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Brendan Brown : Un retour aux préceptes monétaristes est nécessaire….

Brendan Brown : Un retour aux préceptes monétaristes est nécessaire. 

 L’économiste monétaire fustige la stratégie récente de la BNS.

 La crise de l’euro a conduit la Banque nationale suisse (BNS) à accumuler des réserves d’une ampleur anormale. Depuis, ses anciens chefs économistes Georg Rich et Kurt Schiltknecht, son ancien vice-président Niklaus Blattner, ainsi qu’Ernst Baltensperger, directeur du centre d’études de Gerzensee de la BNS, ont fait publiquement part de leurs préoccupations et invité la banque centrale à mettre fin à la politique extrêmement expansive des dernières années. Ce qu’elle semble désormais faire.

L’économiste monétaire Brendan Brown, auteur d’un nouvel ouvrage sur le crash de l’euro, estime que la BNS, en se rattachant au consensus international du ciblage de l’inflation, assorti d’une phobie fétichiste de la déflation, s’est trop éloignée de la stratégie monétariste qui consiste à contrôler la masse monétaire. Cette politique fut pourtant à l’origine du succès traditionnel du franc suisse. La conséquence des excès récents: des opportunités manquées pour l’économie suisse de réaliser des investissements plus rentables et un risque d’instabilité et d’inflation. La critique vaut d’ailleurs autant pour d’autres banques centrales, qu’il s’agisse de la Réserve fédérale américaine, de la Banque centrale européenne ou de la Banque d’Angleterre. Brendan Brown plaide pour un changement de doctrine

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 Les errements de la Banque nationale

L’économiste Brendan Brown estime que la politique monétaire doit revenir à des stratégies éprouvées. Le ciblage de l’inflation ne convainc plus.

Les critiques à l’endroit de la politique de la Banque nationale suisse (BNS) se font de plus en plus pressantes. Depuis 2008, la banque centrale a plus que doublé son bilan et accumulé durant les cinq premiers mois de cette année des réserves supplémentaires en euro de l’ordre de 45% du PIB – des interventions sans précédent qui ont été jusqu’à faire sortir d’anciens membres du directoire de la banque de leur réserve. Brendan Brown, auteur de Euro Crash: The Implications of Monetary Failure in Europe (Palgrave Macmillan, 2010) et chef économiste chez Mitsubishi UFJ Securities à Londres,l’un des observateurs monétaires les plus en vue, en éclaire les conséquences.

Dans quelle mesure la politique de la BNS est-elle déplorable?

Sur la durée, l’accumulation de réserves en euro représente un gaspillage de ressources important. Elle empêche l’économie suisse de réaliser des investissements à rendement plus élevé, à l’exemple d’investissements directs  à l’étranger ou de valeurs de placement étrangères. La capacité traditionnelle de l’économie suisse d’effectuer des investissements très efficients à l’étranger grâce à une monnaie forte est endommagée par la Banque nationale. Sa stratégie récente rappelle davantage celle des autorités monétaires de la République populaire de Chine.

Le gonflement du bilan de la BNS pose-t-il un défi à l’économie nationale?

A plus long terme, oui.

 Comment,en effet, les réserves excessives vont-elles pouvoir être absorbées et stérilisées? Avec une reprise de l’économie mondiale, les banques commerciales ne se contenteront plus de garder de vastes quantités de bons de la BNS, laquelle devraalors se tourner vers des investisseurs non bancaires. L’opération exigera des rendements élevés.

Politiquement, ce sera difficile, car le coût des interventions massives de ces derniers mois deviendra apparent: il ne s’agit de rien d’autre que d’un amoncèlement démesuré de dettes, à ce stade encore dissimulées dans le bilan de la BNS. A terme, il y a donc un risque d’instabilité financière et d’inflation évident.

