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Entretien autour de l’euro avec Bruno Bertez, Nicolas Goetzmann et Jean-Paul Betbèze

Entretien autour de l’euro  avec Bruno Bertez,  Nicolas Goetzmann et Jean-Paul Betbèze 

Nicolas Goetzmann est gérant de fortune privée, ancien gérant de portefeuilles. Jean-Paul Betbèze est Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA.

 

-Altantico : L’euro vacille actuellement autour des 1,29 dollars, un niveau élevé qui privilégie l’économie allemande qui fait office de référence en termes de stabilité, de confiance et de taux obligataires (taux d’intérêt auxquels s’endettent un pays sur les marchés, ndlr). La stabilisation de la zone euro pénalise-t-elle, paradoxalement, les économies du sud de l’Europe en tirant l’euro à la hausse ?

Nicolas Goetzmann : La valorisation de l’euro dépend essentiellement de la politique monétaire, et cette politique est stricte en Europe. Une politique stricte entraîne un euro élevé qui empêche effectivement les économies du sud d’ajuster leurs économies. De la même façon, le Japon applique une politique monétaire ultra stricte depuis 20 ans, et possède ainsi la monnaie la plus forte au monde. Cela ne leur a pas permis de relancer leur économie, mais nous avons décidé de suivre le même chemin. La stabilisation de la zone Euro est en effet un mécanisme qui sauve les économies au bord de la rupture, mais qui ne leur permet pas de croître. Il s’agit de permettre à ces états de rester dans un régime qui les étouffe, ce qui est absurde. 

Jean-Paul Betbèze : Le taux de change de l’euro est globalement trop fort pour la zone euro, du fait de la bataille qui se joue entre les USA, qui veulent faire baisser le dollar pour faire monter le Yuan, la monnaie chinoise, et les autorités de Pékin qui refusent une appréciation trop forte de leur monnaie. Cette appréciation les handicaperait dans la situation actuelle, et plus encore dans leur propre zone. Donc, l’euro résiste ! Cet euro fort par procuration n’aide personne, car si l’Allemagne résiste, les pays du Sud souffrent plus encore, leurs salaires baissent pour exporter chez leurs voisins, ce qui atténue partout la croissance.

Bruno Bertez :L’euro n’est pas cher. On est autour des 1,30, légèrement en dessous, contre dollar.

Au plus haut en 2008 la monnaie européenne flirtait avec les 1,60 ; au plus bas on est descendu à deux reprises lors des crises aigues, dans la zone des 1,20. A 1,30 contre dollar, on est donc dans la partie  basse de la zone de fluctuation. En septembre, sur les rachats du découvert provoqués par les annonces spectaculaires de Draghi, on est allé titiller les 1,32 sans jamais pouvoir franchement les dépasser.

La première observation que l’on doit faire lorsque l’on parle des changes est que le change ne se décrète pas. Il s’établit sur un marché dont le volume de transactions est considérable que personne ne contrôle. 

Il est vrai cependant que ce marché peut etre influencé de differentes facons: 

-Par des interventions comme le font les suisses , japonais, bresiliens , chinois 

-Par les paroles et déclarations , ce que l’on appelle le jawboning.

Mais le fond reste que les changes ne se fixent pas, ils se constatent.

Les parités s’établissent de façon complexe et aucune théorie n’est satisfaisante, ce qui explique que les professionnels recourent à des modèles, qui sont en quelque sorte le refuge de leur ignorance. Parmi les facteurs qui expliquent en partie les parités, il y a les flux commerciaux et les soldes des balances de paiement, les parités de pouvoir d’achat, les différentiels de taux d’intérêt nominaux et réels, les rythmes de création monétaire et de crédit. La théorie la plus en vue est celle de l’équilibre de Rudi Dornbusch

Les observateurs s’étonnent du fait que la zone euro soit en crise mais que l’euro reste relativement apprécié, sinon ferme. Il y a plusieurs raisons à cette relative fermeté. L’euro est considéré comme ancré à l’Allemagne et subsidiairement à la France et autres pays encore triple A. La BCE est, malgré les dérives, encore moins inflationniste que la FED. Le monde est engagé dans une guerre monétaire qui, bien sûr,  ne dit pas son nom. 

C’est a qui printera le plus. 

 La création monétaire, nous le rappelons porte maintenant les nom inoffensifs de quantitative easing, de OMT , de politiques non conventionnnelles et autres caches sexe.  Malgré ces noms pudiques on ne peu oublier que depuis le debut de la crise le total de bilan des banques centrales est passé de 6 trillions à 18 trillions!  Le but est de devaluer pour ameliorer ses exportations, reduire ses importations et limiter son chomage , et tout le monde a le meme objectif.

Le but est de dévaluer pour améliorer ses exportations, réduire ses importations et limiter son chômage, et tout le monde a le même objectif. Nous sommes en guerre et l’arme est la dévaluation, donc il ne faut pas s’étonner si l’euro ne réussit pas à baisser autant que les pays faibles, keynésiens et inflationnistes le souhaiteraient. 

