Allemagne

L’Europe versus Empire allemand / Traité Transatlantique versus Empire américain : le dessous des cartes, par Jean-Michel Quatrepoint

L’Europe versus Empire allemand / Traité Transatlantique versus Empire américain : le dessous des cartes, par Jean-Michel Quatrepoint

Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir.

Dans son dernier livre,Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l’économie-monde? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation: les Etats-Unis, la Chine et l’Allemagne.

 ENTRETIEN Par Eugénie BastiéAlexandre Devecchio/Le Figaro 25/4/2014

L’Europe, empire allemand ?

Le Figaro: Dans votre livre vous expliquez que le monde se divise désormais en trois empires: les Etats-Unis, la Chine, l’Allemagne. Qu’est-ce qu’un empire?

Jean Michel Quatrepoint: Pour être un empire, il faut d’abord se vivre comme un empire. Ensuite, il faut une langue, une monnaie, une culture. Sans parler des frontières. L’Amérique, c’est Dieu, le dollar et un drapeau. La Chine, c’est une économie capitaliste, une idéologie communiste et une nation chinoise qui a sa revanche à prendre, après l’humiliation subie au XIXème siècle. Quant à l’Allemagne, c’est en empire essentiellement économique. Quand Angela Merkel1 a été élue en 2005, son objectif premier était de faire de l’Allemagne la puissance dominante en Europe: elle a réussi. Maintenant il s’agit de façonner l’Europe à son image. Mais avec des contradictions internes: pour des motifs historiques bien compréhensibles, Berlin ne veut pas aller jusqu’au bout de la logique de l’empire. Elle n’impose pas l’allemand, et est réticente sur la Défense. Elle veut préserver ses bonnes relations avec ses grands clients: la Chine, les Etats-Unis et la Russie.

Vous écrivez «L’Union européenne qui n’est pas une nation ne saurait être un empire»..

L’Europe est un patchwork et ne peut exister en tant qu’empire, face aux autres empires.

C’est tout le problème de l’Europe allemande d’aujourd’hui, qui se refuse à assumer sa dimension d’empire. 28 états sans langue commune, cela ne peut constituer un empire. L’Angleterre ne fait pas partie du noyau dur de la zone euro. Les frontières ne sont pas clairement délimitées: elles ne sont pas les mêmes selon qu’on soit dans l’espace Schengen ou la zone euro. L’Europe est un patchwork et ne peut exister en tant qu’empire, face aux autres empires.

«L’Allemagne est devenue, presque sans le vouloir, le nouveau maitre de l’Europe», écrivez-vous. Comment se traduit cette domination de l’Allemagne en Europe? D’où vient-elle? Sur quels outils s’appuie cette hégémonie?

Cette domination vient de ses qualités… et de nos défauts. Mais ce n’est pas la première fois que l’Allemagne domine l’Union européenne. A la fin des années 1980, juste avant la chute du mur, elle avait déjà des excédents commerciaux considérables. La réunification va la ralentir un instant, car il va falloir payer et faire basculer l’outil industriel allemand vers un autre hinterland. La RFA avait un hinterland, c’était l’Allemagne de l’Est: le rideau de fer n’existait pas pour les marchandises. Les sous-ensembles (par exemple les petits moteurs équipant l’électroménager allemand) étaient fabriqués en RDA à très bas coût (il y avait un rapport de 1 à 8 entre l’Ost mark et le Deutsche Mark), puis assemblés en Allemagne de l’Ouest. Avec l’équivalence monétaire décidée par Kohl à la réunification (1 deutsche mark= 1 Ost mark), les Allemands perdent tous ces avantages. Il faut trouver un nouvel hinterland pour retrouver des sous-traitants à bas coût. Ce que l’Allemagne a perdu dans la réunification, elle le retrouvera par l’élargissement de l’UE. Ce sera dans la Mittleuropa, l’espace naturel allemand, reconstitué après l’effondrement du communisme. La Hongrie, la Tchéquie, et même la Pologne: c’est la Germanie, le Saint Empire romain germanique.

Ce que l’Allemagne a perdu dans la réunification, elle le retrouvera par l’élargissement de l’UE. Ce sera dans la Mittleuropa, l’espace naturel allemand, reconstitué après l’effondrement du communisme. La Hongrie, la Tchéquie, et même la Pologne : c’est la Germanie, le Saint Empire romain germanique.

