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Géopolitique/Bernard Wicht: « La petite révolution tactique de l’Etat islamique en Irak « 

Géopolitique/Bernard Wicht ; La petite révolution tactique de l’Etat islamique en Irak « 

« L’Europe serait incapable de se défendre en cas d’infiltrations de combattants. »

Bernard Wicht enseigne la stratégie à l’Université de Lausanne. Il a publié plusieurs ouvrages éclairants, notamment sur la guerre du Kosovo (l’OTAN attaque, en 1999) et, dernièrement, l’Europe Mad Max demain?

Dans cet ouvrage, il annonce une évolution qui est en train de se vérifier au Moyen Orient, avant de gagner peut-être l’Europe…

INTERVIEW:MOHAMMAD FARROKH/ Agefi Suisse 7/7/2014 

Vous avez prophétisé l’Europe Mad Max. On n’en est pas encore là mais il y a un Moyen Orient Mad Max…

Mon analyse sur les évènements les plus récents se place surtout à un niveau militaire et tactique et pas à un niveau géopolitique. Cette opération de l’Etat islamique en Irak et au Levant représente un tournant, une révolution tactique. Cette conquête territoriale s’est faite avec de l’infanterie légère montée sur des 4×4, sans artillerie et sans avions, en plein désert. C’est inédit. Dans les années 1970, au moment où le Nord Vietnam a voulu gagner, il a dû se transformer en armée conventionnelle. L’expérience du Polisario au Sahara va dans le même sens: au moment où il est en face du mur construit par les Marocains, il doit se doter de moyens lourds.

L’écart ne se creuse-t-il pas entre ces groupes et les armées occidentales?

Elles sont de plus en plus tournées vers la technologie: on parle de numérisation du champ de bataille alors que l’EIIL fonctionne avec de l’infanterie équipée d’armes légères, AK 47 et RPG 7.

Est-ce donc une nouvelle tactique qui fait la différence?

Les tactiques ne sont pas nouvelles et elles existent depuis l’avènement de la suprématie américaine, en particulier la puissance de feu: les Japonais les ont utilisées depuis 1943, les Chinois et les Coréens du Nord entre 1950 et 1953, les Vietnamiens du Nord dans les années 1966-1975. Elles ont été reprises par les Moudjahidines afghans dans les années 1980, les Tchétchènes et par le Hezbollah libanais en 2006.

Comment cela fonctionne-t-il sur le terrain?

Ce sont de petites équipes très mobiles de quatre à douze hommes, très décentralisées et capables d’initiative. Les actions sont basées sur des renseignements très élaborés. On cherche à tout connaître de l’adversaire, y compris la position exacte du planton. Le renseignement est obtenu auprès de la population ou par des infiltrations, de manière capillaire. On utilise le micro-terrain: le lit d’un ruisseau ou un cratère d’explosion pour s’infiltrer de la manière la plus discrète. L’idée et de rechercher le combat rapproché et l’imbrication, de manière à empêcher l’adversaire d’utiliser sa puissance de feu.

Tout de même, l’EIIL a encore innové par rapport à ces techniques…

Ils font sauter une voiture piégée qui provoque la dispersion des soldats et donne le signal de l’attaque. Ils harcèlent l’armée irakienne avec de petits groupes avant de lancer l’opération principale. Cela fait penser à l’avènement des guerriers des steppes au Ve siècle, Huns et ensuite Mongols, qui parvenaient à surclasser les armées d’Occident.

On a l’impression que l’EIIL a une dimension que les guérillas précédentes n’avaient pas…

On assiste à l’émergence d’un modèle «d’armée» transnationale: les djihadistes ont opéré en Syrie, en Lybie et au Mali. Certains cadres ont fait l’Afghanistan. De plus, al Quaïda a créé un système de formation «open source»: il y a des sites auquel le simple citoyen n’a pas accès, qui permettent de télécharger les dizaines de milliers de pages de leur manuel d’instruction. Ces armées donnent l’impression d’être en guenilles, mais ce n’est qu’une apparence: leurs opérations sont répétées à de nombreuses reprises pour assurer la fluidité de l’action.

