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Comment la France a ruiné son agriculture par Nicolas Baverez

Comment la France a ruiné son agriculture  par Nicolas Baverez

 

La mondialisation a déclenché une nouvelle révolution agricole.

 Du côté de la demande, la consommation alimentaire explose avec la croissance et l’enrichissement de la population mondiale. La Terre comptera 9 milliards d’hommes en 2050 contre 2,5 milliards en 1950, dont une majorité de citadins ; leurs exigences alimentaires ne cessent de progresser en quantité (un Chinois consomme 59 kilos de viande contre 13 en 1980) mais aussi en qualité (laitages, fruits et légumes) et en sécurité. Du côté de l’offre, cinq évolutions se font jour.

La tension entre la population et les ressources, notamment en Chine, qui abrite 25 % de la population mondiale mais ne dispose que de 9 % des terres arables et 7 % des réserves d’eau.

Le développement d’une agriculture offshore avec l’achat ou la location de terres (20 millions d’hectares depuis 2006, en majorité en Afrique, qui représente 80 % des espaces disponibles) par la Chine, la Corée du Sud ou les pays du Golfe via leurs fonds souverains.

 L’émergence des superpuissances agricoles du Sud, à l’image du Brésil, qui se positionne comme le nouveau grenier du monde et plus largement de l’Amérique latine, dont les exportations vers l’Europe sont passées de 17 à 25 milliards d’euros depuis 2000.

 L’intensité de l’innovation dans un secteur décisif tant pour l’alimentation que l’énergie avec les substituts aux matières fossiles.

Enfin, la contrainte écologique avec la nécessité de produire plus tout en protégeant les terres, les ressources en eau et en énergie, la qualité de l’air et la santé des consommateurs.

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En dépit de leurs atouts et du dynamisme de la demande, l’agriculture et les agriculteurs français sont sinistrés. Le secteur, qui génère 4 millions d’emplois, constitue un pilier majeur de l’économie française. Il dispose du meilleur potentiel en Europe, alignant 30 millions d’hectares, des pôles d’excellence dans la consommation de masse et le luxe, une recherche traditionnellement forte, une industrie agroalimentaire et une distribution puissantes.

Pourtant, ses performances se sont effondrées, avec une chute de 9,1 à 6 milliards d’euros de l’excédent commercial en 2009 qui ravale notre pays au troisième rang européen, très loin derrière l’Allemagne.

Le décrochage est particulièrement brutal dans les céréales (- 24 %), les vins et champagnes (- 22 %, alors que la consommation mondiale a progressé de 15 % en une décennie), les produits laitiers et les fromages (- 16 %). Dans le même temps, le déficit se creuse fortement pour la viande (quand les exportations allemandes de porc ont bondi de 35 % en cinq ans) comme pour les fruits et légumes.

La conséquence immédiate est une violente crise du revenu des agriculteurs, qui a diminué de 34 % en 2009 après avoir perdu 20 % en 2008, malgré le déversement de 11 milliards d’euros de subventions européennes.

La compétitivité de l’agriculture française a été ruinée par l’étatisme, le malthusianisme et le protectionnisme promus par les pouvoirs publics et les syndicats. Au lieu de s’adapter à l’évolution inéluctable de la politique agricole commune en raison de l’élargissement et du redéploiement du budget de l’Union vers les politiques de soutien de la compétitivité, gouvernements et représentants du monde agricole ont lutté pour ériger l’agriculture et l’Europe en forteresses, coupées des marchés et des consommateurs. Les prix se sont envolés sous la pression des coûts du travail, de la multiplication des réglementations et des taxes, de la surévaluation de l’euro enfin. Le secteur est passé sous complet contrôle de l’Etat, qui mobilise un nombre de fonctionnaires supérieur à celui des exploitants pour gérer quelque 300 procédures de subventions accaparant le tiers du temps de travail des producteurs. L’économie subventionnée est allée de pair avec la promotion de l’agriculteur jardinier du paysage au détriment du producteur. Le Grenelle de l’environnement a porté le coup de grâce en interdisant de fait les OGM, provoquant le déclassement de la recherche française dans les biotechnologies.

L’agriculture, à l’image de l’appareil productif français, n’est nullement condamnée mais doit produire, investir et innover dans la mondialisation.

