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«L’idée de résoudre le problème des déficits publics par un simple recours à la taxation des riches est fausse» par Sophie Pedder ( The Economist)

 «L’idée de résoudre le problème des déficits publics par un simple recours à la taxation des riches est fausse» par Sophie Pedder ( The Economist)

Depuis des années, Sophie Pedder, économiste diplômée d’Oxford et de Chicago, observe la France, comme chef de bureau de The Economist à Paris. Dans le  «Le Déni français» (J.C. Lattès), elle dissèque le fonctionnement des Français face à la réalité économique. Pour elle, les Français sont les derniers enfants gâtés de l’Europe. Ce qui exaspère leurs voisins et les ridiculise aux yeux des nouveaux pays puissants. Elle explique que plus ils tardent à agir, plus leur modèle risque d’exploser. Elle leur préconise de s’inspirer des exemples allemands et suédois pour redynamiser leur économie. Et surtout, stimuler l’esprit d’entreprise.

Peu de temps après la déclaration de Warren Buffett, patron richissime de la société d’investissement américaine Berkshire Hathaway, qui exprimait son désir – plutôt inattendu – de payer davantage d’impôts, Maurice Lévy, patron de Publicis et proche de Nicolas Sarkozy, reprend le flambeau en France. Il appelle de ses vœux une «contribution exceptionnelle des plus riches». (…) Il n’y a pas de politique plus séduisante pour la conscience collective française que celle qui consiste à faire payer les riches. Car ces derniers ne sont guère appréciés en France. A l’occasion d’une visite à Clermont-Ferrand en 1984, François Mitterrand aurait déclaré à Valéry Giscard d’Estaing, d’après le récit que ce dernier en a fait: «Mon objectif, c’est de détruire la bourgeoisie française!» Les Français méprisent l’argent, et encore plus ceux qui se vantent de leur argent. En 1971, lors du congrès d’Épinay, Mitterrand avait dénoncé «toutes les puissances d’argent, l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes». Et Nicolas Sarkozy ne s’est jamais remis de l’étiquette bling-bling que lui a value l’épisode du Fouquet’s et du yacht de Vincent Bolloré.

Pendant la campagne présidentielle, les divers candidats de gauche ont repris ce thème avec zèle. François Hollande – qui a déclaré un jour «je n’aime pas les riches» – a fait écho, dans son discours du Bourget, aux propos de Mitterrand, avec la dénonciation d’une nouvelle aristocratie «arrogante et cupide», de ceux «qui sont fascinés par l’argent» et du monde de la finance (à qui la France emprunte chaque jour des sommes colossales pour soutenir son modèle social). Non seulement il a promis de supprimer les allégements de l’impôt sur la fortune (ISF), mais son grand coup électoral a consisté à proposer un taux marginal de 75% pour les foyers fiscaux dont les revenus sont supérieurs à 1 million d’euros. Un conseiller de Jean-Luc Mélenchon a pourtant qualifié cette proposition de François Hollande de «relativement timide». En rappelant le décret du 4 août 1789, M. Mélenchon a lui-même proposé de taxer à 100%, c’est-à-dire de confisquer purement et simplement tous les revenus supérieurs à 360 000 euros: c’est «la clé de la solution de ce qu’il est convenu d’appeler la crise de la dette publique».

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Force est de constater que certains salaires des dirigeants français choquent, bien qu’ils soient moins extravagants que ceux de leurs homologues américains les mieux payés, ceux du top 500, qui ont reçu l’année dernière 10,5 millions de dollars en moyenne. Après la crise bancaire de 2008, les PDG.des banques françaises en particulier ont tardé à comprendre que les Français, dont le salaire moyen annuel est de 19.270 euros, étaient choqués par le niveau des salaires et des bonus payés pendant la crise.

En outre, la décision d’augmenter les taxes sur les riches peut constituer un geste politique fort en période d’austérité. En demandant un effort supplémentaire à ceux qui ont le plus, un gouvernement rend plus légitimes d’autres mesures impopulaires qui, elles, touchent tout le monde. Face à la montée de la colère des Anglais contre les excès de leurs banquiers suite à la crise financière, le gouvernement (de gauche) de Gordon Brown en 2010 a augmenté jusqu’à 50% la dernière tranche de l’impôt sur le revenu. C’était la première hausse de ce taux depuis 1974, plus de trente ans auparavant. Son successeur, David Cameron (de droite, héritier de Margaret Thatcher, pionnière de la politique de la baisse de l’impôt), a lui-même décidé pendant deux ans de ne pas modifier ce taux: il l’a maintenu jusqu’en 2012, avant de le ramener à 45%. Il disposait ainsi d’un symbole de la répartition de l’effort pendant qu’il mettait en place son douloureux plan de rigueur. Cette politique a sans doute contribué à faire passer la pilule amère des coupes dans les dépenses publiques.

