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De l’inefficacité des modèles de gestion du risque en temps de crise

Marc Chesney, professeur de finance à l’Université de Zurich, explique pourquoi certains modèles censés anticiper les risques n’ont pas empêché la prolifération de produits toxiques….

Quelle est la responsabilité des modèles face à la récente crise financière? Force est de constater que la finance s’est mathématisée à grande échelle. De nombreuses publications scientifiques en finance sont actuellement structurées sur la base d’énoncés de théorèmes, ce qui produit une apparence de sérieux. Mais cela suffit-il pour autant à donner à ces contributions un statut de respectabilité scientifique?

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En finance, prouver des théorèmes et donc valider des modèles ne peut avoir de sens que si leurs hypothèses sont réalistes. Or pendant la crise, alors qu’il était vital de posséder des modèles fiables, la plupart n’ont pas fonctionné, leurs hypothèses de base n’étant plus satisfaites. Cela remet-il en cause la pertinence de ces modèles? Pour certains, la réponse est négative. Qu’ils connaissent des défaillances ponctuelles serait normal. Il suffirait d’adjoindre à la modélisation des risques le risque de modèle. Cet élégant glissement sémantique permettrait ainsi de conserver les mêmes paradigmes. Il traduit cependant une idée intéressante: les modèles peuvent être dangereux. Quand? Précisément en période de crise, mais elles sont rares, rassurez-vous! C’est un peu comme si les freins d’une voiture fonctionnaient bien presque tout le temps et risquaient de tomber en panne seulement… lorsque la voiture roule trop vite!

Il est inquiétant de constater que les innombrables modèles de risque de défaut et de gestion des risques n’ont permis, avant la crise, ni de percevoir le moindre signe du danger imminent qui guettait l’économie, ni d’attirer l’attention sur le non-respect d’un de ses principes de base.

En l’occurrence que chercher à prêter à des individus insolvables, en ayant pour objectif de revendre ces créances douteuses à des clients naïfs ou cherchant eux-mêmes à s’en débarrasser en réalisant un profit, est non seulement immoral, mais aussi un non-sens économique.

Il est paradoxal qu’une science capable de produire des modèles où la valeur d’un produit dérivé peut être calculée jusqu’à plusieurs décimales après la virgule n’ait pas suffisamment analysé le risque systémique que les dérivés peuvent faire courir à l’économie et donc le fait que des produits censés couvrir contre des risques, soient susceptibles d’en générer et finalement ne mette pas en garde contre un comportement de pompier pyromane.

Face à cette situation, il est tentant de choisir entre un silence assourdissant et une langue de bois pathétique où les vieilles rengaines sont insatiablement répétées, sans que les leçons de la crise n’aient été retenues.

 Ainsi les hypothèses des modèles continuent de reposer sur les paradigmes classiques:

– l’innovation financière doit être encouragée puisqu’elle serait un élément clé de la croissance économique. Or, les produits toxiques, à l’origine de la crise, résultent précisément de cette innovation. Celle-ci devrait donc être contrôlée;

– la spéculation ne serait parée que de vertus puisqu’elle permettrait aux marchés d’être plus liquides, efficaces voire transparents. La théorie financière ne distingue pas la dimension du risque associée aux fluctuations naturelles de l’offre et de la demande, d’une autre liée aux excès de la spéculation, ayant des effets perturbateurs. Or, cette distinction serait d’une grande utilité, puisque comme la crise l’a montré, la spéculation et l’accroissement des risques qui en découle peuvent réduire la liquidité et l’efficacité des marchés.

Il serait illusoire de croire que spéculer sur la faillite de sociétés – comme le permettent les produits toxiques que sont les CDS –, sur la naïveté des acheteurs de créances douteuses, ou sur le devoir des Etats de sauver le cas échéant de la faillite les sociétés qui sont «too big to fail», puisse in fine jouer un rôle positif.

– la liquidité serait une valeur suprême. Les produits toxiques présentés comme vecteurs de liquidité seraient donc utiles pour les marchés financiers. Or paradoxalement, en réduisant la confiance sur les marchés, ils les ont asséchés pendant la crise;

– les rémunérations astronomiques versées à certains membres de directions bancaires ou à des traders, seraient justifiables. Les critiquer relèverait même du populisme. Or, selon les principes de base du capitalisme, la rémunération est associée à un succès qui récompense le risque pris et… assumé. Comment des décisions financières ayant conduit à des situations où seule l’intervention du contribuable a permis d’éviter la faillite pourraient-elles générer récompenses ou bonus?

En conclusion, les modèles devraient permettre d’analyser la situation financière et ainsi de prévenir de l’imminence d’une crise et du danger éventuel que peut représenter un produit financier. Durant la période menant à la récente crise, ils ont le plus souvent failli à cette tâche. Il est donc essentiel de repenser leurs hypothèses pour leur donner un caractère plus réaliste. 

EN COMPLEMENT : La 8e Rencontre internationale, Ethique, finance et responsabilité aura lieu jeudi et vendredi à Genève. Elle traitera des modèles économiques et financiers.

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : L’illusion économique…. Les maths, pour le meilleur et pour le pire (cliquez sur le lien)

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