Behaviorisme et Finance Comportementale

Finances Comportementales : Entretien avec Romain Lahoste Gérant CCR Asset Management

« La revanche de l’analyse financière comportementale  » 

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La finance comportementale n’est pas une discipline récente. Elle date des travaux effectués dans les années 70 par Kahneman et Tversky. Comment expliquez vous la redécouverte de la finance comportementale ?

La crise nous a révélé à quel point les prix peuvent s’écarter fortement et pendant longtemps des fondamentaux économiques.

Il y a clairement eu une partie de psychologie, de peur, d’irrationalité, de cupidité dans la réaction des investisseurs.

La finance comportementale vise à canaliser et à systématiser les comportements de manière à exploiter les conclusions établies en termes de gestion.

Comment expliquez-vous que la finance comportementale ait été occultée pendant tant d’années par le paradigme de la théorie néoclassique ?

La théorie financière néoclassique est très manipulable d’un point de vue mathématique. Peuvent en résulter des modèles mathématiques faciles à interpréter et à exploiter pour le contrôle des risques.

La théorie financière néoclassique fait appel à l’efficience des marchés. Les investisseurs sont des automates rationnels. Disposant des informations disponibles sur les marchés rendant compte de la réalité des fondamentaux économiques,  ils sont en mesure de prendre des décisions parfaitement logiques.

Kahneman et Tversky ont mené des recherches de psychologie pour mettre en évidence les biais comportementaux. Certains biais ont par ailleurs plus ou moins d’importance et d’impact sur les marchés. Vous avez décidé de  privilégier quatre biais en particulier. Quels sont-ils?

Ces  biais sont pour l’essentiel cognitifs. Ils sont en cela liés à la manière dont fonctionne le cerveau.

Il y a tout d’abord l’asymétrie dans l’aversion au risque.  Des expériences mettent en évidence le fait que des investisseurs souffrent beaucoup plus d’une perte d’un montant donné qu’ils n’ont de satisfaction pour un gain du même montant. Le choix effectué ne s’avère pas symétrique. Cela peut conduire les investisseurs à commettre des erreurs, par exemple à refuser de vendre des positions en perte, avec l’espoir de se refaire, un peu comme un joueur de Casino.

Le risque est alors réel que la perte cristallisée soit plus importante in fine.  

Il y a ensuite l’excès de confiance qui conduit à une mauvaise appréciation de ses capacités. Il y a également le biais de perception sélective : l’investisseur filtre les informations de manière à ne conserver que l’information cohérente avec son opinion initiale qui de ce fait va la conforter dans sa position.

Il y a enfin l’augmentation des risques face à des pertes éventuelles de manière à revenir à la situation initiale.

Que recommandez-vous face à ces biais ?

Il vaut mieux pécher des informations contradictoires avec que l’on pense déjà de manière à avoir une réflexion approfondie.  L’investisseur qui est en perte a tout intérêt à couper ses expositions aux actions plutôt que systématiquement moyenner à la baisse en attendant un rebond.

De quelle manière exploitez-vous la finance comportementale ?

Nous nous efforçons de l’utiliser à plusieurs échelles. En premier lieu à l’échelle individuelle. Nous devons êtres capables en tant que gérants de se protéger de soi même. En cela nous devons être conscients des biais psychologiques auxquels nous sommes soumis, et être en mesure de définir des règles de gestion et de s’y tenir strictement.

Cela concerne par exemple la définition de seuils de vente à l’avance lorsque le marché baisse. Nous évitons de trouver des prétextes pour ne pas vendre et appliquons la méthode de manière rigoureuse.

A l’échelle des marchés, la finance comportementale aide à appréhender les biais psychologiques des investisseurs. La plupart des individus ont les mêmes biais dans des situations comparables. L’accumulation de ces biais va tirer les prix d’une manière ou d’une autre. Il faut tenir compte du fait qu’avant que le marché ne refléte sa vrai valeur, le marché peut dériver très fort et très longtemps, et peut former des bulles et engendrer des krachs.

La fréquence de ces bulles et de ces krachs est plus élevée que ce que laisserait penser des statistiques basées sur la loi normal, utilisées dans le contrôle des risques. Avez-vous tenté d’apprécier cette fréquence ?

L’analyse comportementale n’indique pas avec précision le taux de probabilité qu’une bulle se forme, ou qu’un krach intervient. Elle permet simplement d’intégrer l’affirmation suivant laquelle il y a plus de bulles que ce que peut laisser croire le paradigme néoclassique.

