Au coeur de la création de richesse : l'Entreprise

Prime, dividendes et illusions par Jean-Marc VITTORI

Prime, dividendes et illusions par Jean-Marc VITTORI 

C’est sûr, il y a quelque chose qui cloche dans les dividendes. Nicolas Sarkozy tourne depuis des années autour. Son obstination fait penser à celle du chien truffier, même si la comparaison peut surprendre pour un président de la République. Il sent le précieux champignon et se fie à son flair. Il gratte la terre rageusement sans parvenir à le déterrer. Il part vexé mais revient un peu plus tard, bien décidé à le trouver. Il veut maintenant installer un tube de forage pour en extraire 1.000 euros par tête. Mais il n’a toujours pas trouvé. Même si son flair ne le trompe pas.

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La première tentative remonte à 2009. Le chef de l’Etat invente alors la règle des trois tiers. Les entreprises devraient partager leur résultat en trois parts égales : la première pour les investissements, la deuxième aux actionnaires, la troisième aux salariés. Mais si le chef de l’Etat connaît par coeur les arcanes de la politique qu’il arpente depuis des décennies, il peine encore dans son sous-sol économique. Le rapport qu’il demande à une mission pilotée par le directeur général de l’Insee, Jean-Philippe Cotis, montre que les actionnaires touchent bien un tiers des profits (36 % exactement en 2007, dans les entreprises non financières). Mais ensuite, les salariés touchent 7 % (via les mécanismes de l’épargne salariale) tandis que les entreprises conservent 57 % pour investir. La règle des trois tiers se serait traduite par un effondrement de l’investissement sans rien changer pour les actionnaires. Exit le chien truffier.

Pas découragé, le président vient d’annoncer une nouvelle règle : les entreprises distribuant des dividendes devront aussi verser une prime de 1.000 euros par salarié. Sur le papier, des milliards viendraient arrondir le pouvoir d’achat des Français. Dans la réalité, une myriade de cas particuliers rendent la chose impossible. Des PME feraient faillite. D’autres cesseraient de verser des dividendes.D’autres encore seraient encore plus tentées de délocaliser les postes à bas salaires. Le président lance alors l’une de nos fiertés nationales : la machine à fabriquer des usines à gaz. Seules les entreprises qui accroissent les dividendes seront concernées. Le seuil des 1.000 euros constituera en fait le maximum donnant droit à des allégements de charges. Le projet soumis aux parlementaires risque d’être un chef-d’oeuvre baroque : plafonds, planchers, conditions, exonérations, exemptions… et au bout du compte, complexification et déception. Car dans une telle construction, le résultat est couru d’avance : seules les grandes entreprises seront concernées. Ce sont elles qui versent les gros dividendes – plus de 40 milliards d’euros cette année. Leurs salariés sont plutôt bien lotis, même s’il y a des exceptions. Les grands groupes paient mieux que la moyenne. Et versent de la participation, et de l’intéressement. Et ont développé l’actionnariat salarié, et de puissants comités d’entreprise.

Pourtant, le flair présidentiel ne trompe pas. Mais le problèmene saurait se résoudre par une simple prime. Pour le détecter, il faut revenir à la définition même du dividende. Le dictionnaire en ligne de l’hebdomadaire anglais « The Economist » indique par exemple que les actionnaires risquent leur capital en le confiant à la direction de l’entreprise. En retour, « les actionnaires ont droit à une tranche de ce qui reste des revenus de l’entreprise après qu’elle s’est acquittée de toutes ses autres obligations. » Autrement dit, le dividende est un solde. L’actionnaire prend le risque de gagner beaucoup… ou rien. Le salarié, lui, prend moins de risques, avec un revenu limité mais plus sûr. Or ce principe ne correspond plus à la réalité. Les firmes sont de plus en plus gérées pour assurer le versement du dividende dans la tempête comme par beau temps, au détriment si nécessaire des salariés. L’an dernier, certaines ont maintenu les dividendes alors qu’elles étaient en perte. Et pendant la crise, les entreprises non financières françaises ont accru leurs dividendes de 4 milliards d’euros alors qu’elles ont réduit les salaires et cotisations sociales de 10 milliards (chiffres Insee de 2009, dernière année connue). Le risque a été transféré des actionnaires aux salariés sans les revenus correspondants.

