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Entretien Bruno Bertez/Atlantico: Shinzo Abe peut-il réussir son pari sans l’appui des marchés ?

Entretien Bruno Bertez/Atlantico:  Shinzo Abe peut-il réussir son pari sans l’appui des marchés ? 

 Atlantico : Malgré l’instabilité de la Bourse japonaise, Shinzo Abe a annoncé qu’il ne souhaitait pas tenir compte des marchés financiers pour continuer sa politique économique, les fameuses « Abenomics ». Mais le pourra-t-il vraiment si le Nikkei, qui avait perdu 7,32% sur une seule séance le 23 mai dernier, se met un jour à sérieusement dévisser ?

Bruno Bertez :  Monsieur Abe est bien obligé de tenir compte des marchés financiers puisque sa politique est essentiellement monétaire et financière. Elle a besoin, elle passe, elle se transmet ou non par les marchés financiers. Aussi bien Abe que Kuroda sont prisonniers des marchés financiers. Peut-être n’y ont ils pas suffisamment réfléchi, c’est possible.

La culture japonaise est plus une culture administrative, une culture de contrôle dirigiste qu’une culture de marchés. Ils sont habitués à ce que le rôle des ministères soit dominant et il semble qu’ils soient surpris de découvrir que les marchés existent et portent un jugement sur leur action.

Ils ne sont pas au bout de leur peines , ils vont découvrir que la communauté spéculative internationale n’est pas aussi docile que les fonds de pensions locaux et que ces investisseurs ont des réactions que l’esprit nippon ne comprend pas bien. Non seulement ils ont ce problème de comprendre et d’admettre que les marchés ne pensent pas comme eux mais en plus ils ne savent pas communiquer. C’est un art de savoir parler aux marchés et les dirigeants  japonais ne le pratiquent pas.

La communauté spéculative mondiale se moque pas mal des objectifs de Monsieur Abe, elle vient en prédateur. La baisse des actions et de l’indice Nikkei n’est  pas très importante, ce qui est important c’est d’abord le taux de rendement des bonds, les JGB et ensuite la parité dollar/yen. Et là, Abe et Kuroda ont pris une grosse claque, les taux des JGB se sont envolés, le Yen a remonté contre dollar.

La politique d’Abe est-elle forcément en opposition avec les intérêts boursiers ? Ceux-ci n’ont-ils pas intérêt à voir s’instaurer un climat d’optimisme plus grand – ce qui est loin d’avoir été le cas ces dernières années – que les Abenomics peuvent permettre d’atteindre ?

Bruno Bertez : Les financiers gagnent de l’argent aussi bien dans les réussites que dans les échecs des politiques économiques des responsables. Tout dépend des stratégies mises en œuvre. Depuis Novembre 2012  la communauté financière joue dans le sens voulu, souhaité par Abe ; à partir du 20 mai  elle a commencé à jouer contre car la crédibilité des dirigeants japonais est faible et leur action est incohérente. Le doute s’installe à différents niveaux : Capacité à atteindre les objectifs fixés, compatibilité des différents objectifs poursuivis etc.

Il est évident pour un spéculateur de haut vol que l’on ne peut vouloir en même temps faire baisser les taux et proclamer un objectif d’inflation de 2%.  Les taux de marché s’ajustent aux anticipations d’inflation. Pour être cohérente la politique de  Abe et Kuroda devrait passer soit par l’achat de tous les JGB et pas seulement de 70%, soit par le bouclage des frontières,  contrôle des mouvements de capitaux. Sermonner, comme ils l’ont fait, les institutions locales ne sert à rien qu’à les ridiculiser.

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Atlantico: Cette relative indifférence aux intérêts boursiers est-elle une forme de « courage » d’homme d’État, ou est-on plus dans le registre de la démagogie de celui qui veut mener sa politique sans prendre en compte le principe de réalité ?

Bruno Bertez : Ce n’est pas de l’indifférence, c’est de l’ignorance. Les marchés financiers ont peut-être plus d’intérêts à suivre Abe qu’à le combattre, mais quand la politique, les propos sont idiots, ils sanctionnent. Les marchés ne font pas comme la presse, ils ne flagornent pas ; c’est leur argent qui est en jeu. Par ailleurs, il n’y a  aucun courage dans la politique  menée, c’est une fuite en avant, le contraire du courage. Le courage aurait été de coupler, c’est-à-dire oser faire en même temps les réformes qui s’imposent au Japon. Hélas, on fait le plus facile d’abord, alors que l’on reporte les réformes à plus tard.

