Art de la guerre monétaire et économique

Géopolitique/Israel : Le prix d’une guerre avec l’Iran

Géopolitique/Israel : Le prix d’une guerre avec l’Iran

Les conséquences d’un conflit avec l’Iran

«Trois cents morts maximum.» Tel serait, selon le ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, le bilan des pertes de l’Etat hébreu si celui-ci devait déclencher une guerre avec l’Iran qui riposterait en entraînant le Hezbollah et peut-être la Syrie.

Ce chiffre lancé au début du mois d’août, à l’occasion de la visite du secrétaire d’Etat américain à la Défense, Leon Panetta, infirme pourtant les estimations officieuses des services de la Défense passive (DP) selon lesquelles les pertes civiles israéliennes pourraient s’élever à «plusieurs milliers de personnes».

Pour l’heure, indépendamment de la querelle au sommet qui oppose le tandem Binyamin Netanyahou-Ehoud Barak (a priori favorable à une frappe sur l’Iran dans les trois-quatre mois à venir) à l’ensemble des responsables de l’armée et du renseignement, l’Etat hébreu ne semble pourtant pas prêt à soutenir un conflit d’une telle ampleur et Aviv Dichter, l’ex-patron du Shabak (Sûreté générale) fraîchement promu ministre du Front intérieur, n’aura pas la tâche facile.

PLUS DE COUT EN SUIVANT :

De l’aveu même de la DP, une branche de Tsahal (l’armée) dont les membres sont reconnaissables à leur béret orange, à peine 54% des civils israéliens disposent du masque à gaz qui leur est livré à domicile par la poste. Au rythme où la distribution se poursuit, elle ne sera pas achevée avant 2016 lorsque les filtres de certains de ces masques auront dépassé la date de péremption.

Certes, de nombreux efforts ont été accomplis depuis la deuxième guerre du Liban (été 2006). Ainsi, le réseau d’alerte maillant le pays a été perfectionné au point que les sirènes peuvent sonner de manière différente selon que les missiles tirés sur l’Etat hébreu sont dotés d’une tête explosive conventionnelle ou chimique.

En outre, les habitants des zones visées seront avertis par le biais de SMS multilingues. Mais la plupart des abris publics, dont l’entretien dépend des collectivités locales, ne sont pas en état. Et dans de nombreuses municipalités, nul ne sait où se trouvent leurs clefs. «Environ 1,8 million de nos concitoyens – soit 25% de la population israélienne – ne saurait où aller en cas de frappe», confirme le député Zeev Bielski (Kadima), président de la sous-commission de la Knesset chargée d’accompagner la préparation du front intérieur.

Selon le dernier rapport annuel du Contrôleur de l’Etat, l’équivalent israélien de la Cour des comptes mais avec des compétences plus étendues, de nombreux objectifs stratégiques susceptibles d’êtres visés par les missiles iraniens «Shihab» et par les roquettes «Farj» du Hezbollah, ne sont pas mieux protégés. Au terme d’un appel d’offres secret lancé auprès d’entreprises de travaux publics habilitées par le Ministère israélien de la défense, le renforcement des centrales électriques, des raffineries, des stations d’épuration d’eau, ainsi que des industries sensibles a d’ailleurs débuté dans la première semaine d’août, mais il ne sera donc pas achevé avant longtemps.

A partir de 2002, un bunker de commandement destiné à abriter la direction politique israélienne a été creusé dans les collines entourant Jérusalem. Celui de l’état-major de l’armée (Tel-Aviv) a été renforcé et plusieurs services cruciaux (Banque centrale, Bureau central des statistiques, etc.) ont enterré leurs données en lieu sûr. Cependant, la protection d’autres secteurs a été négligée. Celle des établissements scolaires, entre autres. Quant au programme de renforcement des hôpitaux prévoyant la création de salles d’opération ainsi que de dortoirs souterrains, il a pris trois ans de retard.

