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Mieux vaudrait éviter la tondeuse lorsqu’il s’agit d’investissements par Bill Gross( Pimco)

Mieux vaudrait éviter la tondeuse lorsqu’il s’agit d’investissements par Bill Gross(Pimco)

Il est vraiment recommandé aux investisseurs de ne pas se laisser prendre au jeu quelque peu pervers des banques centrales dans le monde.

Qu’est-ce que l’argent? Un moyen d’échange et une réserve de valeur? La définition est plutôt succincte, mais ce qui vient à l’esprit lorsque l’on se pose la question, ce sont les espèces, voire les chèques qui reflètent un stock d’espèces disponibles dans une banque conciliante. Ces dernières décennies ont donné lieu à de nombreuses innovations technologiques et financières et la définition de l’argent a, semble-t-il, été quelque peu élargie. Elle englobe désormais des formes de quasi-monnaie relativement liquide comme les fonds monétaires, les repod  et les bons du Trésor à court terme dont la Fed a «garanti» qu’ils s’échangeraient au pair sur les quelques années à venir.

Toutes ces formes  constituent un «moyen d’échange» car leurs détenteurs peuvent théoriquement les convertir en espèces du jour au lendemain sans subir aucune perte. Ces dernières années, la Fed a eu pour objectif de créer des formes de monnaie encore plus innovantes. Pour ce faire, elle s’est attachée à soutenir, dans des proportions toujours plus importantes, le prix des actions et des obligations selon leur coût d’acquisition. Par l’entremise du «Bernanke put», elle a ainsi assuré aux investisseurs que le fait de détenir ces titres équivalait à garder de l’argent dans son porte-monnaie. Et dire qu’il y a une dizaine d’années, les maisons ont bien failli devenir un substitut à l’argent. Le MEW (mortgage equity withdrawal, extraction de capitaux par l’hypothèque) pouvait être transformé en liquidité du jour au lendemain sur un marché immobilier destiné à ne jamais baisser. Il était alors possible de titriser son pavillon de banlieue et de partir voguer vers le couchant à bord d’un skiff de 8m flambant neuf.

Tant que les actifs liquides conserveront leur valeur nominale avec une marge d’appréciation, ces nouvelles formes de crédit ou de titres pourraient être considérées comme de «l’argent», voire mieux! En plus de constituer un moyen d’échange convertible, elles pourraient ainsi représenter une «réserve de valeur». Mais tout cet argent dernier cri vaut-il vraiment de l’argent, du vrai? Grâce à la technologie et à la liquidité conférée par la Fed, ces nouvelles unités peuvent jouer le rôle de «moyens d’échange» des temps modernes. Mais constituent-elles pour autant des «réserves de valeur» dignes de ce nom? La décennie écoulée a bel et bien prouvé que les maisons n’étaient finalement que des logements, et non des distributeurs automatiques de billets. De même, les créations de richesses liquides modernes de la Fed telles que les obligations et les actions pourraient subir un sort similaire avec la naissance d’une bulle spéculative, qui pourra se matérialiser par un taux de 1,50% pour un Bon du Trésor à 10 ans ou par un Dow Jones à 16.000 points.

Mais ne nous avançons pas et évitons de parler d’éclatement de la bulle. Dans l’immédiat, et puisque nous remettons en cause la qualité de l’argent, il nous faut plutôt parler décotes (ou haircuts), celles que l’on connaît déjà et celles à venir. Sur la base d’observations historiques, Carmen Reinhart a constaté que nous vivons dans un environnement où les décideurs et les gouverneurs de banques centrales rechignent biffer les excès: réduction limitée des dépenses sociales automatiques et pas de dépréciations abyssales des actifs sur le plan monétaire. Pourtant, sans coupe dans les dépenses ou sans dépréciation des actifs, difficile d’envisager une réduction des déficits et de la dette courante en pourcentage du PIB. Certes, la capacité des banques centrales à éviter la déflation par la dette a joué un rôle capital dans la stabilisation des économies à l’échelle mondiale. Et puis nous avons effectivement assisté à quelques décotes, au niveau des crédits hypothécaires aux Etats-Unis et de la dette souveraine en Grèce par exemple. Toutefois, le coût de ces stratégies, a été très élevé pour un effet discutable sur la réduction des ratios dette/PIB. Ben Bernanke a reconnu que les taux d’intérêt proches de zéro infligent un lourd tribut aux fonds de pension et aux petits épargnants. Certains de ses collègues à la Fed ont ouvertement évoqué les aspects négatifs des assouplissements quantitatifs et les difficultés inhérentes aux stratégies de sortie si elles doivent être appliquées un jour. (Elles ne le seront pas!) Les politiques actuelles ont donc un coût, même si elles poussent les prix des actifs à la hausse comme par magie, si bien que nombre d’entre elles semblent «aussi bonnes que l’argent».

