L'Etat dans tous ses états, ses impots et Nous

Un nouveau paradigme émerge face à l’échec des réglementations

La future architecture financière devra répondre davantage aux besoins d’information du marché. Et moins aux prérogatives du législateur.

ACTUELLEMENT,LE MODÈLE RÉGLEMENTAIRE ET LES MESURES DE SAUVETAGE ÉTATIQUES EN DÉCOULANT INCITENT LES BANQUES À L’IMPRUDENCE….

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 PIERRE BESSARD economiste suisse

L’échec flagrant de la réglementation bancaire et financière, pourtant renforcée à tous les niveaux ces dernières décennies, en particulier aux Etats-Unis, a mené à une détresse intellectuelle.

Pour les économistes keynésiens, pour qui l’Etat n’en fait jamais assez, il faudrait désormais mondialiser la réglementation et instaurer une autorité globale de surveillance, voire une banque centrale mondiale – une idée défendue par exemple par Joseph Stiglitz.

Des voix s’élèvent désormais pour offrir d’autres pistes. L’économiste Michael Beenstock, professeur à l’Hebrew University de Jérusalem, va jusqu’à plaider pour l’abandon complet du modèle réglementaire tel qu’il est pratiqué actuellement. La solution serait de le remplacer par une architecture financière fondée sur des principes de marché, en particulier sur une plus grande transparence des institutions financières. A la place de faire rapport aux régulateurs, les banques devraient rendre certaines informations publiques en fonction des besoins du marché. Les banques auraient une incitation à être plus transparentes en vertu de la concurrence, tout comme d’autres entreprises commerciales sont incitées à mettre en avant la sécurité de leurs produits.

Dans le contexte de la crise actuelle, la publication de la composition sectorielle des portefeuilles de prêts ou encore de la valeur en risques selon le pilier 3 de Bâle II, par exemple, aurait permis aux investisseurs de connaître l’ampleur des engagements de telle ou telle banque sur le marché hypothécaire. La publicité de telles informations préviendrait également le risque de contagion à l’ensemble du secteur bancaire, les investisseurs sachant quelles banques sont exposées à un problème de solvabilité dans un domaine particulier. En étant également accessibles à d’autres banques, ces informations éviteraient par ailleurs un assèchement des prêts interbancaires.

L’autre avantage de la transparence envers le public plutôt qu’envers le régulateur réside dans la plus grande prudence des institutions financières, qui auraient à craindre des conséquences immédiates d’une prise démesurée de risques.

Actuellement, l’imprudence des banques est encouragée non seulement par le modèle réglementaire, dont elles n’ont en général pas à craindre de répercussions en cas de problème, mais en plus par les mesures de sauvetage étatiques qui découlent de la responsabilité (et de la défaillance) réglementaire.

Pourquoi la réglementation faillit- elle systématiquement?  Michael Beenstock estime que rienn’incite les régulateurs à réaliser leur travail en faveur des investisseurs. Ils poursuivent plutôt leurs propres intérêts et ceux des firmes soumises à la régulation: d’une part, ils n’ont généralement aucun moyen de prévenir un problème de solvabilité et s’en rendent compte lorsqu’il est trop tard, ce qui peut justifier ensuite des enveloppes budgétaires plus importantes; d’autre part, des ambitions professionnelles peuvent les amener à ne pas vouloir froisser de futurs employeurs potentiels. Ce ne serait dès lors pas une coïncidence si les activités les plus touchées par la crise étaient toutes fortement réglementées et que la crise trouve en partie son origine dans deux institutions politisées, Fannie Mae et Freddie Mac.

Avec une architecture financière fondée sur la transparence, l’asymétrie artificielle de l’information induite par la réglementation serait corrigée et les banques ne pourraient plus se permettre des positions si hasardeuses, non seulement parce que les investisseurs se détourneraient d’elles, mais parce qu’un sauvetage subséquent serait exclu. Selon Michael  Beenstock, l’abandon de la réglementation au profit de la transparence et de l’information serait un pas important dans la perspective de libérer l’économie mondiale de l’un des facteurs la soumettant à des crises financières intermittentes.