Dans un premier temps ils ont donc implanté des usines modernes dans les pays de l’Est pour fabriquer des sous-ensembles, qui sont assemblés en Allemagne où l’on fabrique un produit fini, que l’on vend avec une kyrielle de services voire avec le financement. La grande force de l’Allemagne c’est d’avoir choisi dans la division internationale du travail un créneau où ils sont quasiment seuls, l’industrie de qualité, principalement automobile (elle leur assure une part très importante de leurs excédents commerciaux).

Un hinterland permis par l’élargissement, une «deutsche qualität», mais aussi «un euro fort» qui sert les intérêts allemands…

L’euro c’est le mark. C’était le deal. Les Français ont péché par naïveté et se sont dit: faisons l’euro, pour arrimer l’Allemagne à l’Europe. Les Allemands ont dit oui, à condition que l’on joue les règles allemandes: une banque centrale indépendante (basée à Francfort), avec un conseil des gouverneurs dirigé par des orthodoxes, dont la règle unique est la lutte contre l’inflation, la BCE s’interdisait dès le départ d’avoir les mêmes outils que la FED ou la banque d’Angleterre et depuis peu la Banque du Japon, même si Mario Draghi est en train de faire évoluer les choses. Mais le mal est fait.

Vous dites que l’Allemagne fonctionne sur une forme de capitalisme bismarckien mercantiliste. Pouvez-vous nous définir les caractéristiques de cet «ordolibéralisme» allemand?

L’ordolibéralisme allemand se développe dans l’entre deux guerres et reprend les principes du capitalisme mercantiliste bismarckien. Bimarck favorise le développement d’un capitalisme industriel et introduit les prémices de la cogestion . Il invente la sécurité sociale. Pas par idéal de justice sociale, mais pour que les ouvriers ne soient pas tentés par les sirénes du socialisme et du communisme. C’est la stratégie qu’a déployé l’Occident capitaliste entre 1945 et 1991. Le challenge du communisme a poussé l’Occident à produire et à distribuer plus que le communisme. La protection sociale, les bons salaires, étaient autant de moyens pour éloigner des populations de la tentation de la révolution. Une fois que le concurrence idéologique de l’URSS a disparu, on est tenté de reprendre les avantages acquis… 1 milliard 400 000 chinois jouent plus ou moins le jeu de la mondialisation, la main d’œuvre des pays de l’Est est prête à travailler à bas coût… tout cela pousse au démantèlement du modèle social européen. Les inégalités se creusent à nouveau.

L’ordolibéralisme se développe avec l’école de Fribourg. Pour ses tenants, l’homme doit être libre de créer , d’entreprendre, de choisir ses clients, les produits qu’il consomme , mais il doit aussi utiliser cette liberté au service du bien commun. l’entreprise a un devoir de responsabilité vis-à-vis des citoyens. C’est un capitalisme organisé, une économie sociale de marché où les responsabilités sont partagées entre l’entreprise, le salarié et l’Etat. Il y a quelque chose de kantien au fond: l’enrichissement sans cause, et illimité n’est pas moral, il faut qu’il y ait limite et partage.

Le mercantilisme, c’est le développement par l’exportation. Il y a d’un coté les pays déficitaires, comme les Etats-Unis et la France et de l’autre trois grands pays mercantilistes: l’Allemagne, le Japon et la Chine. Ces trois pays sont des pays qui ont freiné leur natalité et qui sont donc vieillissants, qui accumulent donc des excédents commerciaux et des réserves pour le jour où il faudra payer les retraites. L’Amérique et la France sont des pays plus jeunes, logiquement en déficit.

Les élections européennes approchent et pourraient déboucher pour la première fois dans l’histoire d’un Parlement européen eurosceptique. Comment voyez-vous l’avenir de l’Europe? Comment sortir de l’Europe allemande?

L’Europe est un beau projet qui nous a échappé avec l’élargissement, qui a tué la possibilité même du fédéralisme. On a laissé se développer une technocratie eurocratique, une bureaucratie qui justifie son existence par le contrôle de la réglementation qu’elle édicte.

