Behaviorisme et Finance Comportementale

Finances Comportementales : Apprenez à devenir un meilleur investisseur

 Le domaine de la finance comportementale examine le point de convergence entre la psychologie et la prise de décision économique. Dans son fascinant ouvrage récent, Your Money and Your Brain (Votre argent et votre cerveau), le chroniqueur du Wall Street Journal Jason Zweig examine un aspect à ce jour mal connu de la finance comportementale : la neuroéconomie, ou la manière dont le cerveau réagit dans les situations financières de tous les jours. J’ai récemment rencontré M. Zweig et lui ai posé des questions sur le comportement des investisseurs et ses suggestions pour s’améliorer dans ce domaine. 

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Christine Benz (morningstar) : Beaucoup de personnes ont entendu parler de la finance comportementale. En quoi la neuroéconomie est-elle différente ?

 Jason Zweig : Ce que fait la neuroéconomie, c’est de prendre les outils de haute technologie de la neuroscience contemporaine, centrés sur la capacité d’observer l’activation du cerveau au niveau de ses diverses sections. On peut donc voir quelles zones du cerveau sont activées dans certaines circonstances, et puis on établit une corrélation entre cette activité et le comportement, et aussi le stimulus qui a généré cette activité en premier lieu. 

Donc, si par exemple, notre objectif est d’apprendre quelque chose sur les processus cérébraux qui déterminent les comportements de recherche du risque, nous pourrions demander à quelqu’un de choisir entre gagner une petite somme d’argent ou en perdre une grosse, et voir ce qui se passe au niveau des neurones dans le cerveau de cette personne. La conclusion la mieux établie est celle qu’ont présentée Kahneman et Tversky, avec preuves à l’appui il y a une trentaine d’années : que les gens ressentent l’intensité d’une perte au moins deux fois plus fort que le plaisir d’un gain équivalent. Perdre 100 $ fait donc 2 à 2,5 fois plus mal que gagner 100 $ ne fait du bien. Les expériences neuroéconomiques tendent à le confirmer, parce qu’elles montrent que perdre de l’argent active des parties du cerveau associées à la douleur physique ou le dégoût, comme sentir du vomi ou marcher sur une crotte de chien. C’est le premier niveau de confirmation. 

CB : Vous vous êtes soumis à quelques-uns de ces tests pour examiner la réaction de votre propre cerveau aux performances financières, par rapport à certains de ces stimuli. Qu’avez-vous découvert d’intéressant sur vous-même?

JZ : La première chose que j’ai apprise ne m’a pas particulièrement surpris, et n’a certainement pas surpris ma femme : mes performances ne sont pas meilleures que celles des autres, et sont pires dans certains cas, pour la sorte de tâche présentée à la faveur de ces expériences. Je pense que la seule chose inhabituelle dans mon cas est que, au moins dans une de ces expériences, j’ai montré une patience hors du commun. Je suis prêt à attendre beaucoup plus longtemps qu’un individu moyen pour obtenir une récompense. 

CB : Et c’est un avantage dans les investissements.

 JZ : Absolument, mais ce qui est intéressant, c’est que ce n’est pas exactement ce qu’a montré ma gamma-encéphalographie. On dirait en fait qu’à force de toutes ces années de formation, de discipline et d’étude des travaux de Benjamin Graham, et de simple observation du marché et d’apprentissage de l’histoire financière, je me suis entraîné à devenir plus patient que ma constitution génétique et biologique naturelle ne l’aurait laissé présager.

 La leçon la plus importante et la plus surprenante que j’ai apprise provient d’une expérience que j’ai subie à l’Université Emory. C’était un exemple de ce que Gregory Berns, le neuroscientifique qui a réalisé cette expérience, appelle « apprendre sans le savoir ». Il s’avère que le cerveau a des fonctions très puissantes qui nous permettent de reconnaître des schémas sans que nous sachions jamais que nous y avons été exposés. Ce comportement de recherche de schémas dans l’esprit humain est tout simplement une fonction d’une puissance incroyable. La plupart d’entre nous ne reconnaissons pas à quel point elle est automatique, et à quel niveau involontaire elle se produit. Une bonne partie du comportement transactionnel par lequel les gens voient une situation se produire deux ou trois fois d’affilée et présument donc qu’elle se reproduira encore, cette sorte de chose se passe dans votre cerveau que vous le veuillez ou non, et elle peut vous dicter votre conduite même quand vous essayez d’y résister, à moins que vous n’ayez mis en place des structures décisionnelles formelles pour vous empêcher d’y réagir. 