On peut avoir l’impression qu’ils ne seraient pas devenus ce qu’ils sont sans la complaisance voire une certaine sottise des Occidentaux…

En faisant du grand Moyen-Orient un terrain d’opération majeur de leur «guerre contre le terrorisme», les Américains ont facilité l’extension de l’insurrection. A cela s’ajoutent de mauvais choix: l’hystérie anti-Assad est non seulement évidente mais aussi aberrante. Si les djihadistes atteignent la façade orientale de la Méditerranée, les conséquences pour l’Europe seront graves.

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N’est-ce pas près d’arriver? Quelles en seront les conséquences?

Cela ne devrait pas arriver, car les minorités de la façade orientale de la Méditerranée feront le nécessaire pour rester en vie. Alaouites, chrétiens et chiites, mais aussi de nombreux sunnites, ont compris le danger, et surtout le Hezbollah libanais, formé aux mêmes techniques que leurs adversaires, devrait faire pencher la balance en faveur des modérés et des laïcs.

Dans cette hypothèse, le risque pour l’Occident n’est-il pas limité?

La Lybie avait un accord avec l’Italie pour empêcher le passage des migrants, avant que Français et Britanniques ne la bombardent pour faire tomber Khadafi qui était certes un dictateur mais assurait un certain ordre. Maintenant, la France doit s’engager au Mali et, au sud de l’Italie, le phénomène migratoire n’est plus sous contrôle alors que l’Europe pourrait devoir accueillir des millions de réfugiés. C’est la porte ouverte pour l’infiltration de groupes qui pourraient être dangereux. L’EIIL c’est 15.000 combattants, et il en suffirait de 2 ou 3000 pour déstabiliser l’Europe. Dans cette hypothèse, on se demande qui pourrait bien encore pouvoir les arrêter.

http://agefi.com/une/essentiels/artikel/bernard-wicht-leurope-serait-incapable-de-se-defendre-en-cas-dinfiltrations-de-combattants.html

EN COMPLEMENT:  2 textes très prophétiques de Bernard Wicht

C’est la cohésion sociale des populations qui les feront triompher des nouvelles menaces PAR BERNARD WICHTLe Temps 1/3/1999

Bernard Wicht, membre du Service historique de l’armée suisse, examine la nature des dangers qui pèsent maintenant sur les sociétés occidentales. Il plaide pour un renforcement des souverainetés populaires, notamment dans la structure de la ville

Deux menaces pèsent principalement sur le continent européen. La première est externe: la guerre de l’information (infowar, cyberwar). La seconde est interne: le risque de chaos généralisé des sociétés européennes.

En ce qui concerne l’infowar, l’Europe se trouve en état d’infériorité technologique face à la toute-puissance des Etats-Unis. C’est la première fois depuis près d’un demi-millénaire d’histoire que l’Europe est dans une telle situation. La «révolution militaire», à la fin du XVIe siècle, avait en effet donné à notre continent un avantage décisif qui l’avait conduit à asseoir sa domination sur le reste du monde pratiquement jusqu’en 1945. Mais aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis qui maîtrisent l’infowar.

La guerre de l’information détermine l’aptitude à frapper l’adversaire sur le champ de bataille avec les nouvelles armes intelligentes, selon le principe first look – first kill. Comme cette information dépend de la maîtrise des télécommunications (satellites) et des moyens de surveillance aérienne, il s’ensuit que le succès dans la guerre de l’information dépend de la maîtrise de l’espace. Et l’Europe n’est justement pas une puissance spatiale! Lors de la guerre des Malouines, en 1982, les Etats européens étaient déjà tributaires des renseignements fournis par les satellites américains. Avec le conflit en ex-Yougoslavie et au Kosovo, cette dépendance s’est accrue à tel point que ce sont les Etats-Unis qui décident seuls où et quand frapper. L’Allemagne et la France ont renoncé à leur programme de mise au point de satellites d’observation qui aurait permis à l’Europe d’être à égalité avec les Etats-Unis. Ces derniers ont fait pression sur l’Allemagne pour qu’elle renonce à s’allier avec la France dans ce domaine sensible. Les Etats-Unis ont notamment laissé entendre aux Allemands qu’en cas de poursuite du programme européen, ils pourraient les écarter de certains projets stratégiques américains.