Or, la situation urge si l’ont se fie à l’estimation de l’ancien directeur général du Mossad, Ephraïm Halevy, et de son homologue de l’Aman (les Renseignements militaires), Aahron Zeevi Farkash, selon lesquels l’offensive israélienne sur les installations nucléaires iraniennes aurait lieu à l’automne.

A ce propos, un nombre croissant d’intellectuels, de professeurs d’université et de spécialistes s’élèvent contre les estimations rassurantes du ministre Ehoud Barak. Des chercheurs de l’Université de Haïfa ont ainsi calculé que 12 000 tonnes de produits chimiques hautement toxiques sont stockées dans les nombreuses industries polluantes situées dans la périphérie de cette ville. Il suffirait qu’un seul missile s’y écrase pour provoquer des explosions en chaîne et des incendies géants. Bilan probable: 25 000 morts et blessés dans un rayon de cinq kilomètres.

Paradoxalement, il ressort des rapports rédigés ces derniers mois par le Département production et analyse de l’Aman qu’Israël redoute moins les 300 à 400 missiles à longue portée de Téhéran que les roquettes du Hezbollah. Car l’Etat hébreu disposera d’informations en temps réel provenant d’une série de satellites espions, ainsi que d’informations fournies par un radar américain baptisé «Bande X». L’armée de l’air de l’Etat hébreu disposera de dix à quinze minutes pour faire décoller des chasseurs, pour activer ses batteries de missiles antimissiles «Hetz 2», et pour déclencher les sirènes.

En revanche, la situation d’Israël face au parti chiite libanais est plus inquiétante. Car selon l’Aman, cette organisation disposerait de plus de 60 000 missiles et roquettes de tous types au lieu de 15 000 lors de la deuxième guerre du Liban. Ces vecteurs étant tirés à proximité de leurs cibles, le temps de réaction de Tsahal sera forcément limité. Ces salves ne viseraient plus seulement le nord de leur pays mais également la métropole tel-avivienne. Or, celle-ci regroupe 44% de la population israélienne ainsi que les principaux centres d’affaires.

En 2006, il avait fallu moins de deux minutes à l’aviation israélienne pour détruire au sol 80% des missiles «Zilzal» de moyenne portée que le Hezbollah se préparait à tirer sur l’Etat hébreu. Cette fois, les analystes israéliens savent que l’organisation chiite a pris ses précautions et que la tâche ne sera plus aussi facile. Ils admettent que l’ensemble du territoire israélien sera visé et calculent que ces frappes jetteront sur les routes de 17 à 20% de la population civile (soit 1,4 million de personnes).

Ce flux ajoutera au chaos provoqué par l’interruption des transports publics en raison des alertes constantes, par la coupure de la chaîne alimentaire, par les coupures d’électricité ainsi que par la suspension des activités bancaires, boursières et commerciales. Dans ce cadre, une étude confidentielle transmise il y a quelques mois aux dirigeants de l’Etat hébreu chiffre à 9% la proportion d’Israéliens qui souhaiteraient partir à l’étranger si un conflit devait éclater. Le problème, c’est qu’ils ne seront pas les bienvenus dans les pays voisins et que l’aéroport international Ben Gourion de Tel-Aviv sera fermé. S’il ne l’est pas, les compagnies d’aviation se seront empressées, elles, d’interrompre leurs liaisons avec l’Etat hébreu. Au mieux, les candidats au départ devront donc voyager en bateau jusqu’à Chypre.

Les services d’études du Ministère du commerce et de l’industrie ainsi que celui des finances ont calculé, eux, que les trente-quatre jours de la guerre de 2006 ont coûté 4 milliards de dollars au contribuable. Partant de l’hypothèse que le conflit avec l’Iran sera plus destructeur et que le Hezbollah, voir le Hamas à Gaza et la Syrie y prendront part, le coût en serait doublé. Interviewé le 10 août par la télévision israélienne, le gouverneur de la Banque centrale, Stanley Fisher, a confirmé ces prédictions en estimant que son pays plongerait dans une période de «dépression profonde» marquée par une croissance négative.