Mais l’idée de résoudre le problème de la dette et des déficits publics par un simple recours à la taxation des riches est doublement fausse. D’abord, parce qu’en France l’impôt sur le revenu a un rendement relativement faible. Si on prend juste l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), on constate qu’il ne contribue que très peu aux recettes fiscales totales du gouvernement: 6%. Depuis 1990, année de l’introduction de la contribution sociale généralisée (CSG) par Michel Rocard, alors Premier ministre socialiste, avec pour objectif la diversification du financement du système de protection sociale, l’impôt sur le revenu a connu une longue baisse de sa contribution en pourcentage des recettes totales, alors que la part fournie par la CSG progressait. Cependant, si on regroupe les recettes de l’impôt sur le revenu et celles de la CSG prélevées sur le revenu, l’ensemble de ces taxes ne représente encore que 18% du total. C’est toujours très peu. Parmi les pays membres de l’OCDE, la moyenne est d’un quart.

Le gouvernement français reçoit bien plus de recettes grâce à d’autres taxes, notamment la taxe sur la valeur ajoutée (27% du total), et surtout les cotisations sociales, qui en fournissent la plus grande part (47%). C’est simple: si l’objectif est d’augmenter de façon considérable les recettes, l’impôt sur le revenu ne peut pas être un outil efficace. M. Hollande lui-même a reconnu ce fait. «Ce n’est pas une question de rendement, c’est une question de moralisation», a-t-il dit de son taux d’imposition à 75% des très hauts revenus, estimant qu’il ne rapporterait pas beaucoup: au mieux entre 200 et 300 millions d’euros, soit moins de 0,08% du budget général de l’État en 2012. Cette faible capacité à générer des recettes par le biais de l’impôt sur le revenu tient au fait que seulement 53% des foyers français payent cet impôt. Son assiette est bien trop étroite. Grâce au quotient familial, au barème progressif, à la prime pour l’emploi et à d’autres exonérations et abattements, un foyer qui dispose d’un revenu fiscal annuel de moins de 15 000 euros nets ne paye pas d’impôts sur le revenu. Et en France, les riches bénéficient eux aussi de ces niches fiscales qui sont particulièrement nombreuses: près de 3 000. (…) D’après un rapport de Gilles Carrez, député UMP, parmi les 330 000 ménages imposés à la dernière tranche de 41% – disposant d’un revenu imposable de plus de 70 830 euros par part –, 4 800 ont annulé totalement leur impôt en 2010 par le jeu des niches fiscales. C’est absurde.

Malgré tout, la majeure partie des recettes de l’impôt sur le revenu en France est déjà payée par les riches. Les 1,6% de foyers fiscaux les plus aisés, qui ont un revenu supérieur à 97 000 euros, contribuent à eux seuls à 44% de tout l’impôt sur le revenu! En 2009, les 10% des foyers disposant des plus hauts revenus ont supporté 74% de l’impôt net alors qu’ils n’en acquittaient que 62%en 1975.

La France est déjà un pays fortement taxé. Parmi les quatre-vingt-huit pays ou territoires dans le monde étudiés par la société d’experts comptables KPMG en 2011, la France occupe la septième place pour la taxation la plus élevée des revenus au-dessus de 100 000 dollars (76 000 euros), impôts et charges compris, et la deuxième place dans le monde pour les revenus au-dessus de 300 000 euros! Au-delà de l’impôt sur le revenu, les riches en France sont assujettis à l’I.S.F. sur le patrimoine, un impôt qui n’existe dans presque aucun autre pays européen (il a été aboli en Suède et en Allemagne). Et le taux français d’imposition sur les dividendes est déjà le plus élevé de tous les pays de l’OCDE. Autrement dit, les riches sont déjà lourdement taxés en France.