A côté de cet aspect strictement militaire, l’infowar comporte une dimension plus largement politique. Car cette maîtrise de plus en plus totale de toutes les informations implique surtout la faculté de contrôler l’opinion publique. Or, dans les sociétés démocratiques, celui qui «tient» l’opinion détient aussi le pouvoir. Avec l’infowar c’est donc la démocratie qui est menacée! La guerre de l’information permet de dominer les esprits et les cœurs: c’est là que passe désormais la vraie ligne de front. Le vrai combat ne se déroule plus entre deux lignes de tranchées clairement marquées sur le terrain; la ligne de contact s’est déplacée au sein même de l’intelligence de l’homme et de sa faculté de jugement.

Dans ces conditions, comment l’Europe peut-elle, d’une part, faire face à ce handicap technologique et, d’autre part, éviter que ses populations ne perdent complètement leur liberté de choix politique et leur libre-arbitre? L’Europe doit-elle se lancer dans une «nouvelle course aux armements»? L’échec de l’initiative franco-allemande semble indiquer que ce n’est pas la meilleure voie à suivre. Retenons seulement que tout un versant de la pensée stratégique moderne (d’August von Gneisenau à Mao Tsé-Toung) a fait appel aux masses populaires pour contrebalancer la supériorité technologique.

Parallèlement à cette menace exogène qu’est l’infowar, une menace endogène apparaît de plus en plus fortement. C’est le risque d’implosion des sociétés européennes; un chaos de type albanais ou yougoslave généralisé à l’ensemble du continent. Cette fission sociale se traduit toutefois de manière différente à l’Est et à l’Ouest. En Europe centrale et orientale, le phénomène prend la forme de l’ethnocentrisme, du repli identitaire ou du nationalisme exacerbé. En Europe occidentale, on l’appelle couramment la «fracture sociale», à savoir le chômage, l’exclusion, la pauvreté et les émeutes diverses. Ce risque de chaos social est tellement préoccupant dans l’ensemble de l’Europe que plusieurs institutions européennes (Conseil de l’Europe, OSCE) en ont fait un des thèmes clés de leurs travaux. Signalons, également, que le terrorisme, les mafias et le crime organisé profitent et accroissent, tout à la fois, ce risque de chaos par la création de «zones grises» et la mise en place d’un climat d’insécurité et d’incertitude.

Face à cette menace de chaos, face à ce risque d’implosion des sociétés, l’enjeu fondamental pour l’Europe c’est la recomposition du tissu social, la redécouverte des solidarités et de la cohésion des populations. Autrement dit, l’enjeu c’est la réédification de la «société civile». Paradoxalement, cet enjeu «civil» est devenu militaire, l’objet même de la survie des Etats. A quoi bon en effet se défendre si ces derniers se dissolvent de l’intérieur. Partant, comme dans le cas de l’infowar, l’objet c’est la substance du peuple. Là aussi, la ligne de contact ne se situe plus dans le terrain mais au sein du corps social. On le voit, le scénario de cette nouvelle lutte n’a plus rien à voir avec les schémas clausewitziens de la guerre comme instrument au service de la politique de l’Etat. On se rapproche beaucoup plus du modèle de la guerre révolutionnaire visant à conquérir les populations plutôt que les territoires.