Ce que je veux dire dans cet Investment Outlook, c’est que même SI… même SI les assouplissements quantitatifs et les rendements quasi nuls peuvent remettre les économies mondiales à flot et créer l’illusion d’une croissance réelle façon Ancienne Norme, ces méthodes passeront nécessairement par des haircuts qui tendent à désépaissir les portefeuilles par petites touches, sans même que les investisseurs ne s’aperçoivent qu’ils sont entrés dans un salon de coiffure. Ces haircuts sont des formes d’imposition masquées qui réduisent le pouvoir d’achat à mesure que les taux d’intérêt manipulés peinent à suivre le rythme de l’inflation. Ce faisant, les gouvernements et leurs banques centrales réduisent théoriquement les niveaux d’endettement réel ainsi que les passifs excessifs des entreprises et l’endettement des ménages. Mais ces techniques représentent un transfert de richesse dissimulé en contradiction avec le fameux slogan «aussi bon que l’argent».

Il est temps de s’intéresser de plus près à ces coupes afin de comprendre pourquoi elles ne représentent pas une véritable réserve de valeur, et ce même si leurs prix gonflés à l’hélium n’explosent jamais. J’utiliserai une appellation symbolique pour chacune d’elles.

PLUS DE GROSS EN SUIVANT:

(1) Taux d’intérêt réels négatifs – «On raccourcit la frange»

Pendant et depuis la Deuxième Guerre mondiale, la plupart des pays surendettés ont eu recours à une stratégie consistant à plafonner artificiellement les taux d’intérêt au-dessous du taux d’inflation. En contraignant les épargnants à accepter ces taux d’intérêt réels négatifs, ils réduisaient le coût de la dette publique mais instauraient par là même un décalage avec l’augmentation du coût de la vie. Ainsi le taux des bons du Trésor à long terme étaient bloqués à 2,5% alors que l’inflation grimpait vers des taux à deux chiffres. Les taux d’intérêt négatifs ainsi obtenus, conjugués à l’accélération de la croissance économique, ont permis aux Etats-Unis, dont le ratio dette/PIB s’élevait à 250% durant la Dépression, de réduire ce chiffre de moitié ou presque en quelques années. En contrepartie, ces mesures ont introduit des distorsions sur les marchés des capitaux.

Aujourd’hui, les banques centrales appliquent la même méthode avec des rendements quasi nuls et des plafonnements effectifs des taux les plus élevés par le biais d’assouplissements quantitatifs. Lentement mais sûrement, le loyer moyen de l’argent du Trésor descend sous la barre des 2%. Si les politiques en vigueur sont maintenues au cours des années à venir, ce taux finira par être inférieur à 1%. Mais ce que le gouvernement gagne, l’épargnant le perd. Les investisseurs se font délester d’au moins 200 points de base au regard des conditions historiques, qui n’offraient pas d’assouplissements quantitatifs ou de taux directeurs proches du niveau d’inflation. Les gros porteurs d’obligations d’Etat américaines, parmi lesquels la Chine et le Japon, seront remboursés, mais entre-temps seront implicitement placés face à un défaut de paiement via des taux d’intérêt réels négatifs.

Les bons du Trésor valent-ils de l’argent? Oui. Mais représentent-ils de l’argent de bonne qualité? Certainement pas, si l’on tient compte des décotes actuelles et à venir. Ces retouches apparemment anodines apportées aux taux d’intérêt réels (-1% et -2%) ne sont pas aussi radicales que qu’une coupe au carré (pour rester fidèle à l’analogie capillaire) mais tendent à «raccourcir la frange». Une fois la coupe terminée, il y a un bon paquet de cheveux à balayer par terre.

(2) Inflation/Dévaluation de la monnaie – la «Don Draper»

L’inflation, c’est un peu votre coupe de tous les jours à la Don Draper dans Mad Men. On la voit depuis longtemps et on n’y fait plus vraiment attention. Environ 2% par an – certains disent davantage – mais peu importe car l’inflation, c’est comme l’oxygène… elle est indispensable à la survie d’une économie moderne endettée. Cependant, elle devient parfois incontrôlable et lorsque le phénomène est inattendu, on peut voir son portefeuille d’obligations et d’actions subir un sévère coup de bambou. L’exemple vaut pour la République de Weimar des années 1920 ou pour le Zimbabwe aujourd’hui, avec son billet de cent mille milliards de dollars. En alimentant subrepticement l’inflation, les banques centrales dévaluent leur monnaie et le pouvoir d’achat par rapport aux pays à devises fortes. Dans les deux cas – poussées inflationnistes ou dévaluations monétaires -, il est évident qu’un portefeuille-titres ne vaut pas l’argent sur lequel vous comptez peut-être.

