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L’opinion publique ne croit pas que la crise soit définitivement terminée. Et elle a raison! Par Jean Pierre Béguelin

 L’opinion publique ne croit pas que la crise soit définitivement terminée. Et elle a raison! Par Jean Pierre Béguelin

Si la croissance semble repartir en Europe, on oublie souvent que les économies développées ne produisent pas tout ce qu’elles pourraient obtenir si tous les facteurs de production dont elles disposent étaient utilisés. Les électeurs, eux, l’ont en revanche bien en tête

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Ces jours, les données économiques mensuelles sont plutôt bonnes, y compris au Sud de l’Europe, un succès apparent que moult politiciens agitent pour justifier a posteriori leur politique d’austérité. Partout, pourtant, l’opinion publique ne croit pas que la crise soit définitivement terminée, comme le montre de récents sondages, à deux semaines des élections européennes. Et elle a raison, car qui est obnubilé par les seuls taux de croissance ne fait qu’observer la réalité à travers un miroir déformant. C’est que cette mesure – soit le pourcentage avec lequel une grandeur a changé depuis une date de comparaison – donne une fausse impression des variations, car elle atténue optiquement l’importance des reculs et accentue celle des montées. Si une grandeur quelconque – un prix, un volume, un revenu – passe de 100 à 50, on dira qu’elle a reculé de 50% tandis que, pour remonter de 50 à 100 et retrouver ainsi son niveau initial, il lui faudra s’accroître non pas de 50%, mais de 100%, ce qui trompe souvent le rédacteur ou le lecteur pressé.

Certes, cet effet de loupe asymétrique est moins prononcé si les changements sont plus modérés, mais il demeure. Si, comme ce fut le cas en 2008-2009, une récession fait reculer la production de 10%, 2% d’augmentation du PIB l’année suivante ne ramènera la production que de 90 à 91,8. À ce rythme, il faudrait cinq ans et demi pour que l’activité économique retrouve son niveau d’avant crise. Durant tout ce temps la conjoncture, même si elle s’améliore, demeurera fragile et le sous-emploi important si bien que le public restera probablement pessimiste, sauf, peut-être, si la reprise se renforce rapidement. Or, sauf en «Émergie», cela n’a pas été le cas ces dernières années. Si le PIB a certes retrouvé son niveau d’avant-crise en 2011 déjà aux États-Unis, il ne l’a fait qu’en 2013 au Japon, un retard dû en partie aux conséquences énergétiques négatives du tsunami, tandis qu’il est encore quelque 2% au-dessous en Europe et au Royaume-Uni. Tout naturellement alors, les Européens ne voient pas leur conjoncture sous la meilleure des lumières d’autant que, s’ils généraient l’an prochain un PIB identique à celui des 2008, ils ne jouiraient pas d’une prospérité retrouvée.

C’est que normalement – avec des travailleurs, des bâtiments et des machines correctement utilisés – la production d’un pays doit croître d’année en année. D’abord, la population résidente grandit, du moins dans la plupart des cas, ce qui gonfle la force de travail et permet d’accroître d’autant la production de biens et services. Ensuite, il y a l’élargissement du capital productif – les immeubles locatifs terminés, les usines venant d’ouvrir, les machines fraîchement disponibles et les nouvelles infrastructures – dont la mise en fonction se traduit par une production accrue. Enfin, les nouvelles machines et autres capacités venant d’être installées incorporent les dernières technologies et sont donc plus efficaces que les anciennes, augmentant ainsi la productivité générale d’une économie.

Cet accroissement annuel normal – on dit potentiel dans le jargon – change de pays à pays compte tenu de la démographie, du taux d’épargne et de la capacité d’intégrer les progrès techniques. Cependant, comme ces trois facteurs ne sont pas totalement indépendants – un pays manquant de main-d’œuvre tend tout naturellement investir plus en machines et en technologie – cette croissance potentielle ne diffère pas trop d’un pays développé à l’autre. Elle se situe, sauf pour un Japon victime de son vieillissement et de sa xénophobie, aux environs de 1.25% par an. Ainsi, si tout était resté normal dans la plupart des pays développés, leur PIB 2013 aurait dépassé d’un peu plus de 6% celui qui observé en 2008. Si ce n’est pas le cas actuellement, c’est que la reprise qui a suivi la récession 2008/2009 a été trop lente pour que leur production puisse rejoindre leur niveau potentiel si bien que ces économies sont loin d’occuper aujourd’hui toutes les ressources dont elles disposent. Cette production manquante – on dit «output gap» en jargon – s’élèverait aujourd’hui à quelque 2% du PIB aux États-Unis, 3% au Japon et quelque 8% en Europe, où elle est très prononcée au Sud et dans la périphérie comme en Finlande par exemple.

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Ces chiffres ne doivent toutefois pas être pris à la lettre, car ils ne sont que des approximations. Une longue période de sous-emploi et d’austérité tend, par exemple, à réduire dans une certaine mesure la croissance potentielle d’une économie. Durant la période de crise en effet, les infrastructures non renouvelés vieillissent et perdent de leur efficacité; les firmes, voyant leur équipement sous utilisé, investissent peu et leur parc de machines est de plus en plus dépassé; à la longue, les chômeurs perdent peu à peu leur qualification et sont de moins en moins employables, un phénomène similaire à l’hystérésis d’une charge magnétique. C’est pourquoi les offices statistiques calculent le potentiel de croissance d’une économie comme une moyenne sophistiquée des taux observés sur les 8 ou 10 années précédentes. Mais si, comme c’est le cas actuellement, la dernière récession a été marquée et suivie d’une reprise très lente, cette méthode réduit trop fortement le niveau du potentiel estimé et, donc, le manque de production par rapport au PIB observé, ce qui fait apparaître la conjoncture par trop rose.

Pour l’Eurozone, par exemple, l’Eurostat estime qu’actuellement ce manque n’est que de 3% du PIB, un chiffre probablement trop faible. Après tout, les Européens, sauf les Allemands, travaillent nettement moins aujourd’hui qu’avant la crise et ça n’est pas la déqualification des travailleurs qui explique ce recul de la participation. Non, l’UE et, surtout, l’Eurozone, sont aujourd’hui des économies en net sous-emploi et elles le seront sans doute demain si les taux de croissance généralement prévus se réalisent car ceux-ci sont trop bas pour supprimer, à vues humaines, le manque de production potentielle. Elles auraient en fait besoin d’un choc que, malheureusement, nul ne peut leur faire subir: ni les États paralysés par le Pacte de stabilité, ni la BCE ligotée par ses statuts, ni les banques sans fonds propres suffisants, ni le change vu la taille l’économie.

Plaignons donc les candidats pro-européens aux prochaines élections, eux qui ne peuvent offrir à leurs électeurs que du chômage, des restrictions, de l’insomnie et des larmes. Quel programme…

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PAR JEAN-PIERRE BÉGUELIN 17/5/2014/ Le Temps

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/9df9eaba-dd28-11e3-bf49-e55884b592d3%7C2

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