Il faut absolument réduire nos déficits, non pas pour plaire à Bruxelles ou à Berlin, mais parce que c’est la condition première et nécessaire du retour de notre souveraineté. John Adams, premier vice-président américain disait : « il y a deux manières de conquérir un pays : l’une par l’épée, l’autre par la dette ».

 Seuls les Américains échappent à la règle, justement parce qu’ils ont une épée tellement puissante qu’ils peuvent se permettre de faire de la dette! Nous ne pouvons pas nous le permettre. Ce n’est pas une question de solidarité intergénérationnelle, ou de diktat bruxellois. Si notre dette était financée intégralement par l’épargne française, comme c’est le cas des japonais, il y aurait beaucoup moins de problèmes. On aurait dû financer notre dette par des emprunts de très long terme, voire perpétuels, souscrits par les épargnants français.

A 28 l’Europe fédérale est impossible, de même qu’à 17 ou à 9. Il y a de telles disparités fiscales et sociales que c’est impossible. Je suis pour une Confédération d’Etats-nations, qui mette en œuvre de grands projets à géométrie variable ( énergie, infrastructures, métadonnées etc ). Il y a une dyarchie de pouvoirs incompréhensible pour le commun des mortels: entre Van Rompuy et Barroso, entre le Conseil des ministres et les commissaires. Dans l’idéal il faudrait supprimer la commission! Il faut que les petites choses de la vie courante reviennent aux Etats: ce n’est pas la peine de légiférer sur les fromages! Le pouvoir éxécutif doit revenir aux conseils des chefs d’état et aux conseils des ministres, l’administration de Bruxelles étant mise à leur disposition et à celui d’un Parlement dont la moitiée des députés devraient être issus des parlements nationaux. Si l’on veut redonner le gout de l’Europe aux citoyens il faut absolument simplifier les structures .

Comment fait-on pour réduire la dette avec une monnaie surévaluée? Faut-il sortir de l’euro?

Une dette perpétuelle n’a pas besoin d’être remboursée. Je suis partisan d’emprunts à très long terme, auprès des épargnants français, en leur offrant un taux d’intérêt digne de ce nom.

Le traité de Maastricht a été une erreur: on a basculé trop vite de la monnaie commune à la monnaie unique. Il n’est pas absurde de prôner le retour à une monnaie commune et à du bimétalisme: un euro comme monnaie internationale et 3 ou 4 euros à l’intérieur de la zone euro. Mais cela nécessite l’accord unanime des pays membres, et c’est une opération très compliquée. Sur le fond, la sortie de l’euro serait l’idéal. Mais il faut être réaliste: nous n’aurons jamais l’accord des Allemands.

Si nous sortons unilatéralement, d’autres pays nous suivront ……

Pour sortir unilatéralement, il faut être très fort, or notre pays, dans l’état dans lequel il est aujourd’hui, ne peut pas se le permettre. Quand aux autres: Rajoy suivra Merkel, les portugais aussi (ces dirigeants appartenant au PPE), Renzi joue son propre jeu. La France est isolée en Europe. Elle ne peut pas jouer les boutefeux. Hollande et Sarkozy ne se sont pas donné les moyens d’imposer un chantage à l’Allemagne. Il fallait renationaliser la dette, pour ne plus dépendre des marchés et s’attaquer au déficit budgétaire, non pas pour plaire à Merkel, mais pour remettre ce pays en ordre de marche. Sarkozy faisait semblant de former un duo avec la chancelière alors que c’est elle qui était aux commandes. Hollande, lui fuit, et essaye de gagner du temps, deux mois, trois mois. Il cherche l’appui d’Obama nous ramenant aux plus beaux jours de la Quatrième République, à l’époque où on quémandait l’appui des Américains pour exister.

