S’intéresser à ces entreprises qui déclinent pour mieux rebondir…. la crise comme moteur de progrès et d’évolution….
Plus encore qu’à choisir de « bonnes » actions, l’investisseur à succès parvient à éviter les « mauvaises », à savoir celles qui lui font perdre de l’argent (baisses de cours). Parmi celles-ci, on trouve les actions d’entreprises en déclin, d’autant plus fragilisées quand l’économie est faible. Quelles sont les formes que prennent ces déclins et comment les diagnostiquer ?
Le premier signe annonciateur du déclin d’une entreprise, c’est … son succès.
C’est vrai d’une civilisation comme d’une entreprise : ce qui caractérise la décadence, c’est qu’elle est rarement perçue par l’organisme atteint
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La crise comme révélateur
La machine économique, lorsqu’elle connaît des ratés pouvant aller jusqu’à une récession, expose cruellement aux yeux des investisseurs les faiblesses des entreprises peu performantes. Ces faiblesses, précisons-le d’emblée, sont généralement déjà présentes avant la crise économique. Et si ces entreprises avaient pu jusqu’alors donner le change grâce à la croissance générale, elles se retrouvent, parfois brutalement, fortement fragilisées, au point, dans certains cas, de risquer la faillite. Mais celle-ci n’est pas indispensable pour provoquer, dans un portefeuille d’actions, de profonds trous, extrêmement difficiles à combler.
L’environnement économique actuel offre donc une belle occasion de revenir sur des cas à problèmes pour en tirer quelques leçons.
Après le beau temps, la pluie ?
Le plus souvent reprises dans les grands indices boursiers nationaux, les actions analysées représentent généralement des entreprises qui sont parvenues, à un moment ou à un autre au terme d’une période de prospérité, à se hisser dans les premières places de leur secteur, s’assurant du même coup une bonne notoriété. Mais s’il existe bel et bien des entreprises qui traversent les décennies voire les siècles, d’autres finissent par disparaître, suite à une acquisition par un concurrent ou suite à un déclin fatal. Aujourd’hui, dans un contexte de concurrence acharnée sur fond de globalisation économique, la pression est intense, y compris sur les entreprises qui connaissent le succès. La stratégie qu’elles appliquent pour pérenniser ou améliorer leur situation est cruciale. Ce qui pose la question des écueils à éviter.
L’arrogance, l’ennemi public numéro 1
Alors que l’humilité devrait être le premier trait de caractère de ces capitaines d’industries naviguant sur des océans déchaînés, les chefs d’entreprises se laissent régulièrement aller à l’excès de confiance. Grisés par leur succès, ils oublient un peu vite que la réussite obtenue est souvent, au moins en partie, due à un facteur chance. Ils développent donc, plus ou moins consciemment, un sentiment d’invulnérabilité qui les pousse à une certaine arrogance. Celle-ci peut prendre l’une des deux formes suivantes, a priori opposées mais pouvant chacune aboutir à une situation de déclin : « en faire trop » (l’agitation) et « ne pas en faire assez » (l’attentisme).
L’agitation ambitieuse
C’est une loi statistique : toutes les entreprises ne peuvent prétendre à une croissance supérieure à celle de leurs concurrents (et donc de leur secteur). De la même manière, sauf cas exceptionnels, une croissance durablement supérieure à la concurrence n’est pas tenable : un jour ou l’autre, cette concurrence se renforce et vient brider cette belle dynamique
. Certaines entreprises ont du mal à accepter cette réalité : elles peuvent dès lors être amenées à commettre des imprudences, surtout si un cours boursier généreux de leurs actions (anticipant une forte croissance) les y encourage.
Prenons le cas du laboratoire pharmaceutique américain Merck. Malgré la menace des produits génériques, Merck a fixé une robuste croissance comme objectif prioritaire dès 1995 et s’est assez rapidement choisi une molécule pour y parvenir : l’anti-douleur Vioxx. Après un début en fanfare, ce fut la douche froide car le Vioxx présentait des risques cardiovasculaires. Sans même prétendre que Merck a caché des informations sanitaires importantes avant le lancement en 1999, avoir trop misé (et trop promis) sur cette molécule n’était pas raisonnable : en six semaines, à l’automne 2004, pas moins de 40 milliards de dollars de capitalisation boursière se sont envolés en fumée, faisant passer l’action de 45 USD à 25 USD. Cinq ans plus tard, le cours n’est toujours pas revenu à 45 USD.
