Art de la guerre monétaire et économique

Grandes oreilles: Le centre d’interception des communications de la NSA près de Bluffdale, dans l’Utah, sera inauguré cet automne

Grandes oreilles: Le centre d’interception des communications de la NSA près de Bluffdale, dans l’Utah, sera inauguré cet automne

A l’automne doit être inauguré le centre d’interception des communications de la NSA près de Bluffdale, dans l’Utah. Un «big data center» aux capacités titanesques, construit dans le secret

Les uns en appelaient à Dieu, les autres à la Constitution américaine, mais tous les manifestants curieusement rassemblés ce 4 juillet 2013, jour de la fête nationale, dans une vallée aride des montagnes de l’Utah, vouaient aux gémonies la NSA, cette Agence nationale de sécurité dont l’ancien collaborateur Edward Snowden a révélé les pratiques intrusives. Là, au milieu de nulle part, non loin de la bourgade de Bluffdale, à 40 km au sud de Salt Lake City, doit être inauguré cet automne le plus grand centre d’interception des communications des Etats-Unis et probablement du monde.

Les uns, chrétiens ultraconservateurs, imploraient Dieu afin qu’il «jette une malédiction sur la NSA». «Il va en faire tomber les murailles», prédisait un manifestant en comparant le futur centre à Jéricho. Les autres manifestants,  invoquaient le quatrième amendement de la Constitution, qui protège les libertés individuelles. «Depuis quand mon blog concerne-t-il la sécurité nationale?» ­dénonçait une pancarte. Au total, ils n’étaient pas plus de 150, selon le Salt Lake Tribune, mais leur réunion aux abords du chantier symbolisait bien la mobilisation «anti-grandes oreilles» des deux extrémités de l’éventail politique américain.

Au-delà d’un périmètre de sécurité puissamment gardé, plusieurs milliers d’ouvriers, de techniciens et d’ingénieurs font sortir de terre en toute discrétion depuis deux ans un gigantesque complexe, baptisé par euphémisme «Centre de données de l’Utah». Photographies strictement interdites. Surface de plancher disponible: 100 000 mètres carrés. Coût: 2 milliards de dollars (2,17 milliards de francs).

Le centre doit abriter les calculateurs parmi les plus puissants et rapides du monde, capables de conserver un volume de données équivalent à… plusieurs siècles de l’actuel trafic mondial d’Internet. Bluffdale, ce sera non seulement «le disque dur de la NSA, mais aussi son «cloud» et son entrepôt», résume James Bamford, journaliste au magazine Wired spécialisé dans les technologies de pointe et auteur d’un livre de référence qui qualifie la NSA d’«usine fantôme».

Pour protéger ce cœur stratégique de la NSA, rien n’a été laissé au hasard. Le centre est doté de dispositifs de protection antiterroriste à 10 millions de dollars comprenant une enceinte conçue pour stopper un véhicule de 7 tonnes, un système d’identification biométrique et un circuit fermé de caméras. Pour refroidir ses ordinateurs titanesques, a été installé un réseau de pompage capable de traiter 6,5 millions de litres d’eau par jour. Le centre, qui consommera 65 mégawatts d’électricité, disposera d’une autonomie de trois jours grâce à ses réserves propres de carburant.

L’ensemble, situé en pleines Montagnes Rocheuses, concrétise un rêve qui, récemment encore, relevait de la pure fiction: stocker ­l’ensemble des communications échangées sur la planète, depuis les courriers électroniques et les coups de fil privés jusqu’aux recherches sur Google, achats de livres, trajets en avion, transactions commerciales, sans parler des secrets industriels ou diplomatiques.

Vers le centre de données de l’Utah convergera l’ensemble des données collectées par les satellites de la NSA, ses postes d’écoute internationaux situés aux Etats-Unis (Géorgie, Hawaii, Texas, Colorado) et à l’étranger (Yorkshire, au Royaume-Uni, et Australie), sans compter les branchements posés sur tous les grands réseaux téléphoniques et les fournisseurs d’accès internet américains. Stocké, ce monceau presque illimité d’informations sera mis à la disposition des collaborateurs de la NSA, du FBI, de la CIA et de toutes les agences traquant le terrorisme, les cyberattaques, ou espionnant les activités politiques ou économiques partout dans le monde.

L’endroit, isolé entre les massifs montagneux d’Oquirrh et de Wasatch, n’a pas été choisi au hasard. Si le pays mormon – une secte de 9000 membres pratiquant la polygamie est implantée à proximité du centre – a été choisi parmi 38 implantations possibles, c’est non seulement parce que l’électricité y est bon marché et l’eau abondante, mais surtout parce que la population, marquée par cette religion conservatrice qui enseigne le patriotisme et le respect de l’autorité, était réputée y faire bon accueil.

