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Des freins possibles à l’or sur la voie de son «juste prix»?

Des freins possibles à l’or sur la voie de son «juste prix»?

Par Pierre Leconte, président du Forum monétaire de Genève, gérant de fortune chez Fuchs & Associés Finance (Suisse) SA et du Fuchs Precious Metals Fund

Les prix nominaux de l’or et de l’argent-métal devraient avoir déjà atteint au moins 2550 dollars respectivement 150 dollars l’once, pour tenir compte de la chute du dollar US, de la hausse de l’inflation et de l’accroissement de la quantité d’émission monétaire ex nihilo…

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Il ne fait aucun doute que les prix nominaux de l’or et de l’argent-métal devraient avoir déjà atteint leurs «justes prix», à savoir au moins 2550 et 150 dollars US l’once pour l’or et l’argent-métal respectivement, chiffres obtenus en multipliant par trois leurs niveaux de prix nominaux de 850 et de 50 atteints en 1980, pour tenir compte de la chute du dollar US, de la hausse de l’inflation et de l’accroissement de la quantité d’émission monétaire ex nihilo en billets verts depuis cette date.

Pourquoi les deux métaux précieux n’ont-ils pas déjà atteint ces niveaux et quels sont les obstacles qui se sont dressés et existent encore pour freiner la progression de leurs prix? Ces obstacles sont au nombre de trois:

D’abord, d’une façon générale, l’hostilité marquée des banques centrales et des Etats en Occident à toute hausse des prix des deux métaux précieux parce qu’elle a pour effet:

de fragiliser les monnaies fiduciaires virtuelles de papier qu’ils émettent ex nihilo sans limite, fragilisation qui pourrait se transformer un jour en déroute du fait d’une fuite massive des utilisateurs hors du papier-monnaie;

d’empêcher la poursuite de leurs politiques monétaires keynésiennes ultra-laxistes, caractérisées par le recours massif à la planche à billets (Quantitative Easing) et par la pratique des taux d’intérêt à court terme négatifs, sans lesquelles ils ne pourraient pas soutenir artificiellement les marchés d’actions et d’obligations comme l’édifice de plus en plus précaire du crédit privé et public.

Le soutien des bullion banks par les pouvoirs publics à leur prise de positions shorts sur l’argent-métal par exemple, comme beaucoup d’autres manœuvres publiques et privées, illustre tout cela.

Ensuite, l’émergence d’un nouveau krach boursier, étant donné que les effondrements périodiques des prix des actions provoquent quasi mécaniquement des baisses indirectes temporaires des prix des deux métaux précieux. Mais les marchés financiers fonctionnant selon le principe des vases communicants, les ventes forcées de métaux précieux par les investisseurs devant couvrir leurs pertes boursières, obligataires ou monétaires, faisant immanquablement baisser leurs prix comme on l’a vu en 2008, sont inévitables.

Enfin, la hausse massive des taux d’intérêt à court terme, lorsque les banques centrales occidentales doivent finalement s’engager dans la lutte contre l’emballement de l’inflation. C’est ainsi la politique restrictive menée par Paul Volcker à la présidence de la Federal Reserve de 1979 à 1987 (le taux à court terme US ayant atteint 20% en juin 1981) qui a eu raison de la première phase de hausse des métaux précieux (1971-1980).

En dépit de ces trois obstacles, les prix des deux métaux précieux sont puissamment montés depuis la fin de la convertibilité du dollar US en or et l’instauration des taux de change flottants. L’or est ainsi monté de 35 en 1971 à 1475 dollars US l’once actuellement, avec une forte accélération depuis 2000 lorsque le laxisme monétaire des deux derniers présidents successifs de la Federal Reserve, Alan Greenspan et Ben Bernanke, a dépassé tout ce qui avait pu être fait dans ce sens depuis le début de l’histoire monétaire. L’or s’est incontestablement révélé sur le moyen terme comme le meilleur placement.

Que peut-il dorénavant se passer? Pour y répondre, il y a lieu de revenir à l’analyse des trois obstacles susmentionnés.

L’attitude négative des banques centrales occidentales à l’égard des métaux précieux étant contrebalancée par celle positive des banques centrales des BRIC et autres pays émergents qui augmentent leurs achats, le premier motif de leur sous-évaluation n’est plus à l’ordre du jour.

 Quant aux bullion banks, elles ont cessé de vendre à découvert les métaux précieux et devront même racheter leurs positions shorts actuelles, sauf à faire faillite ou à devoir obtenir de la Federal Reserve qu’elle couvre leurs pertes aux frais des contribuables, ce qui sera politiquement difficile à faire passer. Quant aux banques centrales occidentales, elles devront finir par réévaluer le prix officiel de leurs réserves en or, ce qui fera encore monter son prix nominal pratiqué sur le marché supposé libre.

Le risque de hausse massive des taux d’intérêt à court terme par les banques centrales occidentales n’est pas non plus à retenir parce que, dans le contexte actuel de faillite virtuelle ou réelle des Etats occidentaux, elles sont incapables de se lancer dans une politique monétaire restrictive du type de celle menée par Paul Volcker au début des années 1980. Tout au plus, la BCE peut à nouveau monter symboliquement de un quart de point ou de un demi-point de base son taux d’intérêt à court terme (actuellement de 1,25%), mais sans pour autant qu’il redevienne positif par rapport à l’inflation réelle en zone euro (de l’ordre de 3,5-4%). Ce qui, incidemment, accroissant le différentiel de taux entre le dollar US et l’euro – comme d’autres monnaies –, fera chuter plus encore le dollar US contre l’euro, tout en poussant mécaniquement à la hausse les prix de l’or et de l’argent-métal exprimés en dollars US. D’autant que la BCE a pu astucieusement diminuer ses achats d’obligations des pays du Club Med de la zone euro, puisqu’elle a contraint les Etats de ladite zone à créer une structure ad hoc qui a commencé de le faire à sa place.

Reste l’épée de Damoclès du krach boursier qui nécessairement, tôt ou tard, interviendra lorsque l’alimentation des intermédiaires financiers en liquidités devra être ralentie, pour éviter que l’actuelle stagflation ne se transforme en dépression hyper-inflationniste (une sorte de Weimar occidental ou planétaire).

 A ce sujet, dès fin avril 2011, la Federal Reserve devra se prononcer sur la prolongation à l’identique du QE2 en QE3 à partir de fin juin 2011 ou bien son ralentissement, voire sa cessation. Le plus probable est qu’elle essaie alors de gagner du temps tout en poursuivant sa même politique ultra-laxiste par des moyens plus discrets (via l’alimentation à taux zéro en liquidités à court terme des primary dealers qui feront le travail en sous-main pour elle) mais en annonçant que le QE massif n’est plus nécessaire. Les actions pourraient alors à partir de mi-juin 2011 violemment baisser de l’ordre de 15 à 25% entraînant aussi une sensible correction de l’or et de l’argent-métal qui, étant vraisemblablement montés d’ici là jusqu’à 1590 et 46 dollars US l’once (hausse du pétrole brut et guerres civiles en Afrique et au Moyen-Orient aidant), ne reviendraient que vers leurs supports récents de 1450 et 37 dollars US l’once.

Conclusion: il y a beaucoup plus à perdre sur les positions longues en actions que sur les métaux précieux en cas de non-reconduction à l’identique du QE américain.

source le temps avril11

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