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Chine : La bulle financière qui fait trembler le monde!

Chine : La bulle financière qui fait trembler le monde!

L’ambitieux paquet de réformes dévoilé à la mi-novembre à Pékin a été bien accueilli. La fin de la politique de l’enfant unique, la promesse de libéraliser les prix de l’énergie et d’ouvrir le système bancaire aux capitaux étrangers sont perçues comme un tournant positif pour la seconde économie mondiale.

Au quotidien toutefois, l’économie chinoise – 7,6% de croissance en 2013 – vit sur le fil du rasoir en raison de la prolifération des dettes hors du système bancaire classique. Ce processus, le «shadow banking», a permis aux entrepreneurs et aux collectivités locales de s’endetter auprès de sociétés financières ou de compagnies d’assurances aux fonds propres insuffisants. Le tout, sur fond de banques chinoises peu transparentes, dont les encours d’emprunts s’élèveraient à 18 000 milliards de dollars. Même si le volume des créances douteuses «officielles» ne représente que 0,96% du total.

Il suffirait donc que la panique s’installe, par exemple à la faveur d’un krach immobilier, pour que le «shadow banking» implose. Conscient du danger, le gouvernement affirme qu’il ne tolérera pas de faillite bancaire. La dette cumulée – privée et publique – de la Chine représente près de 215% de son PIB. Détenteur de l’essentiel du capital des banques du pays, Pékin garde en principe le contrôle de la situation

La Chine coulera-t-elle par sa dette? La question, qui faisait ­encore sourire la majorité des économistes il y a seulement trois ans, n’est désormais plus totalement incongrue. Les symptômes de l’inquiétude sont palpables. Par deux fois au moins en 2013, le marché interbancaire a connu une subite poussée de stress, les taux s’envolant à des niveaux ­proches de 10%. Le dernier épisode date de la fin de décembre et il semble démontrer que la fé­brilité fait désormais partie des ingrédients avec lesquels il va ­falloir compter, de manière récurrente, au sujet de la finance chinoise.

La fébrilité des milieux d’affaires et des économistes se nourrit de deux inquiétudes principales: le volume d’endettement de l’économie chinoise, d’une part, et la nature de cette dette, d’autre part. En ce qui concerne la première, le Bureau national d’audit (BNA) a publié en tout début d’année le résultat très attendu de son analyse des finances locales chinoises. Le bilan est plutôt inquiétant: en intégrant un échelon administratif nouveau dans ses calculs – le village –, le BNA affirme que la dette des gouvernements locaux s’établissait à 17 900 milliards de yuans à la ­mi-2013, contre 10 700 milliards à la fin de 2010, soit une hausse de 67,3% en deux ans et demi.

L’agence Fitch, qui fit figure de pessimiste lorsqu’elle annonça que la dette cumulée, privée et publique, pourrait atteindre 218% du PIB à la fin de 2013 (contre 131% cinq ans plus tôt), ne s’est finalement pas beaucoup trompée. L’Académie chinoise des sciences sociales a en effet établi que le montant avoisinait 215% du PIB. Un niveau très élevé pour un pays en développement, à l’Etat providence encore embryonnaire et dont la population va vieillir rapidement. Mais c’est surtout la croissance fulgurante de cette dette qui inquiète.

Sur le papier, Pékin garde le contrôle de la situation, du fait qu’il détient l’essentiel des banques chinoises et peut donc in­tervenir à tout moment. Si les niveaux de créances douteuses affichés par les grandes banques, situés autour de 1%, ne convainquent guère, beaucoup d’économistes estiment que l’Etat peut réitérer, le cas échéant, les sauvetages bancaires qu’il avait opérés à la fin des années 1990.

Encore faut-il que la finance informelle ne devienne pas totalement incontrôlable. Or, c’est là que réside le véritable flou. Face à un système bancaire averse au risque et incapable de financer correctement le secteur privé, ce «shadow banking» vient notamment offrir des financements aux petites sociétés qui, à 90% d’entre elles, selon Citic Securities, n’ont pas accès au crédit bancaire. Cette finance de l’ombre, encore marginale il y a cinq ans, a doublé entre 2010 et 2012, pour représenter 44% du PIB chinois à la fin de 2012, selon Standard & Poor’s.

Les autorités tentent donc au­jourd’hui de reprendre en main cette nébuleuse. Elles ont publié, début décembre, un texte dont le contenu commence à filtrer dans les médias du pays.

Ce «Document 107» émanant directement du gouvernement central se garde de condamner catégoriquement la finance de l’ombre. Il n’hésite pas à mettre en avant son rôle «bénéfique» et «inévitable» pour le financement de l’économie. Pour autant, les nouvelles régulations visent deux objectifs. 

D’une part, il s’agit de mieux superviser ce secteur, en clarifiant notamment le rôle dévolu à chacun des grands régulateurs financiers du pays (bourse, banque et assurance, sans compter la banque centrale).

