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Hollande et la « Caste cannibale » : la « double vie » idéologique du président

Hollande et la « Caste cannibale » : la « double vie » idéologique du président

Avec « le pacte de responsabilité », on est loin du slogan « mon ennemi, c’est la finance » du candidat Hollande… Voici l’histoire secrète d’une conversion idéologique.

Dans « La Caste cannibale », le livre qu’ils viennent de publier aux éditions Albin Michel, Sophie Coignard et Romain Gubert (journalistes au Point) racontent, entre autres, l’histoire secrète de la conversion idéologique de François Hollande et de ses compagnons des clubs Deloriste. Extraits.

Pascal Lamy et Philippe Lagayette se retrouvent dès 1992 au sein du club Témoin, animé par un certain François Hollande. Cette assemblée de jeunes technocrates veut installer Jacques Delors à l’Élysée lors de la présidentielle de 1995. Pierre Bérégovoy et Michel Rocard sont des sociaux-démocrates assumés. Mais le premier reste convaincu du bien-fondé de la dépense publique. Et le second, épuisé par ses querelles avec Mitterrand, s’est perdu dans les jeux politiciens. Jacques Delors, lui, est une figure neuve malgré son âge. Patron de la Commission européenne, il est déjà un homme d’État. Dans les sommets, il discute avec Thatcher, Reagan et Kohl. Venu du syndicalisme, il est le seul à pouvoir faire cette révolution libérale dont la France a besoin, à rompre avec le keynésianisme sans brusquer la société. Avec la monnaie unique qu’il est en train de concevoir à la demande de Mitterrand et de Kohl, il se situe au-dessus de la mêlée. Outre Hollande, Lamy et Lagayette, on trouve notamment dans ce cénacle Ségolène Royal, Jean- Yves Le Drian, l’avocat Jean- Pierre Mignard, ainsi que Jean-Pierre Jouyet et Jean-Jacques Augier, deux anciens de la promotion Voltaire qui sont aussi des intimes du futur président. Lagayette, avec Pascal Lamy et Jean-Pierre Jouyet, les deux principaux collaborateurs de Delors à Bruxelles, pondent des notes, animent le réseau d’experts. François Hollande, lui, fait la tournée des politiques (avec la fille de leur candidat, Martine Aubry).

L’héritage Delors

Entre Hollande et Delors, c’est une vieille histoire. En 1981, lorsque Mitterrand cherche à mettre un candidat en face de Chirac dans sa circonscription de Corrèze, il se tourne d’abord vers son ministre des Finances. Celui-ci n’a aucune envie d’aller au casse-pipe. Mitterrand et Delors choisissent alors ensemble ce jeune énarque brillant – qui ne réussira pas si mal : il ne lui manque que 350 voix pour mettre Chirac en ballottage sur ses terres. Le financier et trésorier de la structure s’appelle Jean-Jacques Augier. C’est un esthète, polytechnicien et énarque qui dirigeait la compagnie de taxis G7 dont André Rousselet, l’ami de François Mitterrand, lui avait confié les rênes. Augier a aussi créé Ada (location de voitures), pilote une petite compagnie maritime (Les Abeilles), est passionné par la presse (l’ancien quotidien InfoMatin, c’est lui avec Rousselet) et l’édition (il reprend POL et Balland). Il lance la revue des clubs Témoin, aujourd’hui introuvable sauf à la Bibliothèque nationale. Le concept permet d' »inviter » des experts qui n’auraient jamais eu leur place au PS. Et à certains d’exprimer des idées qu’ils ne peuvent défendre au sein du Parti socialiste. Un exemple ? François Hollande et la dette publique. En juin 1994, alors qu’il a perdu son siège de député et que Pierre Bérégovoy a laissé des déficits publics abyssaux, Hollande mène la charge et s’autorise une transgression inouïe pour l’époque : « Le risque, avec la drogue, c’est l’accoutumance. Il en est de même pour l’endettement. À petites doses, c’est sinon raisonnable, du moins supportable. À grosses louches, le besoin n’est jamais satisfait. » (…)

Que sont- ils devenus ?

