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Le Brésil rêve de désaméricaniser Internet

Le Brésil rêve de désaméricaniser Internet

Peut-on refuser le monopole américain sur Internet et la surveillance de la NSA sans se couper de la conversation mondiale? Créer un cyberespace indépendant des Etats-Unis, neutre et ouvert à tous? Le Brésil veut tenter l’exploit…

Les Brésiliens me font rêver. Sur Internet, ils ne pensent pas comme les autres. Déjà leurs éditeurs ont créé l’événement en privant, les premiers, Googlenews d’accès à leurs titres, jugeant que le site américain gagnait de l’argent sans contrepartie pour leurs titres – une question qui turlupine toujours nos patrons de presse européens, et à quel prix… Maintenant c’est leur présidente Dilma Rousseff qui vole à la défense des internautes espionnés par la NSA, en passant à l’acte. La présidente, qui n’a toujours pas digéré d’avoir été écoutée pendant des années par l’allié américain, qui a dénoncé avec virulence la mainmise américaine sur Internet dans un discours à l’ONU, et annulé spectaculairement un dîner avec Barack Obama, est en train de faire voter en urgence une loi sur le cyberespace qui traînait dans les tiroirs des députés depuis 4 ans. Il s’agit de donner au pays un «Marco civil da Internet», une Constitution du numérique qui répertorie les droits fondamentaux aux citoyens. Des droits pensés pour devenir un modèle mondial, élaborés après un travail collaboratif national géant, salué à l’étranger, dans ce pays qui est le 2e du monde en nombre d’utilisateurs de Facebook ou de Twitter. De quoi faire frémir ces géants du Net justement.

Car les Brésiliens les font cauchemarder. Le texte clarifie les notions d’espace public et neutre, ouvert à tous, il fait de l’accès à Internet un droit universel, il prône une autorité mondiale de l’Internet qui serait sous le contrôle de l’ONU (l’Allemagne lui a depuis emboîté le pas). Tout cela va fort bien. Mais enfin, et surtout, le projet de loi envisage d’obliger toutes les sociétés en possession de données personnelles concernant des ressortissants nationaux d’en stocker des copies sur des serveurs installés sur le sol brésilien, ce qui du même coup rendrait ces sociétés passibles de la loi brésilienne – c’est d’ailleurs le but de la manœuvre, protéger l’internaute brésilien. En ayant des responsables sous la main, joignables, qui peuvent rendre des comptes, êtres punis pour des abus manifestes…

Alors devinez? La mesure, rajoutée depuis les révélations sur les écoutes de la NSA, provoque un beau vacarme. Les sociétés américaines type Google rechignent à augmenter leurs infrastructures, d’autant qu’un serveur au Brésil coûte 61 M de dollars contre 43 aux Etats-Unis, à cause du prix de l’électricité et des taxes, selon une étude citée par le Financial Times. Cette proposition risquerait donc «de priver les internautes de services Internet de qualité, fournis par des sociétés américaines et internationales», a écrit Google dans une lettre à Dilma Rousseff. Une menace à peine voilée, par laquelle le géant laisse entendre qu’il pourrait couper le robinet à Gmail, YouTube ou encore Google Maps aux internautes brésiliens – qui redoutent donc de se retrouver avec un Internet de deuxième zone si les poids lourds du secteur fuient.

Coïncidence: Glenn Greenwald, l’ex journaliste du Guardian qui a «sorti» l’affaire Snowden, réside à Rio de Janeiro depuis qu’il a quitté son journal. Pour lui, de nombreux pays vont suivre l’exemple du Brésil. Les citoyens, les pays ne sont plus prêts à abandonner Internet aux Américains. Prism est passé par là. Pour lui donner raison, il n’est que de constater que les chiffres des commandes de Cisko, fournisseur d’équipements Internet, ont été désastreux au 3e trimestre, avec une chute de 25% au Brésil ou de 30% en Russie, chute attribuée par la société au scandale des écoutes.

Aussi. Le Brésil entend créer de nouvelles infrastructures comme son propre satellite de télécommunications, et un nouveau câble sous-marin qui réunirait les BRICS – Inde, Afrique du Sud et Chine. Et distribuer un système public de cryptage.

Je ne sais pas si les Brésiliens vont parvenir à installer ce cyberespace plus indépendant. Je ne sais pas si les experts ont raison de déjà redouter un Internet morcelé, balkanisé. Je ne sais pas si la menace de fuite des géants du Net est plausible, ni s’il est réaliste pour les autorités brésiliennes d’imposer chez elles un monde sans Facebook… Mais bien avant la Coupe du monde, le monde entier ferait bien de regarder dès maintenant ce qui se passe au Brésil.

Par Catherine Frammery  Le Temps 15/11/2013

 http://www.letemps.ch/Page/Uuid/38480e44-4dd7-11e3-a30e-61b9f942d2c0/Le_Br�sil_r�ve_de_d�sam�ricaniser_Internet

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