Pour mieux comprendre cette situation relativement nouvelle pour l’Europe, on peut tenter de la caractériser par la notion de «bataille profonde» par opposition aux types d’affrontements linéaires de la première moitié du XXe siècle. Ces affrontements impliquaient une distinction claire entre le front et les arrières et, par conséquent, entre l’armée et la population. Dans la bataille profonde, il y a confusion complète de ces anciennes catégories. C’est la guerre «sans front» au sens où c’est l’ensemble de la société qui doit lutter contre sa propre désintégration. Ce ne sont plus les Etats et les armées qui sont en guerre, c’est la population elle-même qui est à la fois sujet et objet des combats. En ce sens, la bataille profonde constitue une véritable «rupture stratégique» non parce que la menace aurait disparu, comme le veut une opinion qui considère le glacis de l’Union européenne (UE) comme une garantie de stabilité et de sécurité, mais parce que la menace s’est métamorphosée à l’intérieur du corps social.

En cherchant à déterminer l’enjeu commun de ces deux menaces que sont l’infowar et le chaos social, on s’aperçoit qu’il s’agit en fait de la substance des populations, c’est-à-dire non seulement leur cohésion interne mais également leur faculté d’agir collectivement et de donner, de manière indépendante, un sens et des repères à leur action. Autrement dit, l’Europe doit «reconquérir» ses propres populations et leur redonner leur souveraineté première. Partant, l’enjeu sociologique de la substance du peuple peut s’exprimer, en termes juridico-politiques, par l’idée de «souveraineté populaire». Mais comment y parvenir?

En commençant par le sommet de la pyramide institutionnelle, l’UE ne semble pas réunir les qualités requises pour la réussite d’une telle opération. Elle est trop centralisée, trop bureaucratique et, en raison de son caractère supranational, elle n’offre pas aux citoyens la proximité suffisante du pouvoir. De leur côté, les Etats-nations sont en déclin et, depuis la disparition de la menace soviétique, ils ne disposent plus de l’ennemi «nécessaire», capable de catalyser la cohésion sociale et nationale. Quant aux régions, force est de constater leur quasi totale inconsistance politique au niveau européen.

Seules les villes apparaissent, en revanche, capables d’opérer le redressement social souhaité. Elles sont les principales bénéficiaires du déclin de l’Etat-nation aussi bien du point de vue de la création d’une identité que de la mise en place d’un autre niveau de solidarité «républicain» articulé autour du gouvernement communal. A ce titre, elles sont à la base d’une véritable renaissance civique qui s’exprime sous forme de politiques municipales très actives. Elles sont aussi les grands vainqueurs de la mondialisation. Car cette dernière, avec la vitesse des communications et des transports qu’elle induit, annule la notion de «territoire» pour ne laisser émerger que ces pôles que sont les villes. Celles-ci sont enfin les seules à proposer une proximité suffisante du pouvoir permettant de réaliser effectivement cette souveraineté populaire, à savoir la participation réelle des citoyens à la gestion des affaires communes. C’est donc le grand retour de l’autonomie communale, de la démocratie locale et du self government, institutions remontant au Moyen Age. Il faut redécouvrir cette face cachée de l’héritage politique et institutionnel de l’Occident.

Comme on le voit, dans la restauration de la souveraineté populaire, il y a confusion des tâches civiles et militaires: la cohésion sociale, composante essentiellement civile, devient l’objet de mesures militaires. De fait, deux millénaires d’histoire militaire nous enseignent que, quelle que soit sa supériorité technologique, un adversaire demeure impuissant face à un peuple structuré et résolu. C’est pourquoi, inversement, dans le contexte de la bataille profonde, les militaires doivent également s’adonner à des tâches civiles. Concrètement, en Bosnie, les troupes d’interposition de l’ONU et de l’OTAN, cherchant à endiguer le chaos social, se sont rapidement trouvées dans l’obligation de rétablir les relations de bon voisinage entre les différentes communautés en présence pour redonner confiance à la population, d’animer des radios locales ou de publier des journaux de quartier pour lutter contre la désinformation. La physionomie de la bataille s’est bel et bien radicalement transformée depuis Verdun et Koursk.  B. W.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/75f9e952-b1cd-11dd-b87c-1c3fffea55dc/Les_risques_majeurs_pour_la_s%C3%A9curit%C3%A9_dans_les_Etats_en_faillite

