A Chaud!!!!!

Wikipédia, thermomètre des sujets qui fâchent le monde

Wikipédia, thermomètre des sujets qui fâchent le monde

Une étude permet d’identifier les thèmes de conflit dans différentes langues de la célèbre encyclopédie en ligne.

Wikipédia n’est pas seulement une encyclopédie en ligne bien connue. C’est aussi un terrain d’affrontements intellectuels entre les éditeurs bénévoles qui participent à son élaboration et corrigent sans cesse les articles jusqu’à un hypothétique consensus.

Mais ces batailles n’ont rien d’universel en fonction des langues, selon une équipe internationale des Universités d’Oxford et de Budapest réunie dans le cadre du projet européen ICTeCollective. Ces chercheurs viennent de quantifier les différences dans la nature des sujets controversés, selon l’origine géographique et culturelle.

On ne s’étripe pas sur les mêmes thèmes sur le Wikipédia français, allemand, hébreu ou tchèque. Les Français se chamaillent de préférence sur les questions politiques et idéologiques (Ségolène Royal, socialisme, Poutine…), tandis que les Espagnols savourent les polémiques sportives et les Arabes se querellent sur la religion.

Sur les 1000 sujets «chauds» identifiés, 57%, sur dix langues étudiées, portent sur les questions politiques, religieuses et territoriales. 11% sur la musique, la littérature ou le cinéma. Et 6% sur les sciences et technologies. Les Français ne partagent, sur les 100 premiers thèmes conflictuels, que deux sujets avec les Allemands, les Anglais et les Espagnols: l’homéopathie et Jésus. Ce qui les rapproche des Allemands sont la psychanalyse, Ben Laden, Roger Federer et le racisme. Avec les ­Espagnols, c’est Pinochet. En fait 81% des 100 sujets les plus controversés en français sont exclusivement «nationaux» et pas partagés avec les trois autres langues (67% pour la version anglaise de Wikipédia).

Le long article à paraître dans un livre consacré à l’objet Wikipédia début 2014, et mis en ligne en juillet sur arXiv.org , fourmille de chiffres et de représentations graphiques. La méthode mise au point par les chercheurs, en 2012, consiste à attribuer une empreinte unique à chaque version d’un article pour pouvoir ensuite analyser notamment combien de fois une version revient en ligne; preuve qu’un éditeur est en train de lutter contre un autre en republiant un texte antérieur. Des travaux précédents se basaient sur les fils de discussion de chaque article, ou sur des étiquettes posées par les éditeurs…

«Ces spécialistes proposent une définition opérationnelle des sujets conflictuels, indépendante des langues. Les comparaisons deviennent ainsi possibles. Cela rend la vision que nous avons de Wikipédia moins monolithique», explique Alexandre Hocquet de l’Université de Lorraine, qui a travaillé sur certaines guerres éditoriales de l’encyclopédie.

Cette méthode avait déjà permis d’étudier la dynamique des controverses: consensus lent, impossible ou avec des pauses et des reprises de feu… Cette fois, le groupe s’est intéressé aux articles de Wikipédia publiés jusqu’en mars 2010 dans dix langues. Soit près de 5 millions de textes et 27 millions de contributeurs.

Les guerres éditoriales communes aux différentes cultures ont ainsi pu être quantifiées, de même que leur localisation géographique. «Nous avons été surpris de constater que les sujets comme la religion ou les territoires sont objets de conflits alors que nous pensions que les sujets plus modernes comme les sciences et techniques seraient les plus disputés», constate Taha Yasseri, l’un des auteurs de l’article.

«Ces résultats quantitatifs peuvent être intéressants pour étudier d’autres terrains de collaborations et de conflits, ce qui est un sujet important en sociologie. Nous voudrions aussi tester sur d’autres cas que Wikipédia le modèle théorique d’analyse des conflits que nous avons formulé en février», envisage Janos Kertész, autre coauteur. Sans compter que, d’un point de vue pratique, identifier et suivre en temps réel des problèmes peut aussi être utile aux administrateurs de Wikipédia pour améliorer l’efficacité du système.

Tous ces travaux inspirent déjà quelques pistes à leurs auteurs. Selon eux, introduire des éditeurs «étrangers» pourrait aider à modérer la discussion et clore des débats. De même, recourir aux listes de discussion, plutôt que de guerroyer en effaçant et en remettant des versions, serait utile. Wikipédia, modèle pour les expériences collaboratives à grande échelle, deviendra-t-il aussi un lieu d’expérimentation des sorties de crise?

Par David Larousserie/ Le Temps 02/10/2013

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/fbe6a79e-2ab8-11e3-a07f-b64e5076b0e6

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