Comme vous l’expliquez dans votre livre, la France, faute d’industrie, essaie de vendre les droits de l’homme…

Oui nous avons abandonné le principe de non ingérence en même temps que nous avons laissé en déshérence des pans entiers de notre appareil industriel. Alors que la guerre économique fait rage, que la mondialisation exacerbe les concurrences, nous avons d’un coté obéré notre compétitivité et de l’autre on s’est imaginé que l’on tenait avec les «droits de l’homme «un «plus produit» comme on dit en marketing. Or ce sont deux choses différentes. Surtout quand il s’agit de vendre dans des pays où les gouvernements exercent une forte influence sur l’économie. Les droits de l’homme ne font pas vendre. C’est malheureux mais c’est ainsi. De plus la France à une vision des droit de l’homme à géométrie variable. Pendant qu’on fait la leçon à Poutine, on déroule le tapis rouge au Qatar où à l’Arabie Saoudite. Avec la Chine on tente de rattraper les choses. Mais les Chinois, contrairement à nous, ont de la mémoire. Savez-vous pourquoi le président chinois lors de sa venue en France s’est d’abord arrêté à la mairie de Lyon avant celle de Paris? Parce que M Delanoë avait reçu le dalaï-lama, et que les Chinois se souviennent du trajet de la flamme olympique en 2008 dans la capitale. Nous occidentaux, nous n’avons pas de leçons à donner au reste du monde. Les espagnols ont passé au fil de l’épée les Indiens, les Anglais ont mené une guerre de l’opium horriblement humiliante pour les Chinois au XIXème. Arrêtons de vouloir donner des leçons au reste du monde, sinon le reste du monde sera en droit de nous en donner!

Traité Transatlantique 

Le Figaro: Le traité transatlantique qui est négocié actuellement par la commission européenne pourrait consacrer la domination économique des Etats-Unis sur l’Europe. Pourquoi l’Union européenne n’arrive-t-elle pas à s’imposer face au modèle américain?

Jean Michel Quatrepoint: Les Américains n’ont jamais voulu que l’Europe émerge comme une puissance qui puisse les concurrencer. L’Europe réduite à une simple zone de libre échange, qui se garde bien de défendre des champions industriels européens, les satisfait

La construction européenne a commencé à changer de nature avec l’entrée de la Grande Bretagne, puis avec l’élargissement. On a privilégié la vision libre échangiste. Libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes. Plus de frontières. Mais en même temps on n’a pas uniformisé les règles fiscales, sociales etc. Ce fut la course au dumping à l’intérieur même de l’espace européen. C’est ce que les dirigeants français n’ont pas compris. Dés lors qu’on s’élargissait sans cesse, le projet européen a complètement changé de nature. Ce qui n’était pas pour déplaire aux Américains qui n’ont jamais voulu que l’Europe émerge comme une puissance, comme un empire qui puisse les concurrencer. L’Europe réduite à une simple zone de libre échange1, qui se garde bien de défendre des champions industriels européens, les satisfait . Un Airbus leur suffit. Les Américains défendent leurs intérêts, il faut comprendre leur jeu. Ils ont une vision messianique de leur rôle, celle d’apporter la démocratie au monde, notamment à travers les principes du libre-échange.

Selon vous, le traité transatlantique est aussi pour les Etats-Unis un moyen d’isoler la Chine. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie américaine?

La force des Etats-Unis, c’est d’abord un dynamisme, un optimisme qui leur donne une capacité de rebond extraordinaire. C’est une jeune nation. Ils se sont endormis sur leurs lauriers d’hyperpuissance dans les années 1990 et ont commencé à rencontrer des résistances. Il y a eu le choc du 11 septembre. Mais Bush s’est focalisé sur l’ennemi islamiste, sans voir que la Chine était pendant ce temps-là en train de monter en puissance. Cette dernière est entrée dans l’OMC quelques jours après le 11 septembre alors que tout le monde était focalisé sur Al-Qaïda. Mais quand on analyse les courbes du commerce mondial, c’est édifiant: tout commence à déraper en 2002. Les excédents chinois ( et aussi allemands ) et les déficits des autres puissances. La Chine est entrée dans l’OMC, car c’était à l’époque l’intérêt des multinationales américaines qui se sont imaginé qu’à terme elles pourraient, prendre le marché chinois. Pari perdu: celui-ci est pour l’essentiel réservé aux entreprises chinoises.