Jean-Jacques Augier a continué à faire des affaires, et a appris à vivre avec son temps. Comme l’a révélé l’opération « OffshoreLeaks », il était le trésorier de la campagne de son ami en 2012 tout en ayant un compte aux îles Caïman. Embarrassant… Philippe Lagayette finit son mandat à la Caisse des dépôts avant de partir chez JP Morgan, comme vice-président Europe Moyen-Orient Afrique. Oui, JP Morgan, la banque qui fait souvent parler d’elle pour les amendes faramineuses qu’elle doit acquitter auprès des autorités pour toutes sortes de fraudes. Jean-Pierre Jouyet, après s’être reconverti comme avocat dans le grand cabinet Jeantet et associés, a rejoint l’équipe de Lionel Jospin comme directeur adjoint de cabinet à Matignon. C’est lui qui a osé la plus grande transgression, en devenant secrétaire d’État aux Affaires européennes à la demande de Nicolas Sarkozy, en 2007. À l’époque, son ami de trente ans, François Hollande, n’avait pas apprécié. Pascal Lamy, lui, est parti noyer son chagrin au Crédit lyonnais, dont il est devenu le directeur général adjoint jusqu’à la privatisation, aux côtés de Jean Peyrelevade. Puis il est devenu commissaire européen, avant de diriger l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais surtout, lui qui a pris sa carte du Parti socialiste en 1969, a trouvé le rôle qui lui convenait : l’épouvantail libéral. Lorsqu’il était ministre de l’Agriculture (quelques années avant l’affaire du fameux appartement), Hervé Gaymard avait même accusé Lamy, à l’époque commissaire européen, d’avoir « oublié sa nationalité » et d’être un « agent de la CIA » !

Double langage

En 2012, pour rétorquer aux critiques de Sarkozy sur le manque de sérieux de son programme, Hollande et ses équipes ont sollicité des dizaines d’économistes pour qu’ils disent du bien de ses propositions : « La crédibilité, l’ambition et la cohérence sont de son côté », ont assuré ces experts. Et pas un d’entre eux n’était embarrassé par un conflit d’intérêts ? Jean-Hervé Lorenzi, par exemple. Il conseille la Compagnie financière Edmond de Rothschild, Eramet, Gras Savoye, et siège au conseil de BNP Paribas Assurance. Élie Cohen n’est pas mal non plus. Directeur de recherche au CNRS et membre des conseils d’administration d’EDF Énergies nouvelles, de Stéria ou encore de PagesJaunes, il n’a pas toujours été visionnaire. Serein, il déclarait, alors que la crise des subprimes venait de débuter, en 2007 : « Dans quelques semaines, le marché se reformera et les affaires reprendront comme auparavant. »

« (…) La vérité, c’est que François Hollande est coincé entre ses militants et ses amis patrons, ce qui explique la navigation à vue depuis son élection. Henri de Castries, le PDG d’Axa, et Philippe Villin, un banquier d’affaires, qui se disent, l’un et l’autre, proches de Nicolas Sarkozy, ont même participé au financement de la course du futur président aux primaires. Ils l’ont connu à l’ENA et ne l’ont pas oublié. Même chose à HEC dont Hollande est dipl ômé. Beaucoup d’anciens ont eux aussi contribué pour que leur promotion soit représentée à l’Élysée. Mais au sein de son gouvernement, un ministre représente mieux encore ce glissement de cette gauche libérale tendance caviar. Manuel Valls ne s’embarrasse plus depuis longtemps des ambiguïtés chères à François Hollande : la révolution libérale, il tente depuis des années de la faire au sein du Parti socialiste. Dans un de ses livres, Pouvoir, le ministre de l’Intérieur ne cache rien de son admiration pour Tony Blair. En disciple accompli, il détaille même le plan de table de son déjeuner avec le Premier ministre britannique (en fait, c’était Lionel Jospin l’invité, lui n’était là que comme conseiller de presse de Matignon). Il ne manque que le menu (…) Pendant sa campagne, il a creusé le sillon. Avec ce résultat : The Economist a salué sa « vision moderne et rafraîchissante de la gauche ». Même Aurélien Véron, l’un des chantres de l’École de Chicago en France, patron du Parti libéral démocrate, s’est déplacé aux primaires socialistes pour voter pour lui.  » N’allez pas croire que je suis de gauche, s’amuse Véron. Je n’ai pas viré ma cuti. »

La Caste cannibale, Albin Michel. 336 pages. 20 euros

Par Marc Fourny  Le Point.fr- Publié le 15/01/2014 à 06:02

http://www.lepoint.fr/politique/hollande-et-la-caste-cannibale-la-double-vie-ideologique-du-president-15-01-2014-1780337_20.php

1 réponse »

  1. tiens ! tiens ! le retournement de vestes … devient sport national ? ne dis pas ce que je fais … ne fais pas ce que je dis … sacré maxime … au fait ! qui a dit cela ?

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