Ne réveillons pas la bète qui sommeille en lui…..
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Dans nos contrées, les origines de l’Etat se perdent dans la nuit des temps. Mais deux exemples en Afrique montrent qu’il existe une manière surprenante et convaincante de les fonder.
La Somalie est déchirée entre des seigneurs de la guerre multiples qui règnent par la mitraillette à l’intérieur et à l’extérieur de leurs bouts de territoire. Comme tout le monde s’appauvrit par cette gestion de plomb, les chefs y compris, ils se muent en pirates et cherchent à ramasser à l’extérieur. Mais pas Mohamed Aden.
Ce Somalien de 37 ans avait fui les massacres à 22 ans pour se retrouver aux Etats-Unis où il a fait des petits jobs. Avec l’argent gagné il a pu faire des études, et aujourd’hui il est revenu en Somalie sur la demande d’un conseil d’aînés. Maintenant il est seigneur de la guerre lui-même, il achète des armes en Ethiopie – mais pour protéger son territoire. Sur 13 000 kilomètres carrés, plusieurs centaines de milliers de personnes vivent en paix. Mohamed Aden a recruté une police, construit des écoles, édicté des lois. Par exemple, celui qui abat un arbre dans ce pays aride est passible d’une amende de cent chameaux. Le gouvernement se fait dans une petite centrale, avec deux chars lourds devant la porte, mais aussi avec des ordinateurs, des téléphones mobiles et une garde de 700 jeunes gens qui le protègent. Tout le monde l’appelle «le président». Mohamed Aden fait des compromis, comme dans chaque Etat. Il respecte le conseil des aînés, il implique son clan dans la gestion des affaires et il tolère pour le moment les pirates qui se sont installés aussi sur la côte de son territoire – et eux le tolèrent de même.
Tous ces acteurs ont compris la leçon. On peut piller les gens, mais à la longue on ramasse davantage si on les laisse tranquille. Si tout le monde va mieux, les chefs vont mieux aussi. Ces recettes ont conduit même à une expression en théorie d’économie politique. Le professeur américain Mancur Olson appelle l’Etat «le bandit stationnaire». Selon lui, les Etats se sont fondés exactement comme ce territoire énorme en Somalie. Les bandits se sont assagis et ont commencé à organiser l’espace, à introduire des lois sûres et sanctionnées et à s’y tenir eux-mêmes.
L’autre exemple de cette sagesse fondatrice d’Etats prospères pourrait voir le jour au Nigeria. En proie à une émeute constante dans le bassin pétrolier du fleuve Niger, la production baisse, des installations sont saccagées. Au printemps 2008, le prix mondial de l’or noir avait plusieurs fois grimpé lors de nouvelles attaques des insurgés et même la bourse de Wall Street avait baissé par peur, c’est dire. Aujourd’hui, le nouveau président du Nigeria propose au parlement de réserver 10% des recettes du pétrole aux communautés du bassin du Niger. Elles pourront les distribuer aux habitants, comme on fait en Alaska, ou réaliser des dépenses publiques locales. Bien sûr, les regards se tournent vers les voix souvent tout aussi stridentes des autres régions de ce grand pays. Seront-elles d’accord? On leur démontre qu’après l’amnistie récente les leaders des insurgés se tiennent tranquilles et que dès lors les recettes pétrolières du pays entier s’envoleront, laissant à tout le monde bien plus qu’avant. Là encore, un nouveau partage fédéraliste et fédérateur peut refaire l’Etat du Nigeria.
Dans nos pays, un Etat embryonnaire s’est constitué après l’irruption des Burgondes et des Alamans. Aujourd’hui, ces Etats européens sont puissants, même envahissants dans la vie des citoyens. Comme en Somalie, on n’abat pas d’arbres impunément. Mais on prend aussi des leçons de garde de chien, l’Etat contrôle beaucoup d’activités professionnelles, édicte des interdictions de fumer. Et le «bandit stationnaire» ne fait que sommeiller dans les profondeurs des ministères des finances. Les dépenses des autres Etats européens et des Etats-Unis explosent en ce moment. En zone euro, le déficit de l’Etat en 2010 se montera à 7% du produit des citoyens, et en 2011 les dettes de ces Etats vont s’approcher des 100% de ce que produisent leurs citoyens en une année. Le bandit va-t-il se réveiller, et ses taxes énormes vont-elles appauvrir tout le monde, y compris le bandit insatiable lui-même?
BILLET PRECEDENT : Beat Kappeler : Les renards et les buses (cliquez sur le lien)
EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Nicolas Baverez «On a créé des monceaux de pouvoir d’achat fictif qu’il va bien falloir reprendre» (cliquez sur le lien)
Catégories :L'Etat dans tous ses états, ses impots et Nous
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