Art de la guerre monétaire et économique

Modestes propositions à l’heure espagnole Par Bruno Bertez (propositions actualisées au 29 Juillet)

Modestes propositions à l’heure espagnole Par Bruno Bertez (propositions actualisées au 29 Juillet)

L’euphorie qui a suivi l’annonce du grand plan européen de lutte contre la crise du subprime gouvernemental a fait long feu. Dès lundi, on a vu les indicateurs de marchés se remettre sinon au rouge, du moins à l’orange : élargissement des spreads obligataires, forte hausse des coûts de refinancement des pays, tensions sur les CDS, etc.

Euro Bond Spreads

 EUCRISIS

   Certains observateurs indulgents, mais guère perspicaces, mettent cet échec à convaincre les marchés sur le compte d’une mauvaise communication. C’est inverser les causes et les effets car si la communication est cacophonique et peu convaincante, c’est parce que l’accord lui-même présente tous ces vices et défauts.

 Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ; mais ce qui se conçoit mal ne peut être exposé clairement, c’est une évidence. Le galimatias de la communication recouvre, mais en même temps, révèle les faiblesses, les failles, les insuffisances de l’accord européen.

EUCrisis

 Il est maintenant acquis que les chiffrages sérieux n’ont pas été faits, que les conséquences voulues et non voulues n’ont pas été examinées.

Finalement, l’Europe est restée fidèle à sa pratique initiale : le « shock and awe », créer un choc et faire peur aux soi-disant spéculateurs.

 Nous disons soi-disant parce que de spéculateurs il y a peu. Les intervenants sont des détenteurs réels de dettes subprime et ils les vendent ou les couvrent par les hedge comme on vient de le voir avec la Deutsche Bank : elle annonce ce jour s’être débarrassée de 80% de son risque grec et de 55% de son risque espagnol. 

Le groupe Deutsche Bank a dû passer 155 millions d’euros de dépréciations sur ses titres de dette grecque, et 464 millions d’euros de provisions pour risque de crédit, près de deux fois plus qu’il y a un an, notamment en raison d’actifs à risque détenus par Postbank

Il est vrai qu’il y a des maladresses de communication comme celle de Noyer qui, par un mauvais choix de vocabulaire, suggère que nous sommes à la veille d’une nouvelle hausse des taux de la BCE. Noyer n’avait pas suffisamment révisé le code verbal des Banques Centrales

La Banque centrale européenne est en état de grande vigilance en ce qui concerne l’inflation, a réaffirmé le gouverneur de la Banque de France Christian Noyer, membre du conseil des gouverneurs de la BCE, dans un entretien au Financial Times Deutschland de mardi. Cette expression est traditionnellement utilisée par la Banque centrale européenne (BCE) et son président Jean-Claude Trichet pour signaler que les taux d’intérêt vont augmenter le mois suivant.

Le vrai problème de la communication européenne est créé :

 1) par la trop grande complexité des accords et des tentatives de décisions ; ce sont autant d’usines à gaz

2)par les grands écarts à répétitions entre les messages qui sont ciblés pour la politique intérieure, ceux qui sont destinés aux marchés, ceux qui visent les banquiers, etc.

Mais ce grand écart n’est pas une cause, c’est un effet des mensonges et dissimulations. Le refus de la vérité et de la transparence en est la cause première. La vérité est unique, elle est claire, elle est facilement communicable.

 Notre première modeste proposition est donc simple : nous proposons de dire la vérité et rien que la vérité.

PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

 Notre seconde proposition découle des affirmations multipliées par les hommes politiques européens et par Trichet : si la Grèce et ses semblables sont assurés de ne pas faire défaut et de rembourser toutes leurs dettes, et c’est vrai puisqu’on nous le jure, pourquoi ne pas décider et annoncer dans tous les pays de l’Union Monétaire que les dettes subprime des différents pays seront acceptées au pair à leur valeur nominale en règlement des impôts. Voilà un bon moyen de susciter une demande formidable pour la dette, pour les obligations, pour tous les papiers émis par ces pays !

