“mes idées sont de plus on plus utilisées dans les salles de Marchés”….retour sur quelques propos
Benoît Mandelbrot, polytechnicien est membre du centre de recherche d’IBM. Il enseigne également à Yale et est le père des mathématiques fractales.Il nous parle de ses applications possibles en finance…
Dès 1964, Benoît Mandelbrot, l’inventeur de la théorie mathématique des fractales, avait perçu que les modèles mathématiques utilisés par les financiers étaient erronés, et avait tenté d’alerter sur leurs dangers. Son denier livre, Une approche fractale des marchés (Odile Jacob, 2004), paru quatre ans avant la crise financière, était prémonitoire. Mais il ne fut guère écouté.
PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :
Quelles sont les applications les plus connues des mathématiques fractales ?
Sur mon web site vous trouverez un “Chronicle of Books”. Les titres de ces livres vous indiqueront le nombre et la variété des applications qu’il serait trop long de repeter ici. Mais voici quelques exemples pratiques : antennes fractales, murs fractals le long des autoroutes, ciments modernes, génie chimique, géophysique…
Quels sont les outils mathématiques à notre disposition pour maîtriser la théorie fractale (analyse fonctionnelle, algèbre…) ?
L’analyse fonctionnelle et l’algèbre servent relativement peu. L’analyse fractale a maintenant ses outils propres, développés dans les ouvrages signalés ci dessus
Les fractales décrivent elles mieux les mouvements des marchés financiers que les modèles à volatilité stochastique , à sauts ou plus généralement les processus de Lévy ?
Les processus Hables de Lévy ne contredisent d’aucune façon les fractales : ils sont eux-mêmes des fractales ! Ils ont été introduits par moi en 1963 comme modèle fractal des prix avec des sauts. Plus tard, j’ai introduit deux autres modèles encore plus performants : fractal à mémoire infinie et multifractal.
Pourquoi cette technique est elle très peu utilisée dans les salles de Marchés ?
Cette technique reste encore peu connue et continue de rencontrer des résistances de la part des partisans des techniques basées sur l’antique thèse de Bachelier de 1900. Cependant on me dit que mes idées sont de plus on plus utilisées dans les salles de Marchés. Malheureusement chacun garde ses recettes pour soi.
La théorie des fractales ne suppose-t-elle pas que le coût des produits dérivés soit si élevé qu’il deviendrait prohibitif de se couvrir en y recourant ?
Les formules usuelles pour le coût des produits dérivés sont reconnues de façon de plus en plus générale comme étant inappropriées. Mais pourquoi s’inquiéter à l’avance des prix donnés par la théorie fractale ? Il sera préférable que les jeunes chercheurs dépassent les craintes à priori des prix prohibitifs et contribuent à développer la théorie.
Dans votre livre, vous dites que “la finance doit abandonner ses mauvaises habitudes et adopter une démarche scientifique”. Or il a été dit que la crise était en partie due aux mathématiques financières, avec lesquelles on avait conçu des produits trop sophistiqués dont personne ne mesurait les risques. Qu’en pensez-vous ?
Les gens ont pris une théorie inapplicable – celle de Merton, Black et Scholes, issue des travaux de Bachelier qui datent de 1900 -, et qui n’avait aucun sens. Je l’ai proclamé depuis 1960. Cette théorie ne prend pas en compte les changements de prix instantanés qui sont pourtant la règle en économie. Elle met des informations essentielles sous le tapis. Ce qui fausse gravement les moyennes. Cette théorie affirme donc qu’elle ne fait prendre que des risques infimes, ce qui est faux. Il était inévitable que des choses très graves se produisent. Les catastrophes financières sont souvent dues à des phénomènes très visibles, mais que les experts n’ont pas voulu voir. Sous le tapis, on met l’explosif !
Avez-vous l’impression maintenant que les risques sont mieux pris en compte ?
Il y a quelques jours, j’ai déjeuné avec des dirigeants d’une grande banque américaine. Ils me disent qu’ils sont contents de leurs modèles. Ils ne veulent pas reconnaître qu’ils se sont trompés. J’espère que ce qