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Risque Nucléaire /Japon : La situation à Fukushima toujours «imprévisible»

Risque Nucléaire /Japon : La situation à Fukushima toujours «imprévisible»

50 travailleurs de Fukushima dans la radioactivite Héros de Fukushima

Les propos sont signés du premier ministre Naoto Kan, après la découverte de taux trop élevés de radioactivité dans des légumes provenant de Tokyo. La compagnie d’électricité peine à alimenter la capitale et a été sommée d’améliorer les conditions de sécurité pour ses employés, dont trois ont été irradiés. Les derniers événements

PLUS DE RISQUE EN SUIVANT :

Situation «imprévisible» 

La situation à la centrale nucléaire accidentée de Fukushima reste «imprévisible», a prévenu vendredi le premier ministre japonais, Naoto Kan, deux semaines après le tsunami qui a gravement endommagé plusieurs réacteurs et entraîné des fuites radioactives. «Nous travaillons à ce que la situation n’empire pas. Nous devons être extrêmement vigilants», a-t-il ajouté. 

Des aliments radioactifs à Tokyo 

Un niveau anormalement élevé de radioactivité a été détecté pour la première fois dans des légumes provenant de Tokyo, a indiqué le Ministère japonais de la santé, cité vendredi par les médias. 

Du césium radioactif, à un niveau excédant la limite légale, a été découvert jeudi dans un légume à feuilles vertes, le komatsuna, cultivé dans la périphérie de Tokyo et à 250 km de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima. 

Les autorités japonaises ont interdit en début de semaine la vente de plus d’une dizaine de légumes et du lait cru provenant de quatre préfectures proches de la centrale nucléaire accidentée. Le premier ministre, Naoto Kan, a également ordonné des tests dans six autres préfectures, dont certaines proches de la mégapole de Tokyo et de ses 35 millions d’habitants.  

Pénurie d’électricité

 La compagnie d’électricité de la région de Tokyo peine à alimenter la capitale à cause des dommages subis par les centrales lors du tsunami, une situation qui devrait empirer cet été lors du pic de consommation lié à l’utilisation des climatiseurs. 

Premier producteur privé de courant au monde, Tokyo Electric Power Company (Tepco) compte 44,6 millions d’abonnés, soit plus d’un tiers de la population du Japon, dans le Kanto, le poumon économique de l’archipel comprenant la mégapole de Tokyo et d’autres préfectures du centre-est de la grande île de Honshu. 

Mais ses capacités ont chuté depuis le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars, l’obligeant à recourir à des coupures d’électricité ciblées et temporaires afin d’éviter un black-out soudain et général. 

Ses dix réacteurs nucléaires de la préfecture de Fukushima (côte Pacifique, nord-est) sont arrêtés et, parmi eux, les six de la centrale accidentée de Fukushima Daiichi (N° 1) ne redémarreront jamais.  

Pour une meilleure sécurité des techniciens 

Les autorités japonaises ont ordonné vendredi à l’opérateur de la centrale accidentée de Fukushima d’améliorer les conditions de sécurité des techniciens, après que trois d’entre eux, mal équipés, ont été irradiés. 

L’Agence japonaise de sûreté nucléaire a reproché à la Tokyo Electric Power Company (Tepco) de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour protéger les ouvriers qui luttent jour et nuit aux côtés de centaines de pompiers et soldats pour rétablir les circuits de refroidissement et éviter une catastrophe nucléaire. 

Le porte-parole Yukio Edano a demandé qu’une enquête soit menée pour expliquer «comment les ouvriers ont pu être exposés aux radiations».

Par LT/Agence mars11

«Sans renforts, les ouvriers de Fukushima sont condamnés»

Heros de Fukushima regardent les compteurs Héros de Fukushima

 Propos recueillis par Philippe Pons,Le Monde

L’exploitant de la centrale accidentée, Tepco, et l’Etat minorent les risques pour la santé, dénonce le sociologue français spécialiste du Japon Paul Jobin

Une poignée d’hommes portant des masques et des combinaisons blanches lestées de détecteurs de radioactivité essayent, au péril de leur santé et de leur vie, d’enrayer une catastrophe nucléaire à la centrale de Fukushima. Ils seraient un peu moins de 200 à tourner en quatre équipes d’une cinquantaine, techniciens et ouvriers, aidés des pompiers et des forces d’autodéfense (armée japonaise), faisant preuve d’un courage exemplaire. Le sort des «soutiers» du nucléaire reste mal connu. Paul Jobin, sociologue spécialiste du Japon, maître de conférences à l’Université Paris-Diderot, a étudié la situation des ouvriers du nucléaire dans l’Archipel et en particulier à la centrale 1 de Fukushima.