Dans ces expériences particulières, on m’avait demandé de participer à un test de calcul de probabilités qui demandait beaucoup de réflexion consciente, un peu comme pour jouer aux échecs ou au backgammon. En même temps, on m’a présenté un stimulus beaucoup plus élémentaire, qui était de me donner des petites gorgées d’eau sucrée. Cette eau sucrée m’était administrée selon un schéma auquel mon cerveau ne prêtait aucune attention au niveau conscient parce que j’essayais de résoudre le problème plus compliqué. Mais la partie inconsciente de mon cerveau a bientôt détecté ce qui se produisait avec l’eau sucrée. Tout ce dont je me rappelle, c’est que je me suis mis à signaler à grands coups d’index que j’avais résolu le problème, même sans avoir aucune idée de la manière dont je l’avais fait. Et c’était simplement parce que le schéma de l’eau sucrée avait commencé à se répéter et que cette partie-là de mon cerveau reconnaissait cette répétition, alors que sa partie consciente cherchait encore une solution. 

Cette sorte de situation se produit constamment dans les marchés financiers. Les investisseurs particuliers le font, les conseillers financiers le font, sans le réaliser. Vous pouvez vous retrouver à investir dans une action donnée parce que vous avez vu le directeur général de la société à la télévision et que sa cravate était de votre couleur préférée. Que les gens prennent des décisions financières sur la base de facteurs qui n’ont rien à voir semble absurde, mais c’est vrai. Et la raison pour laquelle ils le font est que des choses comme les couleurs, les sons, les odeurs et les associations avec notre passé et avec nous-mêmes font augmenter notre degré de confort et de familiarité avec un monde qui fait peur

Ces effets-là existent partout, ils gravitent autour des investisseurs, ils conditionnent le processus décisionnel chez beaucoup de gens sans même qu’ils en soient conscients. La raison pour laquelle je reviens toujours sur cette question est que la frontière la plus passionnante de la psychologie contemporaine est l’exploration de ces partis pris inconscients, et le fait que ce qui exerce inconsciemment un impact sur notre comportement puisse influer sur nos décision d’une manière qui paraît incroyable. On ne croirait jamais que l’on choisit son conjoint parce que son nom commence par la même lettre, mais si l’on examine des millions de registres de mariages, c’est exactement ce qu’on découvre

De toute évidence, vous aimez aussi votre mari ou votre femme, mais il se peut fort que vous ayez été encore plus attiré par une initiale qui vous était familière, et qu’en fait c’est en grand partie la raison pour laquelle vous vous êtes marié. Il n’y a aucun doute pour moi que si nous pouvions analyser les portefeuilles des gens, nous trouverions qu’ils surpondèrent des sociétés qui ont un symbole boursier leur rappelant leur propre nom ou celui de membres de leur famille, ou qu’ils détiennent un nombre disproportionné d’actions de sociétés situées près de chez eux ou de là où ils ont grandi. 

CB : Alors, en tant qu’investisseurs, comment combattre nos impulsions cérébrales? 

JZ : Depuis quelques années, il y a un véritable culte de l’intuition, du pressentiment et de l’inspiration. Cette situation a pour ainsi dire commencé avec le livre de Malcolm Gladwell Blink, et il y a maintenant toute une petite industrie consacrée à aider les gens à trouver leurs propres repères intérieurs. Dans le domaine des décisions financières en tout cas, il est difficile d’imaginer pire méthode. Ce n’est pas qu’il ne faille jamais s’écouter ou que l’intuition ne soit jamais fiable, mais les intuitions ne sont un bon guide que dans certaines circonstances précises, et cela dépend principalement de la nature des réactions déclenchées. Prenez par exemple un joueur de tennis professionnel. Chacune de ses décisions est lourde de conséquences. S’il commet une erreur, il se fait battre parce que la concurrence est intense, des millions de dollars sont engagés sur le résultat, et la réaction ne se fait pas attendre. Si son coup est déficient, la balle va du mauvais côté et il s’en aperçoit tout de suite. 

