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Le politique contre les marchés par Bruno Bertez

Le politique contre les marchés par Bruno Bertez

   Ecarter l’hypothèse d’une défaillance souveraine majeure dans les stress tests est un choix politique. Il engage la responsabilité de l’Europe.Mais aussi des gouvernements et des dirigeants qui se sont exprimés.

No Stress Banksters « Des tests sans le stress ou comment les banquiers gonflent leur moral » (cliquez sur le lien)

PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

 On ne saurait échapper à un énième développement sur les stress-tests. Pourquoi? Parce que «la situation des banques et des remèdes que l’on proposera d’y apporter … est déterminante». Et la publication des stress-tests européens est, sous cet aspect, comme l’a dit Trichet le 26 juillet à Bâle, «une étape clé en matière de transparence sur la solidité des établissements de crédit».

La question des stress-tests doit être abordée sous son aspect fondamental. Mais seulement après avoir évacué, survolé, l’aspect nouvelles. Trois thèmes, présentés un peu comme s’il s’agissait de combats, ressortent.

 Le combat de la technique contre le fondamental.

Le combat entre les Banques Centrales inflationnistes et l’austère BCE. L

Le combat plus vaste des gouvernements et régulateurs européens contre les marchés.

Dans la semaine au 23 juillet, le yo-yo financier est reparti à la hausse. L’indice phare du marché mondial, le S&P500, a fait un bond de 3,5%. C’est tout le complexe du risque qui a été recherché, les émergents, la Chine, les commodities, le pétrole et bien sûr les actions mondiales. Confirmant le retour du balancier en faveur du risque, les marchés obligataires subissent des dégagements. Ainsi le Bellweather mondial, le 10 ans US, a reculé sensiblement ce qui a fait remonter son rendement juste au-dessus des 3%, une hausse de 9 points de base. Le 30 ans est repassé au-dessus des 4% à 4,02%. Conformément à la tendance globale favorable au risque, le dollar est resté plutôt faible, mais cela ne se traduit pas au niveau du Dollar Index. Il est stable dans ses bas niveaux à 82,50. Le recul du dollar a été vif contre les commodity currencies et les émergents, mais ceci a été compensé à l’inverse par une relative bonne tenue face au yen, au franc suisse et face à l’euro.

Les tendances observées la semaine dernière restaient valables. Elles avaient plutôt tendance à se conforter avec, en particulier, des franchissements de seuils intéressants. Le Dow Jones est redevenu positif pour l’année. Le S&P flirte avec le positif. Grâce à la forte performance de jeudi 22, les grands indices sont sortis de leur tendance baissière, ils sont repassés à l’unisson au-dessus de leur moyenne mobile des 50 bourses. A l’heure où nous écrivons, ils sont en train de confirmer en retraversant la moyenne mobile longue des 200 bourses. Tout ceci donne incontestablement des signaux techniques favorables qui permettent d’envisager

1) un retour dans les plus hauts de la mi-juin,

2) une tentative de reconquête de ceux atteints début mai, soit la zone des 1170/1180 pour le S&P500.

En résumé de l’examen de cette photo, sinon instantanée, du moins hebdomadaire, on constate un regain sensible d’appétit pour le risque et la spéculation. La communauté spéculative mondiale se dit qu’il y a peut-être une plage, une fenêtre, pour un bon petit trading haussier. Nous disons «fenêtre» car cette même communauté nous paraît à ce jour manquer de conviction. Les volumes sont faibles, on tire les cours dans le vide. Cela donne l’impression d’être un peu forcé, voire artificiel. Cela se comprend, les tendances longues sont incertaines et fragiles. De fait, le fondamental n’est guère porteur, comme le font remarquer les observateurs spécialisés dans le pessimisme, 80% des indicateurs publiés au cours du dernier mois ont envoyé des signaux négatifs.

Certes, les bénéfices publiés sont excellents (lire l’analyse dans notre précédente chronique) avec 80% de publications supérieures aux attentes.

Semaine de stress avant les tests par Bruno Bertez (cliquez sur le lien)

Mais ce qui fait problème, ce sont les chiffres d’affaires, les ventes, l’activité. Les marges bénéficiaires sont superbes, mais la croissance est médiocre. Non seulement elle ne fait pas boule de neige, mais elle ralentit clairement. Avril pourrait bien avoir été un pic. La plupart des indicateurs vont dans ce sens et les dérivées de ces indicateurs, les vitesses de progression, s’affaissent, voire deviennent négatives.

