Le scénario 3 se traduirait par une montée constante du ratio de la dette publique, à plus de 100% du PIB en 2015, 120% en 2020 et 150% en 2026.

Enseignements: ces scénarios soulignent l’importance d’un assainissement rapide et ambitieux. Des politiques budgétaires inchangées (scénario 3) mettraient clairement en danger la soutenabilité à long terme des finances publiques de la zone. Même dans le cas d’un effort d’assainissement de 0,5% du PIB en moyenne par an (scénario 2), il lui faudra probablement deux décennies pour retrouver le ratio de dette publique d’avant la crise.

La situation est encore plus sérieuse puisque les projections en question ne prennent en compte ni l’augmentation prévue des coûts liés au vieillissement de la population, ni les risques associés aux engagements conditionnels résultant des garanties publiques octroyées aux secteurs financier et non financier durant la crise.

Or, les banques européennes ne sont pas à l’abri de nouvelles dépréciations d’actifs et, après 2020, le vieillissement démographique devrait exercer de fortes pressions sur les finances publiques de la région.

Henri Schwamm Université de Genève

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