 Les contribuables vont se précipiter pour acheter cette dette à 50% de sa valeur et économiser ainsi 50% sur leurs charges fiscales. Il suffit d’un petit calcul actuariel pour établir un barème qui fixe la valeur de reprise de ces titres en fonction de leur maturité. Le soutien de la dette par des contribuables motivés est bien plus sain financièrement, économiquement et socialement que le soutien par les Trésors nationaux et, in fine, par la BCE. Pour une fois, autant que ce soit eux qui profitent de quelque chose.

 Notre troisième proposition s’inspire du rapport du Sieur Cambon.

Dans les années 1791/1795, les révolutionnaires français ont financé leurs déficits par l’émission sans modération d’assignats. Ces assignats, 45 milliards au total, se sont dépréciés en raison de l’excès d’émissions et de l’insuffisance de gages ou de matières taxables pour les couvrir. Les prix des biens et des services se sont mis à galoper à un point tel que le public a fini par se rendre compte que ce n’était pas les prix qui montaient, mais la monnaie qui se dévalorisait.

 Le cours des assignats étant descendu à 8% de leur nominal, notre ami Cambon proposa de coupler les assignats à une gigantesque loterie. Soit les assignats gagnants pouvaient être tirés directement, soit les assignats servaient à acheter des billets de loterie et, dans ce cas, bien entendu, ils étaient acceptés au nominal. Pourquoi ne pas brancher une loterie sur les emprunts grecs, irlandais, espagnols, italiens, belges, etc.

A QUI LE TOUR ?

On sait depuis Adam Smith que les joueurs exagèrent toujours leurs chances de gagner au jeu. C’est d’ailleurs sur ce principe que fonctionnent les bourses : la surestimation des chances de gains. Avec le système Cambon, la demande pour les emprunts subprime peut devenir considérable. Regardez le succès et les sommes colossales qui sont en jeu dans l’Euromillions.

A ceux qui sont intéressés par l’approfondissement de cette idée, nous conseillons l’étude de l’histoire monétaire sous la Révolution Française. Les similitudes et les bonnes idées abondent. Dieu sait s’ils ont été nombreux à travailler à cette époque, d’abord pour produire du papier, ensuite pour faire en sorte qu’il soit accepté, et enfin pour tenter de le soutenir. Rien que des grands noms, des Condorcet, des Lavoisier, des Clavière, Mirabeau, etc.

Petite astuce intellectuelle : remplacer les assignats et leurs successeurs, les éphémères mandats qui sont de maturité zéro, par nos papiers contemporains qui eux sont de maturité non nulle. Comme le dit Bernanke, le « long terme » n’est qu’une succession de « court terme ».

Plus intelligemment, l’assimilation est justifiée par le fait que les papiers à maturité non nulle des gouvernements sont en réalité financés par les banques, lesquelles sont financées soit par la BCE soit par le marché de gros de l’argent au jour le jour. Ce qui paraît long n’est en réalité que du jour le jour, c’est à dire de la maturité quasi zéro. Et ce sera encore plus vrai, dans la voie suivie par l’Union Monétaire Européenne, ce sera encore plus vrai au fur et à mesure que la BCE et les Trésors Publics interviendront en soutien de la dette des débiteurs en difficultés. Avec le temps, on verra alors clairement les monétisations, on verra à l’évidence que tout l’édifice repose sur du papier à maturité zéro, de la monnaie.

Pour sortir de la crise des assignats, on a procédé à une grande cérémonie, à un sacrifice public solennel avec processions, costumes, apparat : on a détruit le matériel qui avait servi à la fabrication des assignats. On a brûlé les planches, brisé le poinçons, écrasé les coins, etc. On a aussi, pour faire bonne mesure, jugé quelques responsables et prononcé quelques condamnations à mort.

De nos jours, le Président français Sarkozy propose d’inscrire dans la Constitution une « règle d’or » (tiens, tiens, encore l’or, est-ce un hasard ?) afin de limiter l’émission de dettes, l’émission de papier et restaurer la confiance des marchés face à la dette qui menace de décoter. Sera-ce suffisant ?