Aux yeux des services de renseignement, l’environnement mormon est doté d’une vertu décisive: l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours envoie systéma­tiquement ses adeptes en mission aux quatre coins du monde, au point que l’Utah possède la plus haute densité de polyglottes des Etats-Unis. Un atout décisif lorsqu’il s’agit de décrypter les communications du monde entier.

Après avoir prêché à l’étranger, de nombreux jeunes mormons sont d’ailleurs recrutés directement par la garde nationale, dont la brigade chargée du renseignement emploierait à elle seule 1600 linguistes. «Ici, nous profitons au maximum de chacun de nos dollars», se félicite Harvey Davis, directeur de la logistique de la NSA, dans le Salt Lake Tribune.

Localement, le républicain Orrin Hatch, figure du Sénat, ancien membre de la Commission du renseignement et chaud partisan des législations sécuritaires de l’après-11-Septembre, a fait de l’implantation de la NSA un combat personnel. Il a su mettre en valeur les 200 emplois permanents créés à Bluffdale. «Un hommage rendu à l’Utah», appuie-t-il lorsque, en octobre 2009, en pleine crise économique, est annoncée publiquement l’implantation du «centre le plus sophistiqué du monde destiné à traquer les menaces provenant d’organisations criminelles».

Gardant profil bas sur ses activités, jamais la NSA n’a indiqué de façon explicite quels types de données seraient stockés, évoquant seulement la «lutte contre la cybercriminalité». A un journaliste insistant sur ce point lors d’une conférence de presse, Glenn Gaffney, responsable du renseignement, fait mine de répondre en soulignant la «nécessité de mieux protéger les infrastructures du pays». Deux ans plus tard, au moment de la pose de la première pierre, un autre reporter s’approche d’un responsable de la chambre de commerce locale: «Avez-vous une idée de la fonction de ces installations?» «Absolument aucune, répond ce dernier avec un rire nerveux. Mais je ne souhaite pas être espionné par eux!»

En juin, Edward Snowden a confirmé et précisé les déclarations d’autres whistleblowers (lanceurs d’alerte): la NSA stocke non seulement les métadonnées (numéro appelé, durée de l’appel…) des abonnés au téléphone américains, mais aussi le contenu des communications internationales sur le Web. Pour continuer de le faire alors qu’Internet connaît une expansion exponentielle, le data center de l’Utah sera doté de capacités de stockage inédites, mesurées en yottabites (10 puissance 24 bits), selon James Bamford, le journaliste de Wired.

Un volume si énorme qu’aucun nom n’existe encore pour désigner une grandeur supérieure (un yottabite équivaut à mille années du trafic mondial sur Internet prévu en 2015, ou à 500 milliards de milliards de pages de texte).

Ultra-perfectionnés, les algorithmes de traitement de ces big data permettent de faire automatiquement le lien entre des formes de communication diverses et de révéler des relations inattendues entre des personnes. Il s’agit de «trouver des connexions entre un achat à tel endroit, un appel téléphonique à un autre, une vidéo, des informations collectées par les services des douanes et de l’immigration», a expliqué le général David Petraeus, alors directeur de la CIA, dans un discours public en mars 2012.

L’analyse des données télépho­niques et des informations postées sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook est aussi censée permettre de prévoir les mouvements d’opinion, voire les révoltes; celle des vidéos de surveillance, elle, est supposée repérer les comportements suspects. «La CIA et les partenaires de notre communauté du renseignement doivent être capables de nager dans l’océan du big data, a poursuivi le général Petraeus. Nous devons vraiment être des nageurs de classe internationale. Les meilleurs, en fait.»

Les «grandes oreilles» de Bluff­dale n’enregistreront pas seulement la partie publique de la Toile. Elles se tourneront aussi vers le «Web profond», autrement dit les données protégées par des mots de passe que contiennent les bases de données de sociétés ou de gouvernements. Notamment les «secrets d’un adversaire potentiel», selon les termes d’un rapport de 2010 du Defense Science Board, une commission consultative du Pentagone, cité par Wired.

Pour «casser» les codes secrets qui protègent ces informations financières et industrielles, diplomatiques ou militaires cryptées, il est déterminant de disposer d’ordinateurs ultra-rapides et d’un grand volume d’informations collectées sur chaque cible.

Bluffdale devrait bénéficier évidemment des machines dernier cri nées de la compétition à laquelle Chinois, Japonais et Américains se livrent en matière de rapidité des ordinateurs. La capacité du XT5 américain, surnommé «Jaguar», a été récemment portée à 2,33 petaflops, soit 2,33 millions de milliards de calculs par seconde. Quant au Cray XC 30 développé au sein du programme «Cascade» du Pentagone, il vise l’exaflop (un milliard de milliards d’opérations par seconde).