D’autre part, le but est d’encadrer fortement, voire d’interdire aux banques chinoises les pratiques qui, jusqu’à présent, leur permettaient de contourner les normes prudentielles via des activités hors-bilan. Pékin vient d’ailleurs d’annoncer qu’il allait désormais imposer à ses grands établissements une plus grande transparence, en ligne avec le Comité de Bâle. Ils devront notamment mieux communiquer sur leurs activités hors-bilan. Preuve que c’est bien l’imbrication entre finances officielle et officieuse qui pourrait constituer, en cas de crise, le principal maillon de propagation de la panique.

Les gouvernements locaux sont une menace systémique

Les gouvernements locaux chinois ont tous les torts: ils sont coupables d’avoir dépensé plus que de raison et de l’avoir fait au moyen de montages financiers périlleux. Ils n’ont pourtant guère eu le choix, puisqu’ils étaient sommés de soutenir l’activité économique pendant la grande crise internationale, sans pour autant disposer de ressources fiscales suffisantes. Le dernier audit national établit ainsi qu’ils avaient accumulé 17 900 milliards de yuans de dette à la mi-2013, contre 10 700 à la fin 2010. Même si le périmètre de ces deux chiffres n’est pas exactement le même, cela représente désormais un tiers du PIB, et plus de la moitié de la dette publique totale, estimée à 58% du PIB.

Pis, pour financer leurs projets d’infrastructures, les gouvernements locaux ont contourné la loi. Interdits d’emprunts, ils ont établi des véhicules financiers pour récolter les fonds. Face à des banques obligées de faire preuve d’un peu plus de retenue qu’auparavant en matière de prêts, ces véhicules n’ont pas manqué de créativité pour obtenir des financements. La preuve: la part des crédits bancaires dans leurs emprunts, selon le Bureau national d’audit, a fondu, passant de 80% à la fin 2010 à 56,6% en juin 2013. Pendant ce temps, la finance occulte, encore presque invisible en 2010, bondissait pour représenter 11% de leurs nouveaux prêts à la mi-2013. Les émissions obligataires ont dans le même temps aussi augmenté, passant de 7% à 10%. Le tout s’est effectué dans une atmosphère de collusion dangereuse. Difficile de refuser des financements à un gouvernement local ou à l’une des structures lui servant de cache-nez.

Perte de crédibilité

Certains économistes s’inquiètent par exemple de la prolifération des lettres d’acceptation dans le système chinois. Ces titres financiers émis par des banques servent à l’origine de garantie sur des transactions commerciales, mais ils deviennent dans les provinces chinoises des monnaies locales parallèles, émises par les banques à la demande des collectivités. Sorties de leur territoire, ces monnaies perdent leur crédibilité.

Toutes ces pratiques n’apparaissent pas dans le bilan des institutions financières mais pourraient présenter un risque sérieux si les opérateurs économiques venaient à demander de convertir en monnaie sonnante et trébuchante leurs lettres d’acceptation. Aujourd’hui, les gouvernements locaux sont considérés comme la principale menace pour l’édifice financier chinois. D’autant que près de la moitié de leurs dettes arrivent à échéance à la fin 2014. Pour les plus fragiles, la probabilité d’un défaut de paiement semble élevée. Il mettrait le gouvernement central devant un terrible casse-tête bien connu de l’Union européenne. Faudra-t-il sauver à tout prix une collectivité locale exsangue? Ce serait faire passer le message qu’il n’y a aucun risque à emprunter excessivement. Mais faire l’inverse risquerait de semer la panique dans tout l’édifice financier chinois…

A travers l’Asie, un endettement accru

L’Extrême-Orient tire l’économie mondiale depuis près de dix ans car l’on y dépense beaucoup. Problème: les dettes privées et publiques se sont accumulées, y compris dans des pays florissants, comme la Corée du Sud. Une étude récente estime à 688 milliards d’euros le total des dettes des foyers sud-coréens, soit 163% du revenu disponible, contre 100% en France et 130% aux Etats-Unis. En Chine, la dette privée atteindrait 200% du PIB. En Indonésie, celle-ci s’est encore accrue de 5% en 2013. Attirées par des taux d’intérêt bas, les entreprises recourent de plus en plus fréquemment aux prêts libellés en dollars et en euros, difficiles à rembourser si la croissance s’étiole, et la roupie indonésienne plonge.

Gabriel Grésillon Pékin/ Le Temps 15/1/2014

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/2529e13c-7d27-11e3-83a0-04d7d6daf291/La_bulle_financi%C3%A8re_qui_fait_trembler_le_monde

3 réponses »

  1. Le problème de l’endettement n’est un problème que lorsque cet endettement est fait en dépenses non productives ou lorsque l’endettement induit une hausse des prix grevant le pouvoir d’achat et la consommation. C’est le surendettement de certains acteurs qui est dangereux tout comme l’endettement pour combler le déficit.
    Mais un pays qui ne fait pas de déficit peut facilement continuer à s’endetter si cette endettement génère de la croissance, c’est comme tout il ne faut pas en abuser 🙂 🙂

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