Plus symptomatiques encore de cette arrogance des chefs d’entreprise sont les cas de fusions/acquisitions. Lorsque la grenouille veut se faire plus grosse que le bœuf, cela se termine souvent mal : les cas de Royal Bank of Scotland (ayant triplé de taille de 2006 à 2008), de America OnLine (ayant absorbé Time Warner en 2000) ou encore de Ahold (croissance internationale échevelée dans les années 1990) sont exemplaires de lourds accidents industriels et boursiers. Des modifications trop rapides et importantes dans le périmètre des activités entraînent souvent des erreurs de gestion qui peuvent s’avérer fatales, surtout si l’endettement a accompagné le mouvement. Notez, à cet égard, qu’une cure d’amaigrissement mal préparée peut également être à l’origine d’une déconvenue. Ainsi, Alcatel qui, pour plaire à une Bourse n’aimant pas les entreprises trop diversifiées, est passé en quelques années d’une structure de conglomérat industriel à celui de pur acteur dans les équipements télécoms sans s’apercevoir qu’il avait sensiblement perdu en compétitivité sur ce dernier secteur où la conjoncture s’était par ailleurs refroidie. Fin 2006, ne sachant plus à quel saint se vouer, Alcatel a scellé une bonne part de son sort par une fusion hasardeuse avec l’américain Lucent qui s’est avéré en moins vaillante forme qu’il ne le croyait. Au bout de 14 ans d’errances managériales, le groupe a perdu quelque 95% de sa valeur boursière.
L’attentisme auto-satisfait
A l’opposé de l’hyperactivité destructrice, certaines entreprises sont trop conservatrices. Cette politique peut avoir plusieurs origines. D’une part, au fur et à mesure où une entreprise se développe sur la base de l’un ou l’autre succès, son organisation se complexifie, ce qui engendre des procédures routinières et bureaucratiques avec un risque d’immobilisme. D’autre part, une entreprise qui est leader de son secteur est confrontée à un dilemme : « Faut-il garder inchangée une recette qui a fait ses preuves ou risquer de perdre cette position durement acquise par une réorientation stratégique incertaine ? ». La complaisance est pourtant un facteur de risque dans le monde des affaires car, dans le même temps où se pose cette question existentielle, la concurrence, elle, continue de progresser, notamment par une meilleure lecture des habitudes de consommation. Les déclins observés liés à ce type de comportement sont généralement moins spectaculaires que ceux liés à l’agitation ambitieuse. C’est par contre ce qui les rend d’autant plus pernicieux.
La lente chute de General Motors prend naissance dans les années 1960 quand les constructeurs japonais se sont immiscés sur le segment des petites voitures, avant de monter plus récemment dans le haut de gamme.
Autre exemple : l’avènement du numérique et d’Internet depuis une quinzaine d’années a fait beaucoup de mal à des entreprises pourtant considérées comme solides leaders de leur secteur. Un groupe comme TF1, premier groupe télévisuel français, a lentement décliné au fil des ans alors qu’il n’a pas saisi assez tôt la mutation de son secteur : les annonceurs publicitaires se sont progressivement détournés de lui au profit d’Internet ou d’autres chaînes plus dynamiques, notamment numériques.
Les grands noms de la presse écrite, notamment aux Etats-Unis (par exemple le New York Times), sont restés également tétanisés par la montée d’Internet.
Kodak, acteur tout puissant de la photographie, a totalement raté le passage au numérique.
Et que penser aujourd’hui d’un Nokia qui s’est laissé progressivement déborder par Apple sur le très rentable segment des « smartphones » ? Même si Apple ne contrôle qu’une part infime du marché mondial des téléphones portables (quelque 2,5%), il dégage avec son seul iPhone un bénéfice opérationnel supérieur à celui de Nokia, qui détient pourtant 35% du marché.
Détecter le déclin
Le premier signe annonciateur du déclin d’une entreprise, c’est … son succès.
Même si la chute reste évitable, il faut bien frôler les sommets avant de tomber. Méfiance donc, a priori, vis-à-vis des actions d’entreprises en pleine gloire : celles-ci sont d’ailleurs le plus souvent trop chères, la Bourse anticipant un avenir trop radieux. N’hésitez pas à lire la traditionnelle lettre du directeur général à l’entrée du rapport annuel pour y décerner d’éventuels signes d’arrogance (« Nous sommes leader indiscutable » ; « Notre croissance va être beaucoup plus forte que celle de nos concurrents », etc.).