(3) Contrôle des capitaux la «coupe façon Oncle Sam»

Avec sa chevelure blanche plutôt soignée et sa barbe bien taillée, Oncle Sam illustre bien ce type de coupe, ne serait-ce que pour montrer que même les Etats-Unis peuvent s’attaquer à votre argent et votre capital. Dans les années 1930, Franklin Delano Roosevelt institua une forme d’expropriation flagrante. La détention d’or par un particulier était interdite (et passible d’une amende de 10.000 dollars et de 10 ans de prison).

Il existe aujourd’hui d’autres formes de contrôles de capitaux, moins évidentes mais aux effets comparables: l’ancrage des devises (Chine et bien d’autres pays), les taxes sur les entrées de capitaux (Brésil) et la taxation/confiscation des dépôts bancaires (Chypre). Les Etats ont recours à ces méthodes pour réguler les entrées et sorties d’argent, ce qui se traduit par autant de coups de ciseaux dans votre capital ou son rendement potentiel. Les futures coupes pourraient aussi se matérialiser par un impôt sur la fortune. L’or et/ou les obligations souveraines AA+, est-ce de l’argent? En général, oui, mais attention car avec les contrôles de capitaux, un moment d’inattention peut vous valoir un coup de tondeuse.

(4) Défaillance pure et simple la «Dobbins»

Tiens, voici ma coupe préférée. Je l’ai baptisée la «Dobbins» en honneur à cette obligation à cinq ans émise dans les années 1920 avec un joli sceau doré et payable en dollars ou en mitrailleuses! Les porteurs n’ayant eu droit ni à l’un ni à l’autre, il s’agit là d’un exemple historique de la boule à zéro, la «Dobbins». J’ai un jour tweeté que la Fed était la dernière demeure de toutes les mauvaises obligations. L’expression est imagée, mais pas tant qu’il n’y parait, car les banques centrales se cantonnent généralement à l’achat d’obligations remboursables en mitrailleuses ou de subprimes (même si l’on recense quelques exceptions, Bloomberg indiquant que près de 25% des banques centrales achètent désormais des actions, qui l’eut cru)! Toutefois, en achetant des bons du Trésor et des titres hypothécaires émis par des agences, elles sont parvenues à inciter le secteur privé à en faire autant. Comportement qui reflète un principe entré dans les mœurs: les économies développées reposent sur le prix des actifs. A moins de pouvoir éternellement pousser les prix vers le haut, nous pourrions assister à des défaillances ou à une déflation par la dette. N’achetez pas une obligation Dobbins ou un actif à profil similaire émis par un pays dont la banque centrale achète des actions. Il y a de fortes chances que ces placements ne soient pas «aussi bons que l’argent»!

Stratégie d’investissement

Vous avez l’impression d’être acculé chez un barbier du genre Sweeney Todd? Admettons-le et reconnaissons que toutes ces coupes impliquent des rendements futurs inférieurs à la moyenne pour les obligations, les actions et les autres actifs financiers. Si les règles sont injustes, refusez de jouer. Mais le jeu se solde alors par des bons du Trésor à 10 points de base et des rendements négatifs en Allemagne, en France et dans les marchés du nord de l’UE. Un investisseur en obligations et en actions peut aussi choisir de jouer avec un niveau de risque historiquement élevé pour le principal ou bien quitter la partie sans rien gagner. PIMCO conseille de continuer à participer à une bulle générée par les banques centrales mais de réduire progressivement son exposition au risque en 2013 et peut-être au-delà. Si ce papier affirme que les bons du Trésor valent de l’argent mais ne sont pas «aussi bons que l’argent», ils restent préférables à la solution alternative (les espèces) tant que les banques centrales et les pays utilisant le billet vert comme monnaie de réserve (Chine, Japon) restent en jeu.

La conclusion vaut également pour les alternatives au risque de crédit telles que les obligations d’entreprises et les actions. Profitez de l’année pour rafraîchir la coupe de votre portefeuille. Vous ferez peut-être une croix sur des rendements nominaux supérieurs, mais vous éviterez de passer entre les mains expertes de Sweeney Todd. Il y aura des coups de ciseaux mais vous éviterez les coupe-gorges.

Bill Gross/ PIMCO/ Agefi Suisse jeudi, 23.05.2013

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