Agefi Suisse

Le marché obligataire aurait toujours raison. Toujours? par Andreas Höfert

Le marché obligataire aurait toujours raison. Toujours? par Andreas Höfert

Il pousse actuellement les taux d’intérêts à la hausse. Mais ses motivations semblent fort contestables.

Les marchés des emprunts d’Etat sont restés pessimistes lors de la spectaculaire montée des marchés d’actions ces trois derniers mois. Cependant, il y a deux semaines, les taux d’intérêts du Trésor américain ont enfin amorcé un rebond. Celui-ci n’indique toutefois pas nécessairement une amélioration des fondamentaux économiques. Beaucoup doivent regretter d’être restés en marge du récent rally boursier. Néanmoins, il y avait peu d’arguments valables pour persuader les investisseurs prudents d’entrer sur le marché. Trois éléments me semblaient notamment douteux.

Tout d’abord, la hausse spectaculaire s’est faite sur des volumes de transactions relativement faibles: environ 25% de moins que la moyenne sur deux ans du S&P 500. Les analystes techniques en concluent que le marché n’est pas assis sur des bases solides.

Deuxièmement, toutes les catégories d’actifs ont évolué de façon synchrone. En janvier et février, les actions ont rebondi, à l’instar des obligations, de l’or, du pétrole et d’autres véhicules de placement. Difficile dès lors de trouver cette année un investisseur mécontent. Lorsque tous les actifs évoluent ainsi, cela signifie en général qu’un torrent de nouvelles liquidités a été déversé sur les marchés. Et c’est bien le cas ici. Par ses opérations de refinancement à long terme, la Banque centrale européenne a injecté plus de mille milliards d’euros. Le 3e programme d’assouplissement quantitatif de la Banque d’Angleterre portait sur 50 milliards de livres sterling et, à présent, même la Banque du Japon a recours aux mesures non conventionnelles.

Enfin et surtout, les rendements des titres du Trésor américain étaient très faibles jusqu’il y a deux semaines, signe que les participants au marché obligataire se méfiaient de cette euphorie. Des taux des bons du Trésor à 10 ans inférieurs à 2% sont généralement un marqueur d’économie faible, voire en récession. Il y a deux semaines cependant, les taux ont soudainement commencé à remonter. Après une hausse de 0,4%, les rendements des bons du Trésor à 10 ans ont retrouvé leur niveau d’octobre 2011. Normalement, la règle boursière veut que le marché des emprunts d’Etat, bien que plus pessimiste de nature, ait toujours raison, alors que le marché des actions est plus prompt à céder aux euphories. Du coup, on peut se demander, si cette brusque hausse des taux est due au fait que le marché obligataire avait tort et que donc, pour une fois, c’est le marché des actions qui avait vu juste.

Pourquoi pas? Après tout, ce serait une bonne nouvelle si les taux des emprunts d’Etat reflétaient un retour à la normale aux Etats-Unis. Mais d’autres explications plausibles sont moins réjouissantes. Tout d’abord, le mythe de l’inflation zéro aux Etats-Unis a une fois de plus connu des accrocs: ces deux derniers mois, l’inflation sous-jacente s’y est avérée plus forte que prévu. Tout comme le prix du pétrole, qui reste élevé.

Autre possibilité: les marchés doutent de la volonté des Etats-Unis à résorber la dette publique. Le président Obama a récemment prolongé d’un an la baisse des prélèvements sur les salaires, une mesure évaluée à près de 150 milliards de dollars. 2012 s’annonce comme une autre année perdue pour la dette, un problème que personne ne voudra sérieusement prendre en main à l’approche de l’élection présidentielle. Entre-temps, la Chine et le Japon voient leurs excédents commerciaux fondre et sont donc moins enclins – voire moins capables – de financer les Etats-Unis à de si faibles rendements.

Le marché obligataire a sans doute raison de pousser les taux d’intérêts à la hausse. Malheureusement, à mon avis, ses motivations ne sont pas celles que les participants au marché des actions aimeraient croire.

Andreas Höfert Economiste en chef d’UBS mars12

2 réponses »

  1. J’aime ces analyses sur les mouvements des taux d’intérêts sur les bons du trésor américain quand, deux articles plus tôt, on apprend que + de 60% de ces même bons du trésor ont été achetés par la FED l’an passé. Les marchés obligataires sont donc également bidouillés et par bassines entières, et on mesure des variation millimétriques avec force arguments pour tenter de voir de quel côté souffle le vent.

    J’me demande des fois si la lecture de l’avenir dans les entrailles de volaille ne serait pas plus judicieuse. Au moins à la fin il reste le poulet à bouffer!

    Honnêtement par les temps qui courent, ce qui m’interpelle le plus, ce n’est pas tant qu’on nous prenne pour des cons. Ce que je trouve troublant, c’est que ça marche!

Laisser un commentaire