La vraie truffe est là. Pour la déterrer, il faut réfléchir en profondeur au rôle des actionnaires, revenir au droit et à la manière dont on l’applique. C’est un travail de longue haleine, bien au-delà du calendrier politique. Moins facile à vendre aux électeurs qu’une prime à 1.000 euros. 

ECRIT PAR Jean-Marc VITTORI Editorialiste les Echos

EN COMPLEMENT : Prime et subprimes  Par François Lenglet, directeur de la rédaction de La Tribune  

L’affaire de la prime révèle une nouvelle fois les travers de la politique économique que conduit l’actuel gouvernement : des initiatives irréfléchies, dictées par des considérations politiques immédiates, qui ne produisent guère qu’un fatras de règles incompréhensibles sans autre effet que de harceler littéralement les entrepreneurs.

Du bouclier fiscal à la prime salariale en passant par la taxe carbone, une seule signature, l’improvisation. La « Sarkonomics », l’économie selon Sarkozy, se conçoit sur un coin de table, en griffonnant sur la nappe en papier tachée par la vinaigrette, l’esprit enfiévré de discours à quatre sous sur le volontarisme : la France a trouvé une réponse à la crise du capitalisme anglo-saxon ! Pour guérir des Subprimes, voici la Prime !

 

Paradoxe, Sarkozy emprunte ici une méthode qu’il avait vilipendée pendant sa campagne électorale, celle des Trente-Cinq heures. L’Etat décide seul, équarrit la réalité pour lui faire épouser les schémas préconçus par de brillants esprits, et arrose les mécontents avec force allégements de charges sociales. On connaît la suite. Les entreprises ploient sous les nouvelles contraintes. Et les contribuables sous les dettes. Au fil du temps, la croissance s’amenuise, les emplois créés se déqualifient, les entreprises délocalisent. Par delà les époques et les alternances, nos gouvernements témoignent sur ce sujet d’une permanence remarquable, que n’altèrent pas même les échecs constatés des prédécesseurs. De temps à autre, un Camdessus, un Rocard ou un Pébereau poussent leur cri, en pointant la détérioration de la compétitivité française, dans un rapport qui suscite l’émotion et la contrition générale pendant au moins quarante-huit heures, avec une pointe de « Schadenfreude » lorsque nous nous comparons à l’Allemagne. Mais les rapporteurs passent. Et la grandeur de la France subsiste.

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Pourquoi et comment relier les salaires aux dividendes ?

Par Abraham Lioui, professeur de finances, Edhec Business School/La Tribune

À chaque époque son bouc émissaire !

Durant la crise financière de 2008, les traders et leurs bonus étaient montrés du doigt pour leurs excès. Aujourd’hui, à l’approche de la présidentielle et la nécessité de montrer même un semblant d’action pour améliorer le pouvoir d’achat, ce sont les entreprises qui distribuent des dividendes qui sont dans la ligne de mire.

 Sur le principe, intéresser les salariés d’une entreprise aux performances de cette dernière est de l’avis de tous une bonne chose. Ceci est déjà le cas dans un grand nombre d’entreprises dans lesquelles des plans d’intéressement sont en place à l’échelle collective mais aussi à l’échelle individuelle (bonus, augmentations, promotions…). Donc, d’aucuns seraient en droit de se questionner sur l’opportunité de relier la distribution de dividende à une quelconque compensation pour les salariés. Le pourquoi d’une telle mesure reste vague, au mieux.