Tout le monde se dope à l’héroïne monétaire, toutes les monnaies s’avilissent en même temps ou presque puisque, faute d’ancrage la valeur des monnaies n’est que relative. C’est la raison pour laquelle on a l’illusion que l’euro est fort, voire trop fort. La force de l’euro est une illusion, il suffit de regarder le cours de l’or et du pétrole exprimé en euros. 

L’euro a été attaqué jusqu’en septembre non pour ses qualités fondamentales, intrinsèques, mais parce que certains croyaient à une possibilité d’éclatement de la zone euro et donc au chaos. La détermination des Européens à préserver la monnaie commune et le plan OMT de Draghi  ont convaincu les marchés que cette attaque était sinon injustifiée, du moins prématurée. 

En contrepartie de l’assurance sur le maintien de l’intégrité de l’euro, il est évident que la monnaie commune a remonté et que ce faisant, les pays faibles, déficitaires en balance de paiement, les pays non compétitifs ont perdu un atout possible. Faute de dévaluation externe, on peut penser que les besoins de dévaluation interne, donc d’austérité, sont renforcés. La fermeté du change oblige à plus de sacrifices dans le court terme, c’est évident.

PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

-La monnaie unique est-elle, à l’heure actuelle, à un niveau trop adapté à l’économie allemande et pas assez aux autres économies européennes ? Quelles conséquences en termes de croissance et de sortie de crise ? La BCE étant une banque centrale calquée sur la Bundesbank à sa création, le pouvoir allemand sur la politique monétaire de la zone euro doit-il être remis en cause ?

Nicolas Goetzmann : Encore une fois, la politique monétaire est restrictive. Un pays en récession a besoin d’une politique monétaire adaptée à sa situation, une politique différente de celle pratiquée aujourd’hui. Le poids économique de l’Allemagne explique que la politique de la BCE soit calquée sur ses besoins. Le régime de stabilité des prix ne permet pas de voir une sortie de crise. Seule une modification du Traité de Maastricht, permettant une révision du régime de stabilité des prix permettrait une sortie de crise pour l’Europe. Toute autre solution est soit inefficace, soit temporaire. 

Jean-Paul Betbèze : L’euro est en réalité trop fort pour tous. Même si l’Allemagne peut « résister », elle prend de plus en plus en charge un rôle de soutien dans la zone euro, et l’euro fort pèse ainsi sur elle, de manière indirecte. 

Bruno Bertez : La monnaie unique n’est pas adaptée aux besoins de l’économie allemande, elle est trop basse à notre avis. Le système allemand a besoin de discipline, c’est ainsi qu’il fonctionne et les relâchements de la discipline se paient toujours, cela les Allemands le savent. Un change trop bas favorise les laxismes, produit de l’inflation qui pourrit en profondeur les structures et les comportements. L’inflation européenne est trop forte pour les critères et besoins allemands. 

Temporairement, compte tenu de la dégradation du marché export mondial, les milieux patronaux ne sont cependant pas mécontents d’avoir un euro dans la zone des 1,30 contre dollar, avec la parité croisée qui en découle vis à vis de la Chine par exemple.

 Le pouvoir allemand sur la politique monétaire européenne est remis en cause depuis le départ de Trichet, à la fois en raison de la crise et aussi en raison de la personnalité de Draghi. Les Allemands considèrent que la BCE quitte la voie de la BUBA pour suivre celle de la Banque d’Italie. 

-En abaissant l’euro, n’y a-t-il pas un risque de déstabiliser l’Allemagne, première économie et pilier fort de la zone euro ? Quelles sont les conséquences ?

Nicolas Goetzmann : Si la BCE venait à agir plus agressivement, il y aurait en effet un risque de hausse des prix en Allemagne. Mais il s’agit bien du choix actuel. Le choix qui est aujourd’hui à la disposition des gouvernements Européens (via leur capacité de modifier le Traité) est soit la dépression en gardant la stabilité des prix, soit la croissance, la baisse du chômage et une hausse des prix dans les pays du nord. Il faut bien se rendre compte que les solutions ne manquent pas, seule la volonté politique fait défaut. En Europe nous préférons aujourd’hui avoir 18 millions de chômeurs plutôt que d’avoir 3 ou 4% d’inflation en Allemagne. Nous avons pris cette position en votant oui à Maastricht, en connaissance de cause. 

Jean-Paul Betbèze : Non, un euro stable autour de 1,15 correspond au taux d’équilibre de la monnaie. Cette obsession pour les rapports intra-européens est injustifiée. L’important, c’est l’Europe par rapport aux autres, le fait que l’euro est fort par rapport au dollar et au yuan. Certes, l’Allemagne s’en sort mieux. Mais même l’avantage de l’Allemagne s’érode. De plus, l’Allemagne est doublement touchée en tant que soutien de famille. Lorsque les pays du Sud sont touchés, l’Allemagne se retrouve attaquée au deuxième degré car sa périphérie s’affaiblit. 

Le problème, c’est que l’euro est une monnaie sans voix. Le Parti communiste chinois fait ce qu’il veut, les Etats-Unis font ce qu’ils veulent, et nous, nous sommes 17, mais personne ne parle pour l’euro. 