L’un des indicateurs précurseurs les plus suivis par les Cassandre, le WLI (ECRI Weekly Leading Index) a pris une orientation franchement déplaisante avec un taux de croissance (en fait de décroissance) de -10,5%.

ecri2 ECRI GROWTH UNCHANGED IN LATEST WEEK

Le WLI pointe dans le sens de la rechute, d’un double-dip. Il suffirait de quelques mauvaises statistiques au cours de la première quinzaine du mois d’août pour confirmer cette vision pessimiste. Auquel cas, il faudrait se préparer à ce que, deux mois plus tard, la prise de conscience du consensus se modifie dans un sens franchement négatif. La rentrée et surtout le mois d’octobre pourraient bien apporter un lot de mauvaises nouvelles pour l’économie américaine.

Pour conclure sur ce combat entre le technique et le fondamental, nous dirons qu’il y a place pour un beau petit rally haussier. Un rally à emprunter ou à louer, mais surtout pas à acheter, car sur un fond fragile, les retours de bâton peuvent être douloureux. Les fondations de l’édifice ne justifient absolument pas une position d’investisseur. La croissance n’est pas auto-entretenue. Les prix des actions sont peu attrayants. Le prix du risque est sous-évalué.

Considérations estivales par Guy Wagner (cliquez sur le lien)

Ce qui soutient les cours, c’est la conjonction de l’esprit spéculatif et des liquidités. A ce propos, et ceci va dans un sens haussier, il nous faut signaler que l’une des mesures de la liquidité mondiale, AggregateM2, publiée par Bloomberg, est redevenue très expansionniste. Elle s’était nettement tassée de novembre à juin 2010 et, maintenant, elle est franchement repartie à la hausse, elle rebondit. Autrement dit, la machine à faire des bulles est toujours là et elle tourne.

http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=M2:IND (cliquez sur le lien)

Ceci nous amène à notre deuxième combat, notre deuxième opposition, celle qui existe entre les Banques Centrales.

Bernanke est sorti mercredi dernier. Il ne nous a rien appris, mais cela n’a pas d’importance car les marchés ne fonctionnent pas comme nous; ils prennent les nouvelles au jour le jour, comme si elles étaient vraiment nouvelles. Bernanke a déclaré que l’ «l’outlook is unusually incertain», et que la Fed «is ready to act if the economy slows significantly or falls back into recession». Simplement dit et traduit en langage vulgaire, cela veut dire que Bernanke reconnaît l’échec des politiques de stimulation. Il admet s’être trompé avec la fameuse théorie hasardeuse des «green shoots» lancée en mars 2009. Et il dit, comme on s’y attendait, que la Fed est prête à aller plus loin dans sa politique monétaire stimulante non conventionnelle. Il esquisse même quelques pistes. La Fed est en retard sur les marchés, mais cela leur fait toujours plaisir d’avoir une confirmation autorisée de ce qu’ils savent déjà. Les Etats-Unis pensent que la croissance faible a toute chance de justifier de nouveaux soutiens monétaires et fiscaux. Avant Bernanke, Summers, conseiller d’Obama, était venu lui aussi le dire dans la presse.

En sens inverse, Jean Claude Trichet, deux jours plus tard, est venu dans le Financial Times défendre l’idée diamétralement opposée: «Stimulate no more». Il ne faut plus de stimuli, il est maintenant temps pour tous de resserrer, a martelé le patron de la Banque Centrale Européenne. On ne peut être plus en opposition avec la vision américaine.

Les arguments de Trichet/de la BCE/de l’Allemagne sont simples: «il faut éviter l’asymétrie entre la stimulation audacieuse et la consolidation hésitante». Les bénéfices de la stimulation sont minces. L’expérience montre que ceux de la consolidation sont grands. Les modèles keynésiens ne sont plus valables. La détérioration de la confiance est un phénomène essentiel; elle invalide les modèles économiques, ils cessent d’être linéaires.

Bernanke/Summers/et les Etats-Unis pensent qu’ils peuvent encore faire un nouveau round de stimulation sans risque. Ils le pensent, comme la majorité des économistes américains, grâce au statut régalien du dollar et de la dette gouvernementale américaine. En cela ils négligent les avertissements de Greenspan sur l’absence de risque souverain, mais la présence d’un risque de taux bien réel.

Trichet et l’Europe du Nord sont persuadés que la limite de la confiance a été touchée et qu’aller plus loin dans la stimulation déclencherait des réactions négatives des marchés et des agents économiques.