Un protectionnisme qui a fait s’écrouler le rêve d’une Chinamérique…

La Chinamérique était chimérique, c’était un marché de dupes. Dans ce G2 les Américains voulaient être numéro un. Les Chinois aussi. Les Américains s’en sont rendus compte en 2006, lorsque les Chinois ont rendu public un plan baptisé National medium and long term program for science and technology development» dans lequel ils affichaient leur ambition d’être à l’horizon 2020 autonomes en matière d’innovation, et en 2050 de devenir le leader mondial: non plus l’usine mais le laboratoire du monde! Là, les Américains ont commencé à s’inquiéter, car la force de l’Amérique c’est l’innovation, la recherche, l’armée et le dollar. Si vous vous attaquez à la recherche, que vous mettez en place une armée et une marine puissantes et que vous développez une monnaie pour concurrencer le dollar, là vous devenez dangereux. Lorsque les Chinois ont affiché leur volonté de faire du yuan l’autre monnaie internationale pour pouvoir se passer du dollar, notamment dans leurs accords commerciaux bilatéraux, cela a été la goutte d’eau de trop.

Toute attaque sur le dollar est un casus belli. Lorsqu’ils ont créé l’euro, les Européens ont fait très attention à ne pas en faire une monnaie concurrente du dollar, même si les Français le souhaitaient au fond d’eux-mêmes. Les Américains ont laissé l’Europe se développer à condition qu’elle reste à sa place, c’est-à-dire un cran en dessous, qu’elle reste une Europe atlantiste. Avec une monnaie surévaluée par rapport au dollar. Cela tombe bien puisque l’économie allemande est bâtie autour d’une monnaie forte. Hier le mark, aujourd’hui l’euro.

Le traité transatlantique peut-il néanmoins être profitable à l’Europe?

Les principaux bénéficiaires de ce traité seront les multinationales américaines et l’industrie allemande, notamment automobile. L’Amérique se veut plus que jamais un empire, qui règne à la fois par le commerce, la technologie et la monnaie, mais aussi par l’idéologie.

D’où les traités transpacifiques et transatlantiques initiés par Hillary Clinton. Celle-ci vise la présidence en 2016. Elle est à la manœuvre depuis 2010 dans une stratégie de containment vis-à-vis de la Chine, mais aussi de la Russie. L’idée est de fédérer les voisins de la Chine et de la Russie, dans une zone de libre-échange et de faire en sorte que les multinationales américaines y trouvent leur compte afin que progressivement le modèle américain s’impose et que les Etats-Unis redeviennent le centre du monde. C’est pourquoi les Etats-Unis ont empêché le Japon de se rapprocher de la Chine, la querelle entre les deux pays sur les iles Diaoyu – Senkaku ayant opportunément surgi pour casser toute velléité de rapprochement. Le Japon avec le nouveau premier ministre conservateur Abe est revenu dans le giron de Washington.

Le principal levier de pression de cette stratégie élaborée par Hillary Clinton 2est l’énergie. Grâce au gaz et au pétrole de schiste, l’objectif des Américains est de ne plus dépendre des importations pétrolières (et donc de se détacher du bourbier oriental), de donner un avantage compétitif aux entreprises américaines, de rapatrier la pétrochimie sur le sol américain. Les industriels américains ont désormais une énergie beaucoup moins chère que les industriels européens, notamment allemands. L’objectif est de devenir non seulement indépendant, mais aussi exportateur d’hydrocarbures, pour faire en sorte notamment que l’Europe ne soit plus dépendante du gaz russe.

L’énergie est la clé pour comprendre le traité transatlantique. On donne aux Allemands ce qu’ils veulent, c’est-à-dire la possibilité non seulement de développer leur industrie automobile aux Etats-Unis, mais aussi d’avoir les mêmes normes des deux cotés de l’Atlantique. Ils pourront produire en zone dollar avec des couts salariaux inférieurs, des modéles qu’ils pourront vendre en zone euro, voire dans le Pacifique. Cette uniformisation des normes profitera également aux multinationales américaines. Elles sont directement à la manœuvre et participent aux négociations. Leurs objectifs: uniformiser les régles, les normes en les alignant si possible sur le niveau le moins contraignant. Notamment dans la santé , l’agriculture, les industries dites culturelles. Faire en sorte que les Etats ne puissent pas remettre en cause ces normes. Ces traités déléguent en fait une part des souverainetés populaires aux multinationales. Si les Européens acceptent cette sorte de mise sous tutelle, alors les Américains condescendront à nous exporter du gaz et surtout du pétrole de schiste à bon prix. Merkel a un plan: passer de la dépendance au gaz russe à la dépendance au charbon et au gaz américain, tout en ne froissant pas les Russes, qui restent avant tout des clients. A l’opposé de Schröder, elle est américanophile et russophobe.