Qui sont ces ouvriers présents sur le site de Fukushima?

– Paul Jobin: Cette fois, Tepco n’a pas précisé si elle a mobilisé un contingent d’ouvriers volontaires en cas d’accident, mais elle a peut-être fait appel aux ouvriers et techniciens qualifiés, intérimaires ou salariés d’entreprises sous-traitantes, qui effectuent les travaux de maintenance durant les arrêts de tranche d’un réacteur, ces «Gitans du nucléaire», pour reprendre le titre d’un livre d’investigation de Kunio Horie paru en 1979.
En temps ordinaire, ces travailleurs passent d’une centrale à l’autre aux quatre coins du Japon, au rythme des arrêts de tranche. Avec les concentrations de doses radioactives qui sont maintenant relevées près des réacteurs de Fukushima – un pic de 500 millisieverts a été observé mercredi –, les intervenants sont condamnés à une mort prochaine, à moins que des renforts extérieurs n’aient été appelés d’urgence pour diluer la dose collective, ce qui retardera de quelques années les effets sur leur santé.

Le 19 mars, le Ministère de la santé a relevé les barèmes de radioprotection à 250 millisieverts. Qu’est-ce que cela implique?

– En temps normal au Japon, le maximum légal d’exposition est de 20 millisieverts (mSv) par an en moyenne sur cinq ans, ou un maximum de 100 sur deux ans, ce qui est déjà très élevé, mais on peut traduire cette décision «d’urgence» comme un moyen de légaliser leur mort prochaine et d’éviter d’avoir à verser des indemnités à leurs familles, car les risques de cancers augmentent à proportion de la dose encaissée. Avec des doses de 250 mSv, les risques de cancers, d’atteintes mutagènes ou sur la reproduction sont très élevés.

En fait, ces ouvriers travaillent souvent en deçà des normes de protection. Le patron d’une petite entreprise résidant à proximité de Fukushima 1, qui avait travaillé pour le compte de fabricants de réacteurs nucléaires (General Electric, Hitachi…), m’avait montré en 2002 le cachet «pas d’anomalie» qu’il avait utilisé pendant des années pour falsifier le carnet de santé des ouvriers dont il avait la responsabilité, jusqu’à ce qu’il soit lui-même atteint de cancer et rejeté par Tepco.

Le cas de Fukushima est-il particulier?

– Oui et non. Fukushima 1 est une vieille centrale, ce qui accentue un problème inhérent à cette industrie. Comme me l’a expliqué un technicien rencontré à Fukushima – spécialisé dans la vérification des pompes, un élément important du dispositif de refroidissement –, plus la centrale vieillit, plus il y a de réparations à faire, notamment à cause de l’accumulation de sources ionisantes, et plus il faut d’intervenants, donc un surcoût de main-d’œuvre. Pour résoudre ce problème, dès la fin des années 1970, le Japon a confié toutes ces tâches à la sous-traitance, soit dix ans avant la France. Ces ouvriers se trouvent contraints soit de faire l’impasse sur certaines réparations, soit de poursuivre leur intervention aux dépens de leur santé.

Quelles sont les conséquences de cette organisation du travail pour la santé publique?

– Ce recours massif à la sous-traitance permet de diluer la dose de radioactivité collectivement supportée. Quant au système de radioprotection, il protège surtout l’industrie nucléaire. Il y a toute une organisation sophistiquée du déni, à commencer par les rejets quasi systématiques des demandes de reconnaissance en maladie professionnelle, même pour des cas de leucémie, documentés et défendus par des médecins. Si la famille de la victime insiste, Tepco ou les autres entreprises préfèrent négocier en marge du système de reconnaissance: cela nuit moins à l’image du nucléaire.

Début mars, l’Association de radioprotection a remis une enquête épidémiologique au Ministère des sciences. Portant sur 210 000 anciens salariés du nucléaire, elle visait à vérifier l’effet des «faibles doses». Comme par hasard, rien d’anormal n’a été relevé, hormis pour un type de leucémie. Depuis le début de la catastrophe de Fukushima, je constate que le même déni est à l’œuvre, mais cette fois en temps réel, et pour l’ensemble de la population. C’est effrayant.