Les problèmes du Japon sont des problèmes réels et il n’est même pas sûr que le Japon ait intérêt à s’aventurer à les traiter. On peut douter de la nécessité de vouloir changer le cours des choses dans ce pays. Quand vous  allez à Tokyo, vous avez l’impression que le pays marche bien, il est bien entretenu, l’atmosphère est paisible, rien à voir avec le cloaque que l’on découvre à Paris par exemple. Le Japon a peut-être trouvé le mode de vie post-croissance dont les écolos/malthusiens rêvent.

Mais si le Japon veut passer sous le rouleau compresseur de la globalisation et faire plaisir au capital international, alors il doit se réformer et très vite. Il faut abandonner les traditions, cesser de rechercher le consensus avant d’agir, faire sauter les pouvoirs de l’administration et des grands ministères, introduire la fameuse flexibilité, accepter l’ouverture sur l’étranger et l’immigration, changer de fond en comble la politique énergétique, libéraliser la gestion de l’épargne, introduire la concurrence, accepter plus de chômage. Vaste programme.

Comment les marchés étrangers, eux, peuvent-ils réagir à ces Abenomics ? L’impact de la politique de Shinzo Abe peut-elle influencer les autres places boursières mondiales ?

Bruno Bertez : Les marchés étrangers ont l’œil rivé sur ce qui se passe au Japon et sur tout ce qui concerne le Japon. C’est lui, le déterminant essentiel du comportement de tous les marchés. Quand le yen baisse les marchés montent. L’indice S &P 500 est étroitement corrélé à la parité dollar/yen. Quand le yen a commencé à plonger en novembre,  le S & P 500  a entamé un long mouvement de hausse, calquant les mouvements de la parité dollar/yen. Quand le yen a stoppé son avance, les marchés ont plongé. Les hésitations récentes sont liées aux incertitudes sur la suite de l’expérience de Abe.

C’est un peu technique, mais le paramètre majeur de l’évolution des marchés actuellement est le spread, l’écart de rendement entre les bonds à 10 ans américains et les bonds à 10 ans japonais. Ce spread joue sur le niveau du yen, et le niveau du yen joue sur tout le reste. Si le spread se réduit, le yen cesse de baisser et c’est négatif. L’objectif théorique pour le dollar/yen est autour des 120, c’est celui qui donnerait une chance à Abe de réaliser son but, produire une inflation de 2%. Nous en sommes loin.

En passant, signalons que la forte baisse de l’or est liée précisément à ces mouvements sur le yen. Lorsque le yen a cessé d’être ferme et que l’on a anticipé son affaiblissement, cela a signé la fin de ce que l’on appelle le gold/yen carry ou gold forex arbitrage. Le gold/yen carry est une stratégie complexe qui était fondée sur la fermeté du yen et la faiblesse du dollar. Ces derniers jours le yen a cessé de baisser, vous constatez que l’or s’est stabilisé.

Les chances de réussite des Abenomics sont nulles. Comme l’a dit le financier américain Soros « Tout cela finira dans les larmes ». Abe a voulu mettre en pratique les conseils de Bernanke, le président de la Fed, les fameux conseils donnés en décembre 1999  sous le titre « Japan, a case  of self induced paralysis », il aurait mieux fait de ne jamais lire ce texte. Pour le Japon et pour le reste du monde.

SOURCE ET REMERCIEMENT ATLANTICO Le 5/6/13

http://www.atlantico.fr/decryptage/shinzo-abe-peut-reussir-pari-sans-appui-marches-jacques-sapir-bruno-bertez-746372.html

4 réponses »

  1. En espérant qu’Hollandouille ne revienne pas avec cette idée folle de faire un « HollandeNomics »

    • Il en a déjà a l’idée… Il faut surtout espérer que les Allemands ne le laisseront pas la mettre ne pratique…

  2. Bonjour Mr Bertez, où peut on trouver le lien pour accéder aux 4 graphiques ci-dessus (évolution conjointe 10 Y JGB Yield, VIX Japonais, USD/JPY, NIKKEI)

    Merci bien

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