Il y a une deuxième raison qui fait que le recours à une hausse de la taxation sur les riches ne résoudra pas le problème des déficits: une trop lourde imposition ne rapporterait pas automatiquement des revenus supplémentaires à l’État. Pourquoi? Trop d’impôt sur le revenu peut, sur la durée, décourager l’activité économique (ou la dissimulation d’une telle activité), ou même la participation au marché du travail, y compris chez les seniors et les femmes, ou encore accélérer les départs et dissuader les arrivées. On sait déjà que la Belgique et la Suisse sont des destinations prisées par les exilés fiscaux français. Il existe très peu de comptes précis sur l’impact de l’I.S.F. à cet égard mais une estimation prudente, calculée par Gabriel Zucman, de l’École d’Économie de Paris, chiffrerait la perte annuelle de la France à 400 millions d’euros – plus que le revenu supplémentaire qu’obtiendrait M. Hollande grâce à sa tranche à 75%.

Comme le disait déjà Malesherbes, qui s’insurgeait contre les hausses d’impôts voulues par le pouvoir royal de Louis XV, «le peuple qu’on accable d’impôts finit par n’en plus payer». Trop d’impôts tue l’impôt. Regardons ce qui s’est passé en Grande-Bretagne lors de la réforme de la fiscalité des années 1980. Dans les années 1970, période de sombre déclin pour la Grande-Bretagne, la dernière tranche de l’impôt sur le revenu atteignait les 83%, un record historique. À l’époque, le pays était perturbé par une instabilité politique et économique chronique, ainsi que par des désordres sociaux. C’était l’«homme malade de l’Europe», un pays en proie à des grèves à répétition, où les ordures traînaient dans les rues et où des corps étaient oubliés dans les morgues. Comme la Grèce aujourd’hui, la Grande-Bretagne a été au bord de la faillite et contrainte de demander un plan de sauvetage au FMI.

La suite, l’élection de Margaret Thatcher et la dérégulation brutale de l’économie britannique, est connue. Mais un élément de sa politique fiscale mérite d’être rappelé: en 1979, le Premier ministre a baissé le taux supérieur de l’impôt sur le revenu de 83% à 60%. Suite à cette mesure, la part de cette taxe payée par les 1% les plus riches est passée de 11% à 14% sur neuf ans! Les Britanniques cessaient de cacher leur argent, de s’exiler ou de dissimuler leur travail. En 1988 à nouveau, Mme Thatcher a utilisé le procédé, abaissant le taux marginal jusqu’à 40%. Neuf ans plus tard, les 1% les plus riches, qui, certes, ont vu augmenter leurs propres revenus d’une manière spectaculaire, contribuaient à hauteur de 21% des recettes totales.

Autrement dit, taxer moins fortement les riches a conduit à augmenter leur contribution aux recettes. Au cours des deux dernières décennies, la plupart des pays européens ont suivi cet exemple, avec des baisses de leurs taux marginaux de l’impôt sur le revenu. Entre 1994 et 2010, le taux moyen de cette tranche supérieure a baissé de 49% à 42% dans les pays membres de l’OCDE. Les dirigeants ont compris qu’un taux d’imposition trop élevé ne fournissait pas davantage de recettes. Aujourd’hui, en Europe, aucun pays ne dispose d’une tranche approchant des 75% de François Hollande. La plus élevée se trouve en Suède: 56,5%. Après avoir laissé la dernière tranche à 50% pendant deux ans, le gouvernement britannique a décidé lui aussi de la baisser à 45%. «Aucun ministre des Finances ne peut justifier un taux d’imposition qui nuit à notre économie et qui ne rapporte presque rien», a affirmé George Osborne, le chancelier de l’Échiquier. À déclarations de revenus constantes, ses services ont estimé que le Trésor britannique n’allait perdre que 100 millions de livres (123 millions d’euros) en recettes du fait de la baisse du taux, un montant qui ne représente que 0,02% des recettes publiques totales.

Si l’objectif est d’augmenter les recettes, mieux vaut élargir la base de l’impôt sur le revenu que d’augmenter la dernière tranche jusqu’à un niveau pénalisant. Une fusion de l’impôt sur le revenu avec la C.S.G., qui est prélevée non seulement sur les salaires mais aussi sur les revenus issus du chômage, des pensions de retraite et des placements financiers et du patrimoine, aurait le mérite de réaliser cet objectif. Cette fusion figurait parmi les propositions initiales du programme du PS.

Source Agefi oct12

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