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE :

Régulation n’est pas réglementation

Les journaux consacrent beaucoup d’articles à la nécessaire réforme du système financier international. Pour en parler, ils utilisent indifféremment les termes de «régulation» et de «réglementation » et induisent ainsi chez le lecteur l’idée (fausse) que les deux sont équivalents. En français surtout on les confond parce que «regulation » en anglais ne signifie pas «régulation » mais «réglementation». Quand on évoque la régulation, on suggère implicitement qu’elle implique un accroissement des pouvoirs réglementaires et des pouvoirs de contrôle des autorités publiques. Or tel n’est pas le cas. Cette ambiguïté de langage recouvre en fait une ambiguïté conceptuelle.

HENRI SCHWAMM Université de Genève

Lorsque la banque américaine Lehman Brothers est tombée en faillite, le monde entier a perdu confiance dans la solidité des banques. Du jour au lendemain, des institutions réputées n’ont plus trouvé le moyen de se refinancer sur le marché interbancaire, nécessitant dès lors l’intervention des banques centrales et des Etats. Qu’il ait fallu mettre fin tout de suite à ce dérèglement par des actions appropriées, on en convient. Mais pour qu’à l’avenir le système fonctionne mieux, la question se pose de savoir s’il y a lieu de réguler ou de réglementer.

Réguler le marché bancaire et financier consiste à le régler comme on règle une montre, c’est à- dire agir sur un système et en coordonner les actions en vue d’obtenir un fonctionnement correct de tous ses rouages. Et d’améliorer sa transparence, sa sécurité, son intégrité. De façon à le mettre dans toute la mesure du possible à l’abri des accidents. Opération on ne peut plus délicate, tant il est vrai que trop de règles tuent le marché. Tâche néanmoins indispensable si l’on veut que le public puisse de nouveau avoir confiance dans le système. Le marché financier est aujourd’hui global. Il s’apparente à un gigantesque mécanisme d’horlogerie à la fois complexe et précis. Une infinité d’opérateurs y interviennent. Ils confrontent plus ou moins directement leurs offres et demandes de ressources financières. Les anticipations de chacun y jouent un rôle déterminant et ajoutent encore à l’incertitude qui est pratiquement sa raison d’être. Incertitude qui peut être d’ordre exogène, c’est-à-dire produite par des événements indépendants des choix des investisseurs, ou endogène, du fait que le résultat des décisions de chacun dépend de celles des autres. C’est cette réalité bigarrée et toujours en mouvement qu’il convient de réguler (régler) le mieux possible. Grâce notamment à l’information disponible qui est indispensable au marché financier parce qu’elle permet d’apprécier les perspectives de réalisation des promesses de revenus futurs des uns et des autres. Dans ce contexte, la réglementation, à savoir l’ensemble des règlements et prescriptions imposés aux opérateurs par les pouvoirs publics, n’est qu’un des outils disponibles. Ce n’est ni le seul, ni nécessairement le meilleur. Les réglages qui relèvent de la régulation et qui prennent la forme d’instruments de gestion des risques, de mesures macro- et microprudentielles consensuelles ou de codes de gouvernance, peuvent être aussi efficaces que la réglementation autoritaire.

Les pouvoirs publics étant principalement nationaux, la réglementation classique a du mal à appréhender la dimension internationale des marchés financiers. C’est même la principale difficulté à laquelle elle se heurte. Il est rare qu’une organisation supranationale édicte des normes directement applicables sur le territoire de ses membres. À une exception près: les règlements européens. Mais l’Union européenne leur préfère le plus souvent les directives qui se contentent d’énoncer des principes généraux, adaptés par la suite aux différentes situations nationales. On comprend mieux dans ces conditions que la réglementation régissant les activités et les risques bancaires et financiers repose sur des normes internationales élaborées par des comités de spécialistes issus des ministères des finances, des banques centrales ou d’organismes internationaux. Quand elles sont traduites en dispositions nationales, ces normes ne rencontrent pas – tant s’en faut – l’adhésion des praticiensqui y voient des obligations imposées par des fonctionnaires éloignés de la réalité du terrain.

Des codes de bonnes pratiques auxquels, après négociation, adhèrent librement les principaux représentants du secteur financier – on parle dans ce cas d’autorégulation – sont souvent plus utiles et efficaces que des règlements technocratiques.

ET TOUJOURS D’ACTUALITE : Idées Courtes Idées Fausses : ce n’est pas parce qu’on vous le dit et/ou qu’on l’écrit que c’est vrai (cliquez sur le lien)

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