L’actualité de la fin de semaine nous donne l’occasion de mettre en application les principes qui sous-tendent nos modeste propositions;

L’agence de notation Moody’s menace d’abaisser la note de l’Espagne .L’agence de notation Moody’s a annoncé vendredi 29 juillet qu’elle envisageait d’abaisser la note de la dette souveraine de l’Espagne, actuellement à « Aa2″, en raison des difficultés budgétaires du pays, qui créent selon elle « une vulnérabilité croissante à la tension du marché ».
Moody’s a décidé vendredi d’abaisser d’un cran les notes de six régions espagnoles, dont l’une des plus puissantes du pays, la Catalogne, une décision qui reflète selon elle « la détérioration de leur situation budgétaire et de leur dette ».

 Ceci mérite analyse et commentaire.

Le problème est que la situation réelle, fondamentale, de certains subprimes européens est peut être en train de s’améliorer, mais que ce qui apparaît donne l’impression contraire.

 Vous savez que nous affirmons depuis longtemps que tous les chiffres espagnols sont faux, à  la Enron disons-nous. En particulier au niveau des provinces. Comme les agences commencent à prendre peur et les dirigeants des provinces également, il y a des sortes d’opérations vérité qui sont en cours ou qui se préparent. Un peu à l’image de ce qui s’est passé pour la Grèce. La situation réelle ne se détériore pas, mais le flux des nouvelles devient détestable.
C’est le problème du « extend and pretend » généralisé : faute d’une opération nettoyage des bilans, les mesures prises sont contrariées, compromises par la révélation de la situation dissimulée antérieurement.
Les Cajas par exemple ont besoin de plus de 100 billions de fonds propres, on prétend qu’elles n’ont besoin que de 10 à 20 billions. Le problème n’étant pas résolu, il faut donc s’attendre à ce que les annonces à venir restent négatives et donnent l’impression d’une aggravation malgré le travail entrepris pour redresser la situation.


Ce que nous décrivons pour l’Espagne, ses provinces, ses Cajas est valable pour toute l’Europe.

Trois phénomènes se conjuguent :

1) la révélation, prise de conscience de ce qui était dissimulé

2) la vitesse acquise, l’inertie des déséquilibres qui continent de sembler se creuser en raison de la lenteur à obtenir des résultats dans le cas de systèmes aussi lourds que les pays, pour donner une comparaison un paquebot vire très lentement

3) le remède de l’austérité, remède que nous n’approuvons pas, ce remède aggrave toujours les situations dans sa première phase, ce n’est que bien plus tard que l’on en voit quelques bénéfices.

Le problème avec le remède de l’austérité, c’est que dans un premier temps il est douloureux il affaiblit le malade et que ce n’est que plus tard si le patient est de bonne composition, s’il est fondamentalement fort que l’on voit les résultats positifs. Comme en Europe, il n’y a que la zone allemande qui soit forte et fondamentalement saine, l’austérité appliquée aux autres les fera chuter encore plus. On le verra bientôt avec l’Italie, puis et surtout avec la France si les processus de contamination les attaquent.

 

Le FMI et les pseudo docteurs charlatans européens feraient bien de revoir les grands classiques incontournables de l’économie : l’économie d’un pays, disait Michel Rocard, c’est comme une bicyclette, elle ne tient en équilibre que quand elle roule. L’austérité fait peut-être plaisir aux pères fouettards, aux malthusiens et aux culpabilisés de la croissance, mais si celle-ci ralentit, la bicyclette est sous le poids des déséquilibres et les cyclistes chutent. 

Le principe de nos propositions consiste à admettre le réel et à tenter d’en tirer profit, d’en faire un atout pour redresser les situations partant du constat que le mensonge ne paie pas.

S’agissant de l’Espagne il convient :

 1) de reconnaître que la quasi-monnaie de maturité non nulle , c’est à dire les emprunts souverains espagnols sont et doivent être dévalués: ils ne valent plus le nominal, la monnaie espagnole à terme ne vaut plus les 100%;

2) l’immobilier espagnol ne vaut pas le prix qui est porté dans les bilans extend and pretend du système financier espagnol.