Ces traités déléguent en fait une part des souverainetés populaires aux multinationales. Si les Européens acceptent cette sorte de mise sous tutelle, alors les Américains condescendront à nous exporter du gaz et surtout du pétrole de schiste à bon prix.

Et la France dans tout ça? Comment peut-elle tirer son épingle du jeu?

La France n’a rien à gagner à ce traité transatlantique.3 On nous explique que ce traité va générer 0,5 point de croissance, mais ces pourcentages ne veulent rien dire. Le problème de la France c’est: comment et où allons-nous créer de l’emploi? Et pas seulement des emplois de service bas de gamme. Notre seule chance aujourd’hui est de créer des emplois à valeur ajoutée dans le domaine de l’économie numérique, ce que j’appelle «Iconomie», c’est-à-dire la mise en réseau de toutes les activités. L’Allemagne, traditionnellement est moins portée sur ces secteurs où la France est relativement en pointe,. La France crée beaucoup de start-up, mais dès qu’elles grossissent un peu, elles partent aux Etats-Unis ou sont rachetées par des multinationales. Il faut que l’on développe nos propres normes. La France doit s’engager dans la révolution numérique. Je suis partisan de doter tous les enfants d’une tablette, ça ne coute pas plus cher que les livres scolaires, et si on les faisait fabriquer en France (11 millions de tablettes, renouvelées tous les trois ans), cela créerait de l’emploi. Et dans le sillage des tablettes, d’innombrables applications pourraient naitre et se vendre sur le marché mondial.

Il n’y a pas de raisons de laisser Google et autres Amazon en situation de monopole. La visite de l’opéra Garnier en live numérique, c’est Google qui l’a faite! La France avait tout à fait les moyens de le faire! Si nous n’y prenons pas garde, la France va se faire «googeliser»!

Il y a un absent dans votre livre: la Russie. Celle-ci, avec Vladimir Poutine, semble pourtant avoir renoué avec le chemin de la puissance…

Les Américains avaient un plan, il y a 20 ans: démanteler totalement l’URSS, la réduire en de multiples confettis, pour contrôler la Russie et ses matières premières, avec pour ambition de donner l’exploitation des matières premières russes en concession aux multinationales. Si Khodokovski, a été victime de la répression poutinienne, c’est bien parce qu’il allait vendre le groupe pétrolier Ioukos aux anglo-saxons pour 25 milliards de dollars. Et qu’il pensait s’acheter la présidence de la Russie avec cet argent. Poutine est alors intervenu. A sa manière. Brutalement. Un peu comme en Géorgie hier et en Ukraine aujourd’hui. On peut le comprendre. Il défend ce qu’il considére être les intérêts de son pays. Mais il faut aussi lui faire comprendre qu’il y a des lignes à ne pas franchir.

Ce pourrait-il qu’elle devienne un quatrième empire?

Pour le moment non. Le sous-titre de mon livre c’est: qui dominera l’économie monde? La Russie est un pétro-Etat, c’est sa force et sa faiblesse. Poutine n’a pas réussi pour le moment à diversifier l’économie russe: c’est la malédiction des pays pétroliers, qui n’arrivent pas à transformer la manne pétrolière en industrie dynamique.

http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/04/25/31002-20140425ARTFIG00296-traite-transatlantique-le-dessous-des-cartes-par-jean-michel-quatrepoint.php

6 réponses »

  1. Le Point vient de pondre un numéro pro-Europe. Et quid des conséquences du Traité transatlantique sur les monnaies ?

    • la force de l’empire americain s’est de pouvoir imposer la dévaluation de sa monnaie

  2. poutine : c’est la raison pour laquelle il doit rentrer au capital d’als!
    als gazprom même correlation au prix du gaz: ils font le même metier, l’industrie et sa valorisation ne dependent plus que d’une matiere premiere : la planche a billet (non plus seulement de l’innovation , du CA… qui lui depend à 70% de la planche à billet!)

    je ne parle même pas de synergies avec le rail (gefco est deja russe) , des deals possibles avec les chinois via russes…

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