Nous aimons bien cette idée de Trichet selon laquelle il faut consolider maintenant, remettre de l’ordre dans les finances publiques, afin de pouvoir faire face à de nouveaux chocs systémiques, lesquels sont possibles et peut-être même prévisibles. Il faut reconstituer un capital de crédibilité, des marges de manœuvre, des amortisseurs, c’est la plus élémentaire prudence. Mais cela sera t’il suffisant pour faire face aux dislocations futures? Sera ce suffisant? Est-il bien opportun de faire ce sacrifice du court terme? Nous en doutons. Le monde est hiérarchisé, les Etats-Unis sont le Centre, le seul Centre encore et, s’il y a rechute, s’il y a de nouveaux développements négatifs, personne ne pourra s’y opposer. Personne ne pourra s’isoler. Aucun refuge. Pourquoi? Parce que l’interconnexion financière et bancaire est restée maximum; parce qu’elle est intacte et parce que c’est le moyen privilégié de contagion des crises.

La BCE, l’Europe, l’Allemagne, n’ont pas réussi, ont à peine entrepris leur sanctuarification.

Malgré les stress-tests, aucune grande banque universelle européenne ne résisterait à un nouvel excès de stress américain. A peine résisterait-elle à une rechute de l’immobilier. Elle ne résisterait pas à un nouveau grippage des rouages du système financier. Suivez mon regard par exemple du côté des Landesbanken allemandes.

Le Shadow Banking System s’est rétréci de 5 trillions si l’on en croit la récente étude de la Fed de New York, mais il fait encore au moins 15 trillions. Plus que l’ensemble de crédit commercial classique! Et les établissements européens sont en première ligne en cas de nouvelle alerte. Car c’est l’Europe par l’intermédiaire du Shadow Banking System plus encore que l’Asie, la Chine ou le Japon, qui couvrent les besoins financiers américains. C’est l’Europe qui a la charge de l’intermédiation. C’est l’Europe qui a financé les subprimes et qui les nourrit encore. C’est l’Europe qui finance le gouvernement américain et qui souffle dans la bulle des Treasuries. Faute de deleveraging, faute de régression dans le recours aux dérivés, faute d’une politique volontariste de réduction des risques, le système bancaire et financier européen reste solidaire du système mondial, c’est à dire du système américain. Et si les Etats-Unis prenaient le risque d’aller plus loin, d’être encore plus audacieux et plus imprudents dans la stimulation, l’Europe en subirait les effets. La contagion se ferait comme en 2007/2008, etc. La diversification est illusoire, l’isolement est impossible: tout, quand le système se disloque, devient corrélé.

Depuis la Crise la corrélation est maximale entre les differents marchés actions

http://ftalphaville.ft.com/blog/2010/07/28/300191/barcap-on-correlation-and-etfs/ (cliquez sur le lien)

Les stress-tests européens ne sont pas des tests de solidité des banques. Elles ont été testées sur des hypothèses très limitées, très circonscrites. Les mauvaises langues disent que les stress-tests sont une farce et qu’elle a été conçue pour produire des résultats satisfaisants. Il y a même des spécialistes qui disent que Lehman Brothers aurait passé ces tests avec succès! C’est un avis que nous ne partageons pas. Les stress-tests européens n’ont ni plus ni moins de valeur que les stress-tests réalisés auparavant par les Etats-Unis. Les hypothèses et les conditions sont différentes, c’est évident, mais la garantie de solidité est aussi contestable.

Nous pensons que l’intérêt des stress-tests est ailleurs.

D’abord, il est dans la transparence. Comme le souligne Trichet, les banques ont peu ou prou publié leurs expositions aux risques souverains européens. Nous disons peu ou prou car il y a quelques petites cachotteries allemandes. Chacun peut calculer, imaginer, faire des scénarios. C’est un progrès face à l’incertitude antérieure.

StressTests Banksters : des banques allemandes n’ont pas tout publié… (cliquez sur le lien)

Ensuite, il y a la coupure, la répartition entre le trading book et le banking book. Les positions de marché des banques ont été testées. Les positions en capital, en investissement jusque maturité, ont été mises à part. Ces positions dans le banking book représentent l’essentiel du risque couru par les banques. Ce sont ces chiffres ou ces estimations qui ont fait se gripper le marché interbancaire tout au long de ces dernières semaines. Ce banking book, on l’a donc mis de côté, on n’y touche pas. L’hypothèse de dépréciation, de restructuration, de défaut des pays souverains européens est rejetée, elle est hors jeu du système. Nous pensons que là est l’important. Dans la coupure, dans la création d’un sanctuaire.

