Art de la guerre monétaire et économique

Quel role pour la spéculation dans la flambée des prix alimentaires

Quel role pour la spéculation dans la flambée des prix alimentaires

Infographie. Forte volatilité des matières premières agricoles

Les investisseurs suisses rejettent tout rôle dans la flambée des prix. Le groupe de pression allemand Foodwatch accuse les financiers de spéculation. Des banques allemandes renoncent à certaines activités

Les banques et les gérants indépendants suisses refusent de porter une quelconque responsabilité dans la flambée des matières premières agricoles. Le prix du maïs a grimpé de 25% depuis le début de l’année, celui du blé de 30% et celui du soja de 42%. Ainsi, une crise alimentaire mondiale et des risques d’émeutes de la faim, comme en 2008, sont de nouveau d’actualité. «Mais cette hausse est avant tout le résultat du déséquilibre entre l’offre et la demande, explique George-Emmanuel Aubry, directeur de la gestion de portefeuilles chez Diapason Commodities Management, l’un des plus grands fonds de placement au monde, basé à Prilly (VD). Mettre cette augmentation sur le dos de la spéculation et évoquer un problème éthique n’est pas du tout justifié.»

Le sujet fait pourtant débat. En mars, Deutsche Bank, le deuxième fournisseur de produits ETF liés à l’agriculture, a indiqué qu’elle ne ferait plus de nouvelles offres. La semaine dernière, c’était Com­merz­bank qui suivait l’exemple. Plusieurs institutions allemandes renoncent aux activités jugées spéculatives sur les marchés agricoles. Ces dernières ne sont en réalité pas insensibles à la campagne menée par Foodwatch, un groupe de pression allemand, selon lequel la spéculation fait flamber les cours des produits alimentaires et il ne s’agit plus d’un marché normal régulé par l’offre et la demande, mais par des contrats futurs. «Les spéculateurs investissent précisément maintenant pour profiter de la hausse des prix», accuse Foodwatch sur son site internet.

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«Les contrats à terme ou encore l’investissement sur des indices n’ignorent pas la réalité de l’offre et de la demande», réfute George-Emmanuel Aubry. A ce propos, la Swiss Funds Association précise que les fonds misés sur l’agriculture sont très faibles, soit environ 800 millions de francs en juillet, sur un total de 35,1 milliards investis dans l’ensemble des matières premières.

A l’instar de Diapason, UBS et Credit Suisse affirment que c’est la sévère sécheresse aux Etats-Unis, en Russie et en Ukraine, et non la spéculation, qui a poussé les prix agricoles vers des sommets. La banque Pictet explique la flambée par un déséquilibre entre les capacités de production et les besoins des populations en croissance dans les pays émergents. Elle fait aussi ressortir que le fonds Pictet Agriculture privilégie les technologies ou services dont la finalité est d’assurer la production. La banque ne finance pas la production de biocarburants de première génération, car, selon elle, ils entrent en concurrence avec la production alimentaire.

Les deux grandes banques suisses minimisent aussi leur rôle. «Nous effectuons exclusivement à la demande des clients des transactions dans les produits agricoles, secteur dans lequel nous ne sommes qu’un très petit acteur», déclare le porte-parole de Credit Suisse. «Considérer la spéculation comme une cause centrale de la hausse des prix ne correspond pas à la complexité de la réalité», renchérit le porte-parole d’UBS.

Les producteurs de grandes cultures utilisent en effet des contrats à terme pour se prémunir contre les variations souvent élevées à court terme des cours agricoles, en fixant plusieurs mois à l’avance les prix de leurs futures récoltes.

« Cela pourrait être très contre-productif d’interdire aux banques d’investir dans les matières agricoles », met en garde Thorsten Polleit, ancien chef économiste Allemagne de Barclays Capital, aujourd’hui chef économiste de la société de commerce de métaux précieux Degussa Goldhandel. « Les entreprises agricoles auraient des difficultés à financer leurs investissements », ce qui ferait encore augmenter les prix, selon M. Polleit.

La recherche scientifique est divisée sur un éventuel lien de cause à effet entre les Bourses agricoles et la hausse des prix alimentaires.

« La plupart des études concluent que les investisseurs ne sont pas à l’origine des mouvements des prix mais qu’ils renforcent la tendance, à la hausse comme à la baisse », dessinée en fonction de l’offre et de la demande, explique Manfred Schöpe, spécialiste du secteur agricole à l’institut IFO de Munich (sud). Et sur le long terme d’autres facteurs influencent les prix agricoles, comme l’accroissement de la population mondiale, des changements d’habitudes alimentaires à grande échelle ou la raréfaction des terres cultivables.

Le ministre allemand du Développement Dirk Niebel a profité de la polémique sur la flambée des cours agricoles pour proposer dernièrement d’interdire la vente du biocarburant E10, au motif que sa production se ferait aux dépens des ressources pour l’alimentation humaine.Mais ce biocarburant est surtout peu apprécié des automobilistes allemands, car ils redoutent qu’il nuise… à leur moteur.

Pendant ce temps, les ONG rappellent qu’elles n’ont eu de cesse de dénoncer le rôle néfaste, selon elles, des biocarburants. Oxfam France dénonce, dans un communiqué, l’impact sur la sécurité alimentaire mondiale des politiques de soutien aux agrocarburants dans les grands pays producteurs de céréales. « En Europe comme aux Etats-Unis, une part croissante de la production agricole est destinée au marché énergétique, via les agrocarburants. 40% du maïs américain est ainsi aujourd’hui destiné à la production d’agrocarburant. Cette politique entraine une  tension de plus en plus forte sur l’offre alimentaire et tire les prix mondiaux des produits alimentaires vers des sommets » estime l’ONG. 

Par Ram Etwareea/Le Temps aout12 + Agences

2 réponses »

  1. 40% de la production de mais détournée au profit de l’automobile aux états unis, c’est beaucoup plus que ne peuvent faire les spéculateurs. Maintenant est-ce que l’augmentation du prix du mais entraine celle des céréales?

  2. Dans les contrats à terme (futures), la standardisation des contrats est très forte et ne laisse pas de place à l’interprétation [ 2 ], le seul paramètre à négocier est le prix. Le dénouement intervient par revente du contrat, et non par livraison physique dans 99 % des cas. 1% des contrats débouchent sur une livraison effective : cela paraît peu, mais c’est normal, si on comprend que le MAT n’est pas un marché physique, mais un marché de couverture d’un opération sur le marché physique (qu’on appelle le « sous-jacent »).La liquidité est assurée par les intervenants et par une chambre de compensation. Les acteurs du marché sont les producteurs (vendeurs), les négociants en matière première (Cargill, Louis Dreyfus, …), les coopératives agricoles, les courtiers, les négociateurs (établissements financiers), les hedgers (professionnels en rapport avec les marchés physiques), les spéculateurs (ou traders) [ 3 ] qui apportent la liquidité indispensable au marché en se portant contrepartie (qui peuvent aussi générer des « bulles » en cas d’excès dans les anticipations, et enfin les arbitragistes.

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