Bruno Bertez : La déstabilisation de l’Allemagne est en cours, mais elle n’est que frémissante. Le pays se divise, le consensus sur lequel est bâti le modèle économique et social allemand est en train de se fissurer. Au sein méme du SPD,  on voit les clivages se dessiner entre ceux qui sont internationalistes et ceux qui restent avant allemands donc rigoureux. 

Une déstabilisation de l’Allemagne n’est dans l’intérêt de personne, il faut un ancrage pour que L’Europe tienne et il n’y pas d’alternative à l’ancrage allemand. Les pays faibles et mal gérés ont besoin d’une Allemagne forte qui paie, qui travaille, qui exporte, sinon ils rechutent tous dans leur situation d’avant l’euro, dans les délices de l’inflation, des dévaluations, des déficits. Ils perdent encore plus rapidement l’accès aux marchés.

 -Le débat autour du niveau de l’euro par rapport au dollar, et au yuan, est-il oublié ? En cas de volonté politique, la zone euro a-t-elle vraiment les moyens de s’imposer face aux Etats-Unis et la Chine ?

Nicolas Goetzmann : Bien entendu. Avec une volonté politique, et un changement de politique monétaire, l’Europe a de très bonnes cartes en main. Les Etats Unis et La Chine jouent le jeu, ils se servent de leur politique monétaire afin d’ajuster leurs économies respectives. L’Europe ne joue pas ce jeu, elle est réellement « en dehors ». L’Europe ne peut pas être une victime, elle est seule responsable de cette situation. Nous avons le choix. Mais nous répondons à une situation démocratique. En Allemagne aujourd’hui l’électeur moyen est une femme de 56 ans, et de fait, ce sont ses intérêts qui sont majoritaires. Son intérêt est que la monnaie soit stable, que son pouvoir d’achat ne s’érode pas. De par la structure Européenne, ce sont les intérêts de cette femme qui sont défendus en Europe. Afin de changer la donne, il faudrait la victoire d’un parti allemand qui mettrait en avant une politique monétaire expansionniste, mais la configuration de l’électorat ne le permet tout simplement pas. (Comme au Japon depuis 20 ans). 

Jean-Paul Betbèze : Nous avons tous un euro trop fort. J’ai évoqué ce point précédemment, ce qui se passe montre bien que nous faisons en large part les frais de l’ajustement. Et je ne suis pas sûr que les entreprises de la zone euro en profitent pour acheter aux USA des entreprises temporairement moins chères. 

Bruno Bertez : L’Europe n’a aucun moyen d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit, pas même à elle-même. Pas même aux pays qui la constituent. La caractéristique fondamentale de l’Europe c’est sa diversité. Et j’ajouterai son ingouvernabilité. 

L’Europe a raté son défi de concurrencer les Etats Unis, de s’imposer sur la scène internationale aussi bien au plan monétaire que géopolitique. Elle est et risque de devenir encore plus le déversoir des  marchandises des émergents et des dragons asiatiques, tout en étant le déversoir des services américains et britanniques. Confère le débat récent sur l’acheter français et les importations coréennes.

Source Atlantico Le 29 Octobre 2012 

http://www.atlantico.fr/decryptage/tragique-paradoxe-stabilisation-euro-ne-fait-elle-que-noyer-peu-plus-economies-sud-nicolas-goetzmann-bruno-bertez-jean-paul-betb-528140.html

3 réponses »

  1. Un seul économiste français a parlé sur France-Inter, des achats massifs d’Euro par la banque nationale suisse, cela n’est peut etre pas majeur mais doit quand même contribuer a « *quelque chose », non ?

    Le défaut majeur de raisonnement des économistes français (qui s’expriment ou que l’on entend) quelles que soient les influences externes diverses et variées est de tout « raisonner  » par rapport à la France ! comme si la France gouvernait encore quelque chose (avec son état d’endettement du à Monsieur Mitterrand pour une bonne part) et en plus de penser que l’Europe va amener quelque chose comme si elle le devait intrinsèquement comme les français imaginent que l’état doit apporter les aides multiples, les subventions, assistant a l’infini la population.

    Si la France se releve elle apportera, à l’instar de l’UK ou des pays scandinaves ou de Allemagne une raison d’espérer, pour le moment elle reste uniquement donneuse de leçons !!

  2. (d)Étonnant échange. J’aime le relatif positivisme de vos co-interviewés et j’aimerais les croire et les suivre, mais je ne peux m’empêcher d’acquiescer en lisant vos réponses.

    Merci de cette dissidence et de cette clarté, on se sent moins seul et au final, franchement moins ignorants.

  3. Certes, certes, tout ceci est bien joué voyez vous. Mais un point précis m’intrigue pour ne pas dire m’angoisse ?
    C’est l’appropriation du nom en question ? Le nom du protagoniste du Crédit Agricole.

    Vous aurez beau me dire que j’ai l’esprit mal tourné ?
    Peut-être, peut-être, mais quand même. La « coince si dense » me parait troublante que voulez vous ! lol

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