La décision prise par Ecofin et le CEBS (Committee of European Banking Supervisors) est une décision extrêmement importante qui les dépasse. Ecarter dans les stress l’hypothèse de stress majeur souverain est un choix politique. Il engage la responsabilité de l’Europe, des gouvernements et même des dirigeants qui se sont exprimés. Tout se passe comme s’ils avaient garanti qu’il n’y aurait pas d’issue fatale à la crise de la dette souveraine des pays du sud et de l’Irlande. Cet engagement a déjà été donné, mais il est confirmé par le choix des hypothèses de stress-tests. Cet engagement est crédibilisé par l’article de Trichet dans le Financial Times, dont nous avons parlé. Et c’est la raison pour laquelle nous pensons que les deux, à savoir publication des stress-tests/publication de l’article de Trichet ne font qu’un et doit être pris ensemble.

Bruno Bertez : De la crédibilité des stress-tests (cliquez sur le lien)

Ayant décidé de mettre hors jeu le risque souverain européen, l’Europe va être conduite à en assumer la responsabilité. Il n’est pas sûr que les pays forts en aient conscience. Il n’est pas sûr que les pays faibles se doutent de ce qui les attend. L’Europe va devoir se donner les moyens de cette décision ambitieuse. Nous pensons que les stress-tests sont l’affirmation d’un choix qui, certes, ne se formule pas, mais qui se donne à voir, il suffit de mettre les choses bout à bout. Après les critiques contre les agences de rating, après l’émasculation de la spéculation, l’Europe s’engage dans un combat terrible, ce sera la volonté politique contre les marchés.

 Bruno Bertez  agefi juil10

6 réponses »

  1. Quand l’Allemagne lance un emprunt à 4 ans, elle doit payer un taux d’intérêt de seulement 1,26 %.

    En revanche, la situation du Portugal est de plus en plus catastrophique :

    – Emprunt à 4 ans :

    En novembre 2009, le Portugal avait lancé un emprunt à 4 ans. Le Portugal avait dû payer un taux d’intérêt de 2,759 %. Mercredi 28 juillet 2010, le Portugal a de nouveau lancé un emprunt à 4 ans. Cette fois, il a dû payer un taux d’intérêt de … 3,621 % !

    – Emprunt à 13 ans :

    En janvier 2010, le Portugal avait lancé un emprunt à 13 ans. Le Portugal avait dû payer un taux d’intérêt de 4,416 %. Mercredi 28 juillet 2010, le Portugal a de nouveau lancé un emprunt à 13 ans. Cette fois, il a dû payer un taux d’intérêt de … 5,377 % !

    Conclusion numéro 1 : plus les jours passent, plus le Portugal se surendette.

    Plus les jours passent, plus le Portugal doit emprunter à des taux de plus en plus exorbitants.

    Plus les jours passent, plus le Portugal se rapproche du défaut de paiement.

    http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2010/07/28/97002-20100728FILWWW00390-le-portugal-leve-128-md-d-obligations.php

    De la même façon, la situation de l’Espagne est de plus en plus catastrophique :

    – Emprunt à 3 ans :

    Mardi 13 avril 2010 : l’Espagne a lancé un emprunt à 3 ans. Elle a dû payer un taux d’intérêt de 2,04 %. Deux mois plus tard, jeudi 10 juin 2010, l’Espagne a de nouveau lancé un emprunt à 3 ans. Elle a dû payer un taux d’intérêt de … 3,39 % !

    – Emprunt à 5 ans :

    En mars 2010, l’Espagne devait payer un taux d’intérêt de 2,62 %. Trois mois plus tard, le jeudi 1er juillet 2010, l’Espagne a dû payer un taux d’intérêt de … 3,657 % !

    – Emprunt à 10 ans :

    En mars 2010, l’Espagne devait payer un taux d’intérêt de 3,8 %. Jeudi 17 juin 2010, l’Espagne a dû payer un taux d’intérêt de … 4,911 % !

    – Emprunt à 30 ans :

    Jeudi 18 mars 2010 : l’Espagne a lancé un emprunt à 30 ans. Elle a dû payer un taux d’intérêt de 4,768 %. Trois mois plus tard, jeudi 17 juin 2010, l’Espagne a de nouveau lancé un emprunt à 30 ans. Elle a dû payer un taux d’intérêt de … 5,937 % !

    Conclusion numéro 2 : plus les jours passent, plus l’Espagne se surendette.

    Plus les jours passent, plus l’Espagne doit emprunter à des taux de plus en plus exorbitants.

    Plus les jours passent, plus l’Espagne se rapproche du défaut de paiement.

    Conclusion numéro 3 : les grands médias français ne nous informent plus du tout de l’évolution du Portugal, de l’Espagne, de l’Irlande, de la Grèce. Pourquoi ? Hein, pourquoi ?

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