Encouragée par l’augmentation vertigineuse des capacités de stockage et l’abaissement consécutif des coûts, l’idée d’une conservation systématique des données est devenue un dogme pour la NSA. Dans l’une des rares explications publiques à ce sujet, Gus Hunt, patron de la division technique de la CIA, le justifiait ainsi en mars: «La valeur de chaque information n’est connue qu’au moment où l’on est en mesure de la connecter avec une autre donnée, qui peut surgir plus tard, à n’importe quel moment, a-t-il expliqué devant une assemblée d’informaticiens. Comme il n’est pas possible de relier des données que l’on ne possède pas, nous avons été conduits à un genre de «on s’efforce de collecter tout, et de le conserver pour toujours.»

Pareil appétit justifie les installations cyclopéennes de l’Utah, mais aussi les inquiétudes face à un système qui transforme en cible potentielle tout citoyen utilisant un moyen de communication.

«L’apathie domine dans l’opinion, regrette le journaliste James Bamford à propos de Bluffdale. Les gens n’y prêtent pas attention, jusqu’à ce qu’il soit trop tard.» Les malheureux 150 protestataires du 4 juillet à Bluffdale semblent lui donner raison. Mais la fronde de certains élus, qui a commencé à se manifester en juillet avec le dépôt d’un amendement destiné à limiter la surveillance de la NSA – amendement rejeté à une courte majorité –, pourrait modifier la donne.

En attendant, le méga-data center de l’Utah s’apprête à engloutir son océan d’informations. Pour l’avenir, ses concepteurs se disent confiants: modulables, les gigantesques bâtiments ont été conçus pour permettre des agrandissements successifs. Et cette vallée de l’Utah offre, comme les superordinateurs, un espace proche de l’infini.

Par Philippe Bernard/Le temps 29/8/2013

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/17945882-0ffd-11e3-a9eb-935518626d1f/Grandes_oreilles

Les chiffres de Facebook et Google jugés insuffisants Par Anouch Seydtaghia

Les requêtes gouvernementales cachent la surveillance globale, juge une ONG

Trois ans après Google, Facebook a accepté de lever un coin de voile sur les requêtes qu’il reçoit de la part des autorités. La société a publié mardi soir son premier «Rapport international des demandes gouvernementales» , où elle détaille les requêtes issues de 74 pays, dont la Suisse. Une initiative saluée par l’organisation non gouvernementale britannique Privacy International, qui estime néanmoins que les chiffres publiés masquent la réalité de la surveillance américaine.

Au total, durant le premier semestre 2013, le réseau social a reçu des demandes d’autorités concernant au moins 38 000 utilisateurs. Il s’agit de demandes concernant le nom de membres du réseau social, leur adresse IP, le contenu mis en ligne ou l’utilisation en général de Facebook. Les Etats-Unis, avec une fourchette de 11 000 à 12 000 requêtes, sont en tête du classement, suivis par les autorités indiennes (3245), britanniques (1975) et allemandes (1886). A titre de comparaison, 8 demandes émanent d’Egypte et 113 d’Israël. La Syrie, l’Iran et la Chine ne figurent pas dans la liste.

En Suisse, 32 demandes ont eu lieu, portant sur 36 utilisateurs. Facebook n’a donné suite qu’à 13% de ces requêtes. Le pourcentage est nettement plus élevé aux Etats-Unis (79%) et en Allemagne (37%). Facebook a annoncé vouloir publier de tels rapports à intervalles réguliers.

Des renseignements sur les internautes suisses

Google livre des statistiques comparables depuis 2010. Dans le cas de la Suisse, au deuxième semestre 2012 (aucune donnée n’est encore disponible pour 2013), le moteur de recherche a reçu 49 demandes de renseignement, portant sur 59 comptes ou utilisateurs. Google a accédé à 67% de ces demandes. Ce pourcentage reste stable sur les quatre derniers semestres. A titre de comparaison, Google a accepté 88% des demandes américaines lors des six derniers mois de 2012. Le moteur de recherche livre également des chiffres sur des demandes de suppression de contenu en ligne.

Privacy International souligne toutefois sur son site que «ces rapports ne fournissent qu’une image limitée de ce qui se passe vraiment». Faisant référence aux révélations d’Edward Snowden, l’ONG écrit que «les gouvernements n’ont pas forcément besoin d’intermédiaires comme Facebook, Google ou Microsoft pour obtenir nos données. Ils peuvent les intercepter via des câbles sous-marins ou des demandes secrètes de tribunaux.»

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/4f2a85ca-1014-11e3-a9eb-935518626d1f/Les_chiffres_de_Facebook_et_Google_jug�s_insuffisants

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