Mais le danger peut-il aussi se détecter dans les comptes des entreprises ?
Absolument. L’évolution du total bilantaire (ensemble des moyens à la disposition de l’entreprise) sur quelques années peut attirer l’attention, surtout si l’endettement est fortement sollicité : une entreprise qui grossit trop vite par acquisitions peut dissimuler un malaise. Plus encore que l’évolution du chiffre d’affaires, la marge opérationnelle (division du bénéfice opérationnel par le chiffre d’affaires) est à décrypter. Car cet indicateur de rentabilité est révélateur de la puissance d’une entreprise sur son marché. Au cours des huit derniers exercices, Alcatel-Lucent n’a ainsi été opérationnellement rentable qu’à une seule reprise (en 2005), ce qui est beaucoup trop faible. Quant à Nokia, entre 2003 et 2008, alors même que le chiffre d’affaires gagnait sur cette période 72%, la marge opérationnelle a glissé constamment de 17% (en 2003) à 9,8% (en 2008). Autre signe : des charges de restructurations trop lourdes et trop fréquentes sont également symptomatiques d’un management médiocre. Enfin, la qualité de la gestion des liquidités se concrétise généralement dans l’évolution du dividende. Après avoir divisé par 3 son dividende en 2001, Alcatel n’a ainsi été depuis lors capable de distribuer à ses actionnaires qu’un faible montant à deux reprises seulement (0,16 EUR par action en 2005 et 2006).
Inexorable déclin
C’est vrai d’une civilisation comme d’une entreprise : ce qui caractérise la décadence, c’est qu’elle est rarement perçue par l’organisme atteint.
Plus ou moins inconsciemment, le management d’une entreprise sur le déclin cherchera à nier les problèmes, du moins tant qu’ils ne mettent pas à court terme en danger la pérennité de l’entreprise. Idéalement, le conseil d’administration aurait ici un rôle important à jouer : celui de tirer le signal d’alarme. Mais cela n’a de réelle chance de survenir que si le président de ce conseil est différent et suffisamment indépendant du directeur général. Et si ce principe de bonne gouvernance demeure important, force est de constater que, en pratique, le conseil d’administration reste trop servilement soumis à la direction.
Malheureusement encore plus rare : une saine rébellion des actionnaires lorsqu’ils sont sollicités, par exemple pour entériner une importante fusion ou acquisition.
Si ce double filtre (conseil d’administration et actionnaires) se révèle généralement inefficace pour contrer un déclin, cela ne signifie pas pour autant qu’il soit inexorable, même si la reprise en mains est tardive. Revenir à un management rigoureux et respectueux des équilibres financiers peut remettre une entreprise sur de bons rails.
Ainsi, Vivendi, au bord de la faillite en 2002, a retrouvé un second souffle lorsque le nouveau management a intelligemment recentré le groupe sur les activités génératrices de cash, tout en les consolidant. De même, dangereusement dans le rouge au début des années 1990, IBM sera redressé par un nouveau management qui réorganisera le groupe en fonction des besoins des clients. Les histoires qui se terminent bien ne sont pas légion pour autant. Ainsi, plus récemment, la dernière équipe à la tête de GM (avant l’intervention de l’Etat américain) avait, certes avec du retard, réalisé un bon travail mais elle a été dépassée par l’ampleur de la crise économique.
Que retenir ?
Le déclin d’une entreprise a souvent pour origine un sentiment d’invulnérabilité de la part du management, qu’il veuille trop en faire ou qu’il soit trop attentiste. Diagnostiquer suffisamment tôt le déclin d’une entreprise n’est pas une tâche aisée pour un actionnaire. La vigilance doit concerner tout signe d’arrogance, tout changement trop rapide du périmètre d’activités, toute fragilisation de la rentabilité et tout faux pas dans la distribution du dividende.
Mais si le déclin est constaté tardivement, la Bourse aura déjà fait baisser le cours de l’action. Ce qui ne signifie pas que l’action sera alors automatiquement bon marché. Car, si des exemples de redressement spectaculaires existent, il faut savoir qu’une entreprise fortement fragilisée ne retrouve pas facilement une bonne santé.
source tpv dec09
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