Sur le siècle dernier, le franc suisse a perdu 87% de sa valeur par rapport à l’or, alors que la plupart des autres monnaies ont perdu plus de 99%. Cela rouvre le débat sur la doctrine la plus appropriée en politique monétaire…

La BNS était jusqu’à la fin des années 1980 essentiellement une institution monétariste très indépendante, ce qui fut l’un des facteurs principaux du succès de sa politique et de la stabilité relative du franc, qui reposait sur un contrôle strict de la masse monétaire. Cette politique est à l’origine de l’image de marque encore répandue d’un franc suisse solide et stable. Elle a également soutenu l’essor exceptionnel de la place financière. Dès les années 1990, la BNS s’est détournée de cette position monétariste éprouvée pour rejoindre les autres banques centrales et embrasser le consensus du ciblage de l’inflation. Elle a donc abandonné ce qui faisait du franc suisse une monnaie distincte.

Le franc s’en sort cependant toujours mieux…

Pour deux raisons: d’une part, l’endettement et les déficits publics de la Suisse se présentent beaucoup mieux que dans la plupart des autres pays d’Europe ou qu’aux Etats-Unis. D’autre part, l’alarme sur l’avenir de l’euro a également contribué à la force du franc. Mais il faut également tenir compte que le renchérissement du franc est une conséquence de l’avoir maintenu très bon marché durant la dernière décennie par le biais de taux d’intérêt extrêmement bas, au nom du ciblage de l’inflation.

Cela a d’ailleurs provoqué une bulle substantielle dans le carry trade: les investisseurs d’Europe de l’Est ou d’Espagne, notamment, ont recouru abondamment aux emprunts en francs. La correction intervenue suite à l’éclatement de la bulle des crédits est donc une réponse provoquée artificiellement par la politique antérieure de sousévaluation.

Aujourd’hui, sans les interventions de la BNS, il serait réaliste que le franc s’échange à 1,20 contre l’euro.

Les banquiers centraux devraient d’abord surmonter leur peur de la déflation…

La déflation est un concept très mal compris. Le fétichisme des banques centrales découle d’une mauvaise interprétation, d’inspiration typiquement keynésienne, de la «décennie perdue» au Japon.

Or, le recul des prix observé là-bas était dû davantage aux gains de productivité grâce aux nouvelles technologies de l’information, aux importations bon marché en provenance de Chine et au repli de l’économie qu’à la politique monétaire. Dans une économie de marché libre, il serait tout à fait normal que les prix puissent s’adapter vers le haut ou le bas. De tels ajustements sont compatibles avec la stabilité des prix sur la durée.

Avant que Keynes et les «combattants » de la déflation ne faussent le jeu, l’expectation de prix plus élevés était d’ailleurs un moteur important de reprise après une récession.

La BNS devrait-elle renouer avec une théorie monétaire plus saine?

La stratégie actuelle n’est plus convaincante et à mon sens la BNS devrait retourner à certains de ses concepts originaux, en particulier le contrôle de la masse monétaire.

Le problème du ciblage de l’inflation est qu’il n’est un indicateur de rien. C’est une politique opérationnelle illusoire, comme l’ont montré les bulles successives sur les marchés en raison de l’expansion excessive des agrégats monétaires. Le développement le plus encourageant serait que la BNS se distancie de cette stratégie erronée, d’autant plus face aux incertitudes monétaires et politiques qui planent sur l’euro.

 Le consensus monétaire actuel est dénué de tout fondement stable. Mais il manque actuellement un Milton Friedman ou un Friedrich Hayek pour relancer le débat sur la politique appropriée…

INTERVIEW:PIERRE BESSARD agefi juil10

4 réponses »

  1. Le consensus est très puissant dans notre monde. Plus personne, à aucun niveau, ne semble encore avoir le courage de se démarquer et on préfère se tromper collectivement que de risquer d’avoir raison seul.
    Ceci vaut pour tout dans notre société où le politiquement correct et la pensée unique ont pris le pas sur l’honnêteté intellectuelle et la remise en question.

    Encore un grand bravo à toi Lupus pour ce blog raffraichissant qui obtient un succès amplement mérité. Il compte parmis ceux que je consulte le plus.

  2. article très intéressant. Je trouve passionnant ce type de débats ce qui ne m’empêche pas de ne pas être convaincu par son argumentaire. Soit, si la BNS n’était pas intervenue, le cours €/CHF serait tombé à 1.20 mais un tel cours aurait-il été un avantage pour la suisse ? A mon avis, non.
    L’auteur a peut-être été aigri car il avait pronostiqué un tel résultat ?

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