Les exploitations doivent être concentrées et spécialisées, à l’exemple des pays d’Europe du Nord. Des filières de production ont vocation à être mises en place comme en Allemagne, avec une négociation contractuelle intégrant le partage de la valeur ajoutée. L’évolution des besoins et des goûts des consommateurs gagnerait à être prise en compte, notamment dans le secteur viticole, où la complexité des appellations et l’envolée des tarifs se sont conjuguées pour faire la fortune des exportations des Etats-Unis, de l’Argentine, du Chili et de l’Australie dont les parts de marché mondiales ont progressé de 20 à 31 % en dix ans.

Les subventions européennes devraient être régionalisées, distinctes selon les types d’exploitations (intensives, intermédiaires, hors sol, touristiques…) et dirigées vers la production à travers le développement des mécanismes contractuels et des marchés.

Enfin, la recherche et les investissements dans les biotechnologies doivent être libérés. L’étatisme et le corporatisme ont écarté l’agriculture comme la France du tournant de la mondialisation. Leur salut ne se trouve pas dans la réhabilitation de l’économie administrée, mais dans la reconstruction d’une offre compétitive tournée vers les consommateurs du XXIe siècle. 

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EN COMPLEMENT : Agriculteurs: une population encore marquée par des valeurs traditionnelles

Les agriculteurs qui se rapprochent du reste de la population en matière de niveau de vie et de consommation, demeurent toujours attachés à des valeurs traditionnelles comme le travail et le territoire, selon une étude publiée mardi par le ministère de l’Agriculture.

Dans cette étude intitulée « les agriculteurs dans la société française », son auteur Céline Laisney souligne que « l’ensemble du monde agricole est en train de changer profondément, et sans que le reste de la société ne s’en rende vraiment compte ».

La part des agriculteurs dans la population active s’est réduite de 8 à 3,4% de 1980 à 2007.

Si les femmes d’agriculteurs travaillent de plus en plus en dehors de l’exploitation, les nouveaux exploitants sont de plus en plus nombreux à ne pas venir du milieu agricole.

Et ce n’est pas un temps de travail nettement supérieur aux autres catégories qui les rebutent. Les agriculteurs travaillent 54 heures en moyenne par semaine, contre 52 heures pour les artisans, commerçants et chefs d’entreprise, 42 pour les cadres et 36,5 pour les ouvriers.

La pratique religieuse des agriculteurs reste élevée: en 2005, 64% des femmes et 37% des hommes déclarent pratiquer une religion de manière occasionnelle ou réguliere, contre 35% et 27% chez les non-agriculteurs.

Cela va de pair avec des valeurs traditionnelles: l’opposition à l’avortement, à l’infidélité et à l’homosexualité est plus élevée chez les agriculteurs.

Ils sont aussi attachés aux valeurs de l’entreprise et du libéralisme, à celles de la discipline et de l’effort, autant de caractéristiques qui les ancrent à droite. En 2008, 42% d’entre eux se déclaraient proches de l’UMP.

L’enquête montre que le niveau de vie des agriculteurs tout en restant inférieur, a augmenté pour se rapprocher du niveau moyen, au moins jusqu’en 2007. Mais à partir de cette année, les revenus ont chuté de plus de 50% pour l’ensemble du secteur agricole.

Comme leurs concitoyens, les agriculteurs ont profité du formidable essor de la consommation depuis 40 ans. En 2007, ils possèdent presque tous les principaux équipements de la maison. Ils sont même plus équipés en terme de communications (téléphone portable, internet) que le reste de la population.

Les conditions de logement des agriculteurs, longtemps nettement inférieures à celles du reste de la population, se sont considérablement améliorées. En 1970, 60% de leurs logements n’avaient pas l’eau courante. En 2002, seuls 2,3% étaient sans confort.

Les familles d’agriculteurs semblent moins concernées par les mutations qui touchent la famille contemporaine. En 2006, seulement 4% des exploitants (20-69 ans) sont divorcés contre plus de 8% pour la moyenne française. Familles monoparentales et naissances hors mariage sont rares.

Contrairement aux idées reçues, les agriculteurs ne sont pas une population particulièrement marquée par le célibat. Ils le sont même moins souvent que la moyenne nationale.

Les agriculteurs restent encore le groupe social où l’on se marie le plus entre soi mais la tendance s’estompe. Si en 2000, 70% des conjointes d’agriculteurs âgés de 60 à 65 ans étaient d’origine agricole, ce n’était plus le cas que de 39% des conjointes de 25 à 30 ans.

PARIS, 8 juin 2010 (AFP)

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