Maintenant, pensez à la réaction dans les marchés financiers. Vous achetez ChristineCorp à 10 $ l’action. À la fin de la journée, elle est à 10,05 $ et vous vous congratulez en vous disant que vous êtes bon dans le choix d’actions. Le lendemain, elle descend à 9,50 $, et soudain, vous pensez que vous êtes mauvais. Vous la vendez, et elle monte immédiatement à 12 $. Quelle est la morale que vous en tirez? Eh bien, vous pouvez présumer que vous êtes bon dans le choix des actions parce que celle-ci a gagné 20 % par rapport au prix où vous l’avez achetée, ou vous pouvez en conclure que vous ne savez pas ce que vous faites parce que vous l’avez vendue précisément au mauvais moment. La qualité de la réaction varie constamment. À tout moment, on dirait que vous avez raison ou tort parce que la qualité de la réaction dépend de la longueur de la période de mesure. La réaction du marché financier est donc épouvantable. Elle est bruyante, tardive, ambiguë, on peut en tirer les éléments que l’on veut pour se mentir à soi-même ou se montrer aux autres sous un jour meilleur

Pour cette raison, il est particulièrement important d’avoir des structures de décision vraiment bonnes. La première chose à faire est donc d’avoir une liste de pointage, d’étudier vos décisions passées et celles des meilleurs investisseurs mondiaux, de tirer des enseignements de vos erreurs et des leurs, et d’élaborer une liste des critères que doit réunir chaque placement pour pouvoir figurer dans votre portefeuille. J’en suggère quelques-uns dans mon livre, mais pour les investisseurs particuliers, la règle la plus importante devrait probablement être de ne jamais souscrire un investissement pour la seule raison que ses cours ont grimpé, et de ne jamais le vendre pour la seule raison que ses cours ont baissé

Pour les fonds communs de placement, je mettrais le ratio des frais en premier sur la liste. Je m’interdirais d’envisager un fonds dont les dépenses dépassent X. J’y ajouterais ensuite la rotation du portefeuille, puis l’efficience fiscale. J’y attacherais une mesure de risque, et mettrais le rendement bon dernier. En fait, j’introduirais aussi une règle décisionnelle selon laquelle il me serait totalement interdit d’examiner le rendement d’un fonds avant d’en avoir présélectionné une liste qui ont passé tous les autres filtres. C’est seulement à ce moment-là que je regarderais le rendement. Parce que si l’on regarde le rendement en premier, l’inconscient prend parti et déforme l’analyse de tous les autres facteurs. Il faut donc mettre le rendement bon dernier, parce qu’autrement il serait premier même l’on pense qu’on l’a classé autrement. 

Il y a eu une étude magnifique dans le Journal of Finance il y a deux ans sur la sélection des gestionnaires financiers institutionnels, dont les conclusions ont essentiellement été que les spécialistes du choix des gestionnaires financiers (il s’agissait dans ce cas de fonds de retraite) avaient tendance à acheter haut et vendre bas. Ils investissent dans les gestionnaires qui ont le meilleur rendement sur périodes mobiles de trois ans, puis vendent ceux qui ont les pires. L’étude a montré que s’ils avaient inversé leurs critères en achetant ceux qui avaient le pire rendement sur trois ans et vendus ceux qui avaient le meilleur, ils auraient en fait obtenu de meilleurs rendements. Et bien sûr, s’ils n’avaient rien fait, s’ils avaient simplement gardé le portefeuille au réfrigérateur, ils auraient aussi obtenu de meilleurs résultats. Aller à la chasse au rendement, malgré toute la propagande que l’on entend dans l’industrie financière, n’est pas seulement le fait des investisseurs particuliers. Ce n’est pas « l’argent idiot » des gens ordinaires qui achète haut et vend bas. Tout le monde le fait. 

Honnêtement, je pense que les investisseurs institutionnels et les intermédiaires de tous poils, jusqu’aux conseillers financiers qui n’ont qu’une poignée de clients ou aux courtiers qui ont des comptes relativement petits, sont au moins aussi mauvais que ces individus. Il y a en fait un nombre de preuves énorme dans ce sens. 