Une manière de tenir compte de ce danger est donc de définir des seuils de vente…

Nous fixons des indicateurs systématiques qui nous renseignent sur le moment où nous devons couper de manière radicale la moitié ou la totalité des positions actions.

Nous nous servons de deux indicateurs qui s’appuient sur des moyennes mobiles de cours et un indicateur basé sur une moyenne de volatilité.  Ces indicateurs sont calculés de manière hebdomadaire par notre équipe de quantitative.

Cette moyenne mobile peut redéfinir un seuil de retour sur le marché.

Ces moyennes mobiles concernent elles chaque position de votre portefeuille ?

Notre poche actions est divisée par zones géographiques : Europe, Etats Unis, Japon, Pays émergents. Les moyennes mobiles sont calculées sur chaque zone géographique en fonction du S&P, DJ Stoxx 50, le MCSI emerging.

 L’indicateur sur la volatilité compare la volatilité à un an par rapport à la moyenne mobile sur trois ans de la volatilité à un an. L’idée est d’identifier les moments où on a une accentuation soudaine de la volatilité. C’est alors pour nous le signal d’une sortie du marché.

Ces moyennes mobiles qui sont des gardes fous de vos décisions d’investissement ne sont pas de simples indications. Leur dépassement vous oblige à couper vos positions… Votre exposition dépend dès lors de ce que vous pensez mais également et surtout des seuils définis. Cela ne constitue-t-il pas une forte contrainte ?

Si nous dépassons un seuil de danger sur un indicateur, nous coupons la moitié de l’exposition actions sur la zone géographique concernée. Si nous dépassons deux ou trois seuils nous coupons la totalité de l’exposition.

Il se peut que notre vision du marché ne soit pas totalement en ligne avec les indicateurs. Cela tient à l’essence même de l’existence de ces indicateurs que d’être parfois contrariants par rapport à nos convictions.

Je suis en accord avec ce mixe d’une stratégie qualitative et discrétionnaire avec un système de garde-fous. Avec du recul, nous observons que les deux tiers du temps, les indicateurs sont dans le vert. C’est alors essentiellement la partie discrétionnaire qui joue.

Et lorsque les indicateurs nous amène à couper nos positions, on s’aperçoit que le gain d’économie qui en découle n’est pas négligeable.

Vouloir identifier à tout prix un point du marché est un jeu très difficile qui peut couter cher…

En été 2008, il était tentant de croire que nous avions touché le point bas du marché. Nous n’avions touché en réalité que le point bas du premier acte. Le deuxième épisode ayant été caractérisé par Lehman. 

Le croisement de ces moyennes mobiles nous permet de dessiner une tendance pérenne qui a eu le temps de se consolider. On aura certes un décalage au démarrage. Nous ne tirerons pas forcément profit du rebond dès son commencement, mais la réduction de notre exposition  actions en amont de la baisse, et l’économie réalisée en conséquence nous permet de compenser largement le retard à l’allumage et le manque à gagner correspondant.

Nous avons lancé notre fonds en juillet 2008. A l’époque tous les indicateurs étaient dans le rouge. Nous n’étions pas du tout exposés au marché actions. Nous avons pu ainsi éviter le krach de Lehman et la deuxième partie de la crise qui a été beaucoup plus violent.

Depuis le lancement du fonds, nous avons une performance positive de 8,5%. Le MSCI Wolrd depuis juillet 2008 est à environ -15%.

Si nous devions contextualiser votre stratégie d’investissement, de quelle manière ont évolué vos moyennes mobiles depuis le début de l’année ?

En janvier, les trois signaux étaient dans le rouge. Progressivement la volatilité a diminué.  Elle est passée en dessous du seuil identifié comme dangereux. Nous avons réinvestis pour chaque zone géographique, la moitié de nos pondérations cibles.

L’exposition actions globale est de 45%. Nous étions à 0% jusqu’en fin mai, début juin.

Nous partons d’une exposition géographique cible calquée sur le PIB mondial. Nos cibles sont alors une exposition à hauteur de 30% aux Etats Unis, en Europe et dans la zone émergente, et de 10% au Japon.

Nous sommes actuellement investis à 15%  aux Etats Unis, en Europe et dans la zone émergente, et 0% sur le Japon.

Nous avons une partie en cash (25%), une partie en obligations (25%).

Nous avons 70 millions d’euros d’encours sous gestion répartis sur deux fonds qui répondent à deux profils différents: une exposition 0-100%, 0-40%.

Propos recueillis par Imen Hazgui

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