Dans la foulée de la deuxième guerre du Liban, l’industrie militaire israélienne a développé le système «Dôme d’acier» interceptant les roquettes tirées à partir de la bande de Gaza avec un taux de fiabilité de plus de 90%. Mais pour détruire celles venant du Liban, Tsahal aura besoin de beaucoup plus de batteries que les quatre ou cinq actuellement opérationnelles. Or, malgré l’aide américaine, le Ministère de la défense n’a pas les moyens de financer cette dépense.

Quant au système «Baguette magique» que l’on présente comme une merveille susceptible de pulvériser les petits missiles en plein vol, il n’en est qu’au stade des essais. En tout cas, il ne sera pas déployé si les hostilités devaient débuter à l’automne.

Au sein du Ministère israélien des affaires étrangères fonctionne un département de recherche qui constitue le plus petit et sans doute le moins connu des services de renseignement israéliens. Quoi qu’il en soit, il ressort de ses analyses que Tel-Aviv devrait également payer un prix politique élevé s’il attaquait l’Iran sans concertation avec la communauté internationale.

La facture se caractériserait par un isolement international qui s’amplifierait si Téhéran décidait, à titre de représailles, de perturber les lignes de l’approvisionnement mondial en pétrole. A terme, l’hypothèse d’une brouille définitive avec Washington n’est pas exclue. Parce que les Etats-Unis pourraient être entraînés dans le conflit contre leur gré et qu’ils ne l’apprécieraient pas. Aux yeux des décideurs américains, Israël perdrait alors son statut de «meilleur allié» pour devenir une charge nuisible.

Pour expliquer sa position, l’Etat hébreu pourra sans doute compter sur le dévouement de nombreuses communautés juives étrangères mais cela ne suffira pas. Or, le réseau de hasbara (propagande) dépendant du Ministère des affaires étrangères ne fera pas le poids. Pour l’heure, il ne compte qu’une cinquantaine de personnes: 20 à Jérusalem, 30 à l’étranger. Son budget annuel de 12 millions de dollars équivaut à peine à celui du département publicité d’une petite multinationale.

Par Serge Dumont tel-Aviv /Le Temps Aout12 

EN COMPLEMENT : La Cisjordanie comme refuge des Israéliens

En cas de guerre avec l’Iran, des dizaines de milliers de personnes se rendraient dans le territoire occupé. Pour des raisons budgétaires, certains s’y installent pour un plus longue durée, voire définitivement

Carte d’Israël et de la Cisjordanie avec situation d’Arava

«Tout est prêt.» Face à la frontière jordanienne, dans la partie du désert du Néguev connue sous le nom d’«Arava», au nord d’Eilat, Noam Karmeli, responsable de la commission administrative chapeautant une dizaine de petits villages agricoles, prépare lui aussi la guerre qui pourrait bientôt opposer l’Etat hébreu à l’Iran. Car c’est sur ces terres arides balayées par un vent poussiéreux que sera installé le premier des camps de tentes censés abriter les Israéliens chassés de leur domicile par d’éventuelles frappes iraniennes ainsi que par les roquettes du Hezbollah.

«Nous avons de l’espace et nous sommes prêts à aider, affirme notre interlocuteur. Nous nous préparons à cette éventualité depuis trois ans et l’on pourra compter sur nous le moment venu. Ce sera un grand moment de solidarité nationale.»

Certes, pour l’heure, l’Arava, qui porte également le nom de «vallée du soleil», est encore vide. Cependant, selon les estimations du Ministère chargé de la préparation du front intérieur (la Défense passive), environ 17% des Israéliens se précipiteraient sur les routes en cas de bombardement de leur pays. Pour canaliser ce flux qui ajouterait au chaos notamment provoqué par l’interruption des liaisons aériennes ainsi que par la perturbation des activités commerciales, des plans visant à accueillir ces «déracinés» ont donc été élaborés.