Le désespoir des personnes âgées

Route de Fukushima detruite par le seisme Héros de Fukushima

Par Richard Werly, de retour du Japon/ le Temps

Le séisme suivi du tsunami du 11 mars a frappé l’une des régions de l’Archipel à forte proportion de retraités.

Chaque jour, les sauveteurs tentent de les réconforter et de leur dire, sans trop y croire, que le tsunami n’a pas tout emporté et que la vie continue. A Minami-Sanriku-cho, à Rikuzen-Takata, à Otsushi, à Sendai, les mêmes images de vieillards prostrés dans les centres d’évacuation, portés par des soldats ou par des volontaires de la Croix-Rouge, incarnent la vérité démographique de la catastrophe. Balayée par les vagues tueuses lors de cet après-midi funeste du 11 mars, la région côtière du Tohoku abritait quantité de retraités et de personnes âgées seules: 28% de la population y avait plus de 65 ans avant le tremblement de terre. Jusqu’à atteindre 30% dans la ville dévastée de Minami-Sanriku, où près de 10 000 personnes ont disparu.

«Nos aînés ne peuvent pas prendre soin d’eux au lendemain d’un tel drame. Les reloger ne suffira pas», avertissait ces jours-ci un éditorial du Yomiuri Shimbun. Juste à côté, un récit et une photo emblématique: ceux de Yoshikatsu Hiratsuka, un paysan d’Onagawa­cho, une localité aplatie par le tremblement de terre. Durant des jours, ce vieil homme a veillé, les pieds dans la neige, le corps de sa femme de 72 ans et celui de sa fille, mortes sous les décombres de leur maison. Puis il a bataillé pour les accompagner à l’incinérateur d’un village voisin, surchargé de dépouilles. Depuis, l’homme erre, hagard, dans l’un des gymnases de Sendai où des centaines de retraités, rescapés isolés, sont regroupés: «Nous devons les aider pour leur toilette, les forcer à manger. Beaucoup n’ont plus de force», raconte à la télévision NHK une volontaire originaire de Kobe, où le séisme de 1995 fit environ 6000 victimes, contre plus de 20 000 dans le Tohoku.

Le stoïcisme des Japonais permet de garder les apparences. Dans les centres de réinstallation, comme au Palais omnisports de Saitama, près de Tokyo, ces vieillards seuls se regroupent entre eux, cachés derrière une haie de cartons, dans l’attente parfois d’une visite familiale. Mais tous, ou presque, savent que leurs enfants auront la plus grande peine à les prendre en charge. La région du Tohoku a été ces dernières décennies le théâtre d’une émigration massive des jeunes vers Tokyo, où ils vivent dans des appartements exigus. Alors que, dans leur localité d’origine, ces fermiers, pêcheurs, artisans, qui ont souvent dépassé les 80 ans – l’espérance de vie dans l’Archipel est l’une des plus élevées au monde: 86 ans pour les femmes, 80 ans pour les hommes – avaient souvent une maison, héritée de leurs parents…

L’endurance physique de ces vieillards rescapés ne fait aucun doute. Beaucoup ont connu la guerre, ses privations, et les bombardements ininterrompus sur Tokyo et sa région. «C’est leur mental qui risque de lâcher», explique Peter Kanda, un prêtre de Kobe arrivé à Sendai mercredi. Cette ville du Kansaï, reconstruite à grande vitesse après le tremblement de terre d’il y a seize ans, a déjà mis à la disposition des survivants 200 appartements récemment construits. Mais personne n’imagine y recevoir des personnes âgées, trop dépendantes: «La plupart ne veulent pas quitter leur région d’origine, poursuit le prêtre. Or de très nombreuses localités ont été rayées de la carte et ne seront pas reconstruites de sitôt. En plus, beaucoup ont tout perdu: effets personnels, argent, titres de propriété. La crainte des psychologues est qu’ils se murent dans le silence. En attendant pour de bon cette fin à laquelle ils ont miraculeusement échappé.»

Le gouvernement, de son côté, va devoir tirer les leçons démographiques du tsunami, tant la réalité du Tohoku correspond au vieillissement problématique de l’Archipel. En 2010, celui-ci comptait 8 millions d’octogénaires sur 127 millions d’habitants; 40% de la population aura plus de 65 ans en 2050. «Nous devons évidemment réfléchir à des formations spécifiques pour nos secouristes, complète Koji Kitamura, directeur de la Croix-Rouge de Kobe. Tout, du transport au logement en passant par l’alimentation ou les soins médicaux, doit être repensé.»

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