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Les risques majeurs pour la sécurité dans les Etats en faillite PAR BERNARD WICHT 12/1/2000/Le Temps

Bernard Wicht, auteur de «L’OTAN attaque: la nouvelle donne stratégique» aux Editions Georg à Genève, répond aux propositions de Claude Monnier (LT du vendredi 7 janvier) sur la réforme de la défense nationale suisse. Il refuse en particulier le principe de la professionnalisation de l’armée. Sans une participation des citoyens à la défense, l’Etat ne peut résister aux menaces

L’approche de Claude Monnier appelle trois critiques fondamentales. En premier lieu, l’auteur base l’ensemble de son raisonnement sur la disparition des frontières. C’est la thèse de la déterritorialisation, de la montée des flux transnationaux de toute sorte et de la fin de l’Etat-nation. Une telle interprétation du monde date grosso modo de la chute du Mur de Berlin et se fonde sur les trois affirmations suivantes: l’Occident est pacifié et vit désormais en paix; l’OTAN est le garant de la sécurité; la guerre ne concerne plus que les pays sous-développés où il faut donc aller maintenir la paix – la seule menace pesant encore sur l’Occident étant le terrorisme. Mais depuis, il y a eu l’intervention de l’OTAN au Kosovo et les événements du Caucase. Ces deux «batailles-matrice» indiquent clairement que le temps des flux transnationaux et de la déterritorialisation est révolu. Des Etats forts sont à nouveau actifs et des rapports de force se remettent en place selon le principe de la State-Building, «la guerre fait l’Etat et l’Etat fait la guerre». Dans cette perspective, l’extension, sur un mode évolutif et instable, de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie et la constitution d’axes géostratégiques antagonistes en Méditerranée (Turquie-Israël versus Grèce-Arménie-Iran) créent toutes les conditions pour une crise majeure en Europe: un clash huntingtonien entre Occident et monde slave. En conséquence, si l’UE est une véritable plate-forme de paix et de sécurité sur le continent, l’OTAN est devenue une véritable machine de guerre.

Ma deuxième critique touche l’organisation de l’armée proposée par Claude Monnier. Cette organisation révèle une conception oligarchique de l’outil militaire visant à confier la défense du pays uniquement à des spécialistes et des professionnels coupant ainsi le citoyen de ce qui reste une des préoccupations principales d’un Etat démocratique. Or des penseurs aussi différents que Machiavel, Max Weber, Jean Jaurès et Alain Joxe ont reconnu le caractère incontournable du port d’armes citoyen (la milice) en tant que moyen de prise de conscience et de participation politique de l’individu. De plus, avant sa fonction proprement militaire, le port d’armes citoyen a une vertu psycho-pédagogique en accroissant l’esprit d’initiative individuelle dans un univers de forte concurrence. Partant, la diffusion du port d’armes citoyen influence notablement la capacité d’un Etat à maîtriser son environnement international.

Ma troisième critique concerne la mission de l’armée. Claude Monnier mise tout sur les actions de maintien de la paix «outre-mer» dans le cadre de partenariats collectifs de sécurité. On assiste à un glissement conceptuel qui veut faire porter à l’armée les missions traditionnellement dévolues à la diplomatie Une telle approche trahit plus l’échec de notre politique étrangère qu’une conception adaptée de notre outil militaire. S’il est incontestable que la Suisse doit disposer de troupes professionnelles pour des opérations spéciales (libération d’otages, etc.) ou de maintien de la paix, ceci ne saurait constituer l’essentiel de notre politique de défense. Il ne s’agit là que d’adaptations conjoncturelles – de surface – qui ne peuvent composer le concept central de nos forces armées. A cet égard, Claude Monnier n’envisage que de manière marginale une forme de guérilla pour la défense du pays. Or, contrairement à l’idée souvent admise, la Suisse n’est pas adaptée à la guerre de partisans en raison de l’exiguïté de son territoire et de la densité de son réseau routier qui ne permettent pas la création de ces indispensables «sanctuaires» où les partisans peuvent se réorganiser entre deux raids. Aujourd’hui, si la Suisse veut défendre valablement son territoire elle doit de préparer à «tenir» (au sens militaire du terme) les larges zones urbaines avec de l’infanterie légère appuyée par de nombreuses bouches à feu capables de battre les intervalles entre les localités.