La première phase de ce programme auquel participent les ministères du Front intérieur, du Logement, ainsi que celui des Finances, prévoit l’installation de la vague initiale de réfugiés sur les terres de Noam Karmeli. Puis, dans un deuxième temps, lorsque leur nombre grandira, ils seront dirigés vers les implantations de Cisjordanie où le «Yecha», le lobby des colons, mettra tout en œuvre pour les accueillir.

Environ 560 000 personnes – soit 8% de la population – pourraient ainsi trouver refuge dans les territoires occupés. Dans des chambres chez l’habitant, dans les hôtels et les auberges de jeunesse, des salles municipales réquisitionnées, mais également dans les écoles, ainsi que dans des caravanes et des containers aménagés.

«Pendant la première guerre du Golfe (1991), près de 5000 personnes s’étaient précipitées en «Judée-Samarie» [ndlr: le nom biblique de la Cisjordanie] pour échapper aux missiles Scud tirés sur la région de Tel-Aviv par Saddam Hussein. A l’époque, beaucoup avaient préféré Eilat en raison de la proximité de cette ville avec la Jordanie, et Jérusalem en se disant que ce tyran n’oserait jamais bombarder le ­troisième lieu saint de l’islam», ­raconte Gershon Messika, responsable d’un groupe d’implantations du nord de la Cisjordanie. Quinze ans plus tard, durant la deuxième guerre du Liban (été 2006), les habitants du nord de l’Etat hébreu fuyant les frappes du Hezbollah n’avaient pas non plus été nombreux à se réfugier dans les colonies. Ils s’étaient rués dans les hôtels de Tel-Aviv et des grandes villes du sud de leur pays.

Cette fois, tout porte à croire que ce ne sera plus le cas puisque c’est l’ensemble du territoire israélien qui risque d’être touché par des bombardements. «Si cette guerre avec l’Iran éclate, elle sera différente des autres. Le pays ne constituera plus qu’un seul front pareillement exposé. Il n’y aura plus de sanctuaire sauf chez nous, en «Judée-Samarie», parce que nos ennemis ne feront rien qui puisse provoquer des dégâts dans les villages palestiniens», exulte Gershon Messika.

Un raisonnement que semble partager un nombre grandissant d’Israéliens. Ainsi, dans les colonies d’Ariel, d’Oranim et d’Alfeï Menashé, les agents immobiliers constatent une forte demande de renseignements sur les biens à louer à partir du début de l’année scolaire et pour une durée n’excédant pas un an. Idem à Maale Adoumim (grande banlieue de Jérusalem) où les appartements libres trouvent acquéreur plus rapidement que d’habitude.

«Ces «nouveaux colons» sont des gens ordinaires, laïcs et non politisés, explique Svetlana Manukin, gérante d’une agence immobilière franchisée. La plupart de ces familles tentées par une installation de l’autre côté de la «ligne verte» (la séparation entre Israël et la Cisjordanie) y songeaient depuis longtemps, mais pour des raisons économiques. Parce que le coût de la vie dans les Territoires est moins élevé que dans le reste de l’Etat hébreu, parce que les infrastructures y sont neuves, que l’on y trouve facilement des places dans les écoles et dans les crèches, et que les conditions fiscales y sont avantageuses. Cependant, la fébrilité affichée ces dernières semaines à propos d’une offensive éventuelle sur l’Iran a précipité le mouvement. Elle en convainc beaucoup que le moment de déménager est arrivé. Et que leurs proches seront plus en sécurité au milieu des Palestiniens plutôt qu’au centre de Tel-Aviv.»

Par Serge Dumont tel-Aviv /Le Temps Aout12 

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