 Étant donné la volonté politique affichée de mener à son terme cette réforme, il est naturel de se demander s’il existerait une méthode capable de limiter les effets négatifs potentiels d’une telle mesure.

On pourrait imaginer le mécanisme suivant.

Les apporteurs de capitaux doivent être rémunérés, et leur rémunération doit être en lien direct avec les risques qu’ils prennent. Il convient donc de définir une rémunération normale, et toute rémunération au-delà de celle-ci serait sujette à compensation pour les salariés. Ceci pourrait être, bien sûr, une incitation à distribuer un dividende juste suffisant pour la rémunération normale, mais n’est-ce pas ce qui est recherché par le législateur, à savoir éviter que les richesses ne quittent l’entreprise au détriment (éventuel) des salariés ?

Le calcul d’une rémunération normale repose sur trois critères : les capitaux investis, le niveau de risque et la rémunération moyenne du risque. Pour les capitaux investis, il est commun de retenir la valeur de marché (quand elle est disponible) des fonds propres. Le problème d’une telle mesure est de rendre la rémunération trop dépendante des fluctuations du marché et même, pourquoi pas, de créer des incitations à la manipulation de cours. Une mesure raisonnable des capitaux investis serait la valeur de bilan des fonds propres avec un ajustement éventuel en fonction de l’inflation. L’avantage d’un tel choix serait d’inciter à conserver les bénéfices dans l’entreprise pour augmenter les fonds propres, et donc à consacrer moins d’argent au dividende et plus aux investissements. 

Comment calculer le niveau de risque de la firme ? C’est l’éternel débat dans les milieux académiques qui n’ont toujours pas donné une réponse définitive. Il convient donc d’éviter la question de la bonne mesure du risque mais d’introduire un nouveau mécanisme. Certaines années, les bénéfices (courants ou non distribués) ou les dividendes distribués pourraient ne pas être suffisants pour payer la rémunération normale. De ce fait, les apporteurs de capitaux auraient le droit de récupérer ce manque sur l’année qui suit ou les années qui suivent. 

Un mécanisme qui prend en compte le risque ne l’élimine pas bien sûr, et il faut donc donner une rémunération au risque. Pour faire simple, il serait astucieux de retenir un taux commun à toutes les industries. Par exemple, ce serait le taux des titres gouvernementaux à un an (taux sans risque) plus une prime de risque. Cette dernière pourrait être aux alentours de 5 % à 6 % comme ce fut le cas sur le marché américain ces dernières années.

 Ainsi, la rémunération normale serait à ce jour de 7 % à 9 %. Tout dividende qui représenterait une rémunération des fonds propres qui dépasserait ce taux devrait donner lieu à compensation pour les salariés. Il serait raisonnable de définir cette compensation comme une proportion de la rémunération excédentaire. Dans la logique des choses, et pour simplifier la procédure, cette compensation devrait être traitée fiscalement comme étant un dividende reçu par les salariés, avec tous les avantages fiscaux qui s’ensuivent. Ce dernier point ne devrait poser aucun souci à une classe politique si sensible à l’amélioration du pouvoir d’achat…

 Abraham Liou avril11

2 réponses »

  1. j’ai du mal à suivre, la prise de risque cad celui de perdre son capital investit existera toujours alors que les salariés auront eu leurs salaires et en cas de fermeture de l’entreprise leurs indemnités de chômage
    Si on ne parle que d’équité, les salariés devraient être actionnaires et pas salariés….de manière à ne percevoir que leurs parts du résultat…..là on change de système et il n’ y aurait pas un seul candidat à ce nouveau système

    • Pour les salariés il existe déjà un système que l’on appelle interessement et participation…Vittori pointe le doigt sur un élément très interessant que sont les entreprises « too big to fail » qui bénéficie de fait de l’aide de l’état : on nage là en plein aléa moral , je pense aux banques , à l’autombile, l’aviation….on est là non pas dans un capitalisme de risque mais dans un capitalisme de rente…

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