La mondialisation n’est pas qu’un phénomène économique et commercial. Elle a aussi d’importantes implications stratégiques. Schématiquement, le monde s’articule désormais entre un centre fort (les USA) et des périphéries successives plus ou moins faibles (Europe, Russie, Afrique) soumises au risque d’atomisation et de dissolution en tant qu’entité étatique. Le risque majeur est alors celui d’«Etat failli», à savoir un Etat en situation de chaos social (balkanisation-libanisation) incapable de s’autogouverner indépendamment. C’est la situation qui a prévalu au Kosovo et dans le Caucase avant les interventions militaires que l’on sait. On le voit, bien que la menace se soit profondément transformée, elle demeure bel et bien réelle.

Les réponses qu’on peut y apporter sont de deux types. D’une part, il s’agit de développer une stratégie antisystémique, c’est-à-dire une structure sociopolitique en mesure de prévenir le chaos social. L’idée de milice apparaît ici comme le remède par excellence à ce risque de dissolution du corps social. Mais il faut entendre la milice dans son sens originel de communauté civique des citoyens en armes, de reflet militaire des solidarités civiles et de corollaire de la démocratie locale, et non au sens actuel d’armée de conscription. En d’autres termes, la milice doit prendre avant tout la forme d’un Etat de substitution.

D’autre part, il faut doter le pays des moyens stratégiques de résister à une attaque militaire. Car il importe de prendre en considération non pas la menace la plus vraisemblable, mais la menace la plus grave. La Suisse doit donc s’équiper d’une forte DCA (en lieu et place de l’aviation) à base de missiles sol-air de la dernière génération, de missiles sol-sol semi-balistiques pour riposter hors du territoire, et d’hélicoptères (en lieu et place des chars) afin de s’assurer une certaine mobilité sur le champ de bataille et participer à des opérations de maintien de la paix à l’extérieur. On obtient ainsi une force de défense articulée en trois volets: une milice originale organisée territorialement et à base d’infanterie légère destinée à la défense proprement dite et au maintien de la cohésion sociale-nationale; des moyens de défense stratégiques; des troupes professionnelles pour les actions spéciales et les opérations internationales hors du pays. Certes une telle organisation ne sera pas bon marché, mais elle ne sera pas plus chère que l’organisation actuelle – armée de conscription avec chars et avions – qui ne correspond ni à la menace ni à la situation de la Suisse sur la scène mondiale.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/75f9e952-b1cd-11dd-b87c-1c3fffea55dc/Les_risques_majeurs_pour_la_s%C3%A9curit%C3%A9_dans_les_Etats_en_faillite

4 réponses »

  1. Cela va faire bientôt 20 ans que l’on a mis sous « cocon » le service militaire, les élites auto proclamés n’ont eu de cesse depuis ces mêmes 20 ans de détruire toute notion d’appartenance et de relation citoyen/nation pour ne laisser sur ces cendres la naissance d’un homme/femme nouveau pour le plus grand bonheur des publicistes : un individu narcissique, nomade et féminisé.
    c’est peut être bien pour remplir les salons de coiffure, manucure et de mode mais il me semble que c’est à des années lumières pour former le citoyen dernier défenseur de la cité et de sa famille….
    Tout les royaumes, nations et empires qui ont abandonné par facilité, paresse et décadence cette volonté acquise et transmise au fil des générations d’hommes qui se sont succédé par le gout de la probité, de l’effort, du collectif, du combat et de l’ultime sacrifice afin de conserver cet instinct de survie propre à l’espèce humaine ont tous disparu dans les limbes de l’histoire des hommes….

    Vae victis

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