Et en fait, le bon sens vous dirait que si vous gérez de l’argent des individus, vous êtes aussi hostile au risque qu’ils le sont avec leur propre argent et vous avec le vôtre. Mais c’est à un autre type de risque auquel vous êtes hostile. Vous êtes hostile au risque de faire mauvaise figure auprès de quelqu’un qui vous verse des honoraires. Vous voulez voir entrer dans le portefeuille le placement qui a eu le meilleur rendement, et en sortir celui qui a eu le pire, parce qu’en temps réel, au moment de la décision, vous ferez bonne figure

Le problème, c’est qu’avec le temps, cela ne va pas rendre vos clients plus riches. C’est ce que les économistes appellent un problème de représentation, et je crois que c’est quelque chose que les conseillers doivent vraiment combattre. La seule manière efficace que je connaisse de le faire est d’incorporer une sorte d’analyse que, à ma connaissance, la plupart des conseillers n’utilisent pas, qui est non seulement de pister le portefeuille détenu, mais aussi le portefeuille vendu. Il faut conserver continuellement les chiffres du rendement des investissements dont on s’est débarrassé pour voir si ils se sont plus mal comportés après qu’on les a liquidés. Je connais très, très peu de conseillers qui le font, et en fait certains d’entre eux se demandent en quoi cela serait nécessaire. La réponse, c’est simplement qu’on ne peut pas savoir si l’on a pris une bonne décision de vente à moins d’examiner le rendement de ce que l’on a vendu. Parce qu’il est fort possible qu’un produit se soit mieux comporté une fois vendu qu’auparavant. Et il peut mieux s’être comporté une fois vendu que le produit par lequel vous l’avez remplacé, auquel cas vous avez pris une décision très stupide. Et l’on ne peut pas déterminer si vous avez pris une décision stupide à moins de la mesurer. 

CB : Nous avons fait des études pour démontrer l’effet de la rotation de portefeuille sur le rendement. Nous avons donc mis des portefeuilles au réfrigérateur et nous sommes demandés : quel aurait été le rendement de ce portefeuille par rapport à celui qui a été réalisé par le gestionnaire? Nous en sommes arrivés exactement aux mêmes conclusions que vous : que si le gestionnaire n’avait pas touché ce qu’il possédait il y a un an ou deux, ce portefeuille se serait surclassé par rapport à ses résultats réels. 

JZ :C’est une conclusion très fréquente, et vraiment, elle ne devrait surprendre personne. Il est certain que dans le cas du choix des actions il y a des coûts de transactions à envisager. Il y a souvent certains retards de mise en oeuvre : il faut un peu de temps, une fois qu’on a vendu quelque chose, pour le remplacer par autre chose. 

Mais la vraie raison, la vraie force derrière ce rendement décevant, je crois, est d’ordre psychologique. Au moment même où il est le plus douloureux de posséder un placement, c’est là qu’il a le plus de chances d’être une bonne affaire pour l’avenir. Si vous vendez quelque chose qu’il est douloureux de posséder, vous avez donc toutes les chances de vous débarrasser de quelque chose que vous auriez dû conserver. 

Et inversement, ce qui est le plus agréable à posséder aujourd’hui est vraisemblablement ce que vous regretterez de posséder demain. Les gens sont donc animés par des facteurs émotionnels et psychologiques pour se débarrasser de tout ce qui fait mal, et d’acheter ce qui leur donne du plaisir. Ce qu’ils ne reconnaissent pas vraiment, c’est qu’ils n’ont fait que poser des jalons pour faire la même chose dans l’avenir. Parce que ce qu’il est douloureux de posséder maintenant, il sera agréable de le posséder plus tard. Et s’il est agréable de le posséder maintenant, le posséder plus tard va faire mal.

 Cet article est parue sur le site américain  Morningstar (www.morningstar.com) le 15 octobre 2009

3 réponses »

  1. Exceptionnel merci!
    Je me souviendrais du coup de l’eau sucrée 🙂

    Au sujet de la cravate, je pense que le même schéma s’applique également aux votes en politique…

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