La découverte du vrai prix de la quasi-monnaie à maturité non zéro espagnol doit être encouragée, grâce à un vrai marché décloisonné ;
La découverte du vrai prix  de l’immobilier espagnol doit être impérativement favorisée.

Notre idée centrale réside dans la découverte des vrais prix et dans leur transmission.

Les solutions en découlent il faut :

-Forcer les banques a dévaloriser l’immobilier qu’elles ont dans leur comptes

-Mettre les banques en receivership c’est à dire  en situation de quasi nationalisation à l’image de ce qui est fait aux Etats Unis avec les GSE Fannie et Freddie

-Créer une Caisse d’amortissement de la dette totale souveraine espagnole

-Etablir le lien avec le marché immobilier en vendant l’immobilier espagnol sur la base de ses prix révisés réalistes opération  semblable à ce qui s’est fait pour les  Savings and Loans américains 

-Permettre l’acquittement du prix principal et des droits de mutation dans le secteur immobilier  par la remise de quasi monnaie a maturité non nulle c’est à dire par la remise d’emprunts décotés sur les marchés mais avec une valeur libératoire supérieure calculée sur le nominal affecté d’une décote en fonction de la maturité.

Les clients pour l’immobilier espagnol à un prix raisonnable qui traduit la situation réelle du pays ne manquent pas  en particulier  du coté des allemands . On va se bousculer au portillon.

Le système bancaire étant en receivership sa sécurité n’est plus problématique .

L’afflux de capitaux extérieurs tentés par les bonnes affaires, joint à la pompe aspirante branchée sur les emprunts espagnols permet le redressement du marché de la dette.

Le seul inconvénient de notre proposition  est qu’elle profite au public, elle profite ni aux banques, ni aux fonds vautours spécialisés. C’est un lourd handicap nous en sommes conscients.

BRUNO BERTEZ Le 29 Juillet 2011

EN LIEN :

L’Edito : Atlas serait-il allemand ? Par Bruno Bertez

EN BANDE SON :

2 réponses »

  1. Le débat sur le plafond de la dette aux Etats-Unis monopolise l’attention des marchés et de la presse spécialisée: Nous aurons l’occasion d’y venir quand les choses seront décantées.

    Pour l’instant nous retenons trois choses

    1) il y a un mouvement populaire puissant qui s’oppose a l’accroissement des dettes gouvernementales
    2) il y a un début de prise de conscience de l’inefficacité des politiques gouvernementales de soutien et de stimulation
    3) le rating des Etats-Unis est écorné, il est mis en question indépendamment même de l’effet de court terme provoqué par le débat sur le plafond de la dette

    Ces trois points nous paraissent très importants et il conviendra de les garder présents a l’esprit , ce sont les fondements même de l’action des gouvernements et des banques centrales qui sont sapés, qui se fissurent.
    Présentée autrement l’action anticrise des autorités repose sur une illusion et cette illusion est en train d’être démystifiée.

    Nous faisons la même analyse en Europe à partir de deux observations:

    1) les effets positifs du bail out numéro 2 de la Grèce ont duré une journée et demie.
    Au cours de la semaine qui a suivi le spread le plus important, celui de l’Italie relativement a l’Allemagne a progressé de 45 points de base: C’est énorme: Cela montre que les effets de contagion n’ont pas été stoppés: La crédibilité déjà faible de l’Europe face a la crise menace de s’effondrer.

    2) l’agence de notation Moody’s a fait savoir qu’elle considérait que le poids des bail-out européens était l’un des facteurs déterminants dans la détérioration de la qualité de la dette française. Ceci est à marquer d’une pierre blanche car la question à partir de la est de savoir si le mode de gestion de la crise choisi jusqu’a présent , mode de gestion qui repose sur les rating AAA du core français et allemand, si ce mode de gestion peut être poursuivi.

    Ceci rejoint l’idée que nous avons développé dans notre texte Atlas serait-il allemand?

    Bien entendu nous sommes en avance, mais les observations ci-dessus nous conduisent a penser qu’une phase nouvelle est en train de s’ouvrir et que cette phase sera profondément influencée par le phénomène central que constitue l’ébranlement de la confiance.

Laisser un commentaire