Droit, propriété, propriété intellectuelle

Les causes économiques et sociales du printemps arabe par Emmanuel Garessus

Les causes économiques et sociales du printemps arabe par Emmanuel Garessus

Soif de liberté, colère de la jeunesse contre les dictatures relayée par les réseaux sociaux, opposition musulmane à des régimes séculaires, les causes de cette révolution sont nombreuses, mais les facteurs économiques ne peuvent être ignorés…..

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L’espoir de démocratie est immense, mais personne ne peut dessiner les traits du futur modèle politico-économique du monde arabo-musulman.

Des réformes économiques ont été entreprises en Egypte et ailleurs à partir des années 1990, très limitées toutefois, mais sans s’accompagner de réformes politiques fondamentales. Les deux sont étroitement liées. La propension de beaucoup d’ONG de séparer l’Etat de droit et l’économie de marché ne mène nulle part, explique fort justement Detmar Doering dans une étude des pays arabes publiée par la Fondation Friedrich Naumann.

Le classement de la compétitivité économique, effectué par le World Economic Forum (WEF), ne semble ici d’aucun secours. Il présente les pays arabes comme un ensemble hétérogène. Les Emirats arabes unis (E.A.U.) figurent au 25e rang, la Tunisie au 32e, Bahreïn au 37e, tandis que d’autres figurent en queue de peloton, comme l’Iran au 69e rang, le Maroc au 75e, l’Egypte au 81e, l’Algérie au 86e, la Syrie au 97e et finalement la Libye au 100e sur 139.

L’approfondissement des facteurs qui mènent à ce classement permet une première approche des causes de l’insurrection. Il faut toutefois se distancer des éléments conjoncturels.

 Au critère de l’environnement macroéconomique, la Libye figure à un honorable 7e rang, les E.A.U. au 12e, Bahreïn 11e, l’Egypte 129e rang. En surface, tout semblait donc calme et serein.

Le WEF a toutefois clairement souligné l’échec des pays arabo-musulmans à travers les critères institutionnels. La Libye n’est ici que 111e, la Syrie 78e, le Maroc 66e, l’Egypte 57e. Toutefois, les institutions de Bahreïn (27e) et des E.A.U. (20e) étaient mieux notées.

La chute des régimes autoritaires peut toutefois être retardée si le marché de l’emploi est sain. Car l’un des principaux défis du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord est démographique, ainsi que l’écrit Martin Wolf, dans le Financial Times. En Egypte, l’espérance de vie est passée en un demi-siècle de 44 à 70 ans et la mortalité infantile de 35% à 0,2%. Aujourd’hui, la moitié de la population égyptienne a moins de 25 ans. Ces progrès considérables sont cependant la source d’un défi majeur. Le pouvoir doit canaliser la formidable énergie de la jeunesse et lui assurer un emploi de qualité et des perspectives de développement.

D’ailleurs la chute des régimes arabes a démarré lorsqu’un jeune Tunisien, diplômé de l’université devenu vendeur de fruits ambulants pour faire vivre sa famille, s’est immolé par le feu à la suite de la confiscation de sa marchandise par la police*.

Ces économies sont précisément les plus mal classées au monde selon les critères de formation supérieure et de l’efficacité du marché du travail, à l’image de l’Iran (87e et 135e) de la Libye (95e et 139e), de l’Egypte (97e et 133e), de l’Algérie (98e et 123e), du Maroc (102e et 130e).

De même, au classement de la liberté économique dans le monde établi par la Fondation Friedrich Naumann, les pires notes attribuées à l’Egypte ont trait au marché du travail et aux entreprises.

Le gouvernement Moubarak a libéralisé les éléments monétaires de façon conséquente, mais le système juridique et politique est resté gelé. Pour Detmar Doering, l’alliance d’une politique monétaire expansive et d’un durcissement du marché du travail a nourri les frustrations de la jeunesse. Alors que la quote-part d’actifs s’est légèrement accrue ces 30 dernières années dans le nord de l’Afrique et au Moyen-Orient (de 49,1% à 51,1%), elle s’est détériorée en Egypte (de 52,5% à 47,8%). La majorité de la population n’a pas profité des réformes et l’espoir des jeunes a été étouffé.

Au coefficient Gini des inégalités calculé par la Banque mondiale, l’Egypte (32,1) est semblable à la Suisse et se classe mieux que la Tunisie (40,8), le Maroc (40,9) et surtout le Qatar (41). Mais le niveau d’inégalité importe bien moins que l’espoir inassouvi d’ascension sociale.

La mobilité sociale est impossible dans des pays où les entrepreneurs ne sont pas récompensés pour leur compétitivité, mais pour leur proximité au pouvoir.

En Egypte, l’absence d’état de droit a donc nourri les problèmes sociaux et provoqué une forte redistribution du bas vers le haut.

De tous les critères utilisés, l’Etat de droit a le plus important pour le fonctionnement d’une économie. L’économie de marché est par définition l’échange volontaire de droits de propriété. Or il ne peut y avoir un fonctionnement correct de l’économie de marché sans garantie des droits de propriété matérielle et intellectuelle. A ce dernier classement, réalisé par l’International Property Rights Index, l’Egypte n’arrive qu’au 67e rang sur 125, la Libye au 113e ex aequo avec l’Algérie.

* «La Tribune» 14.02.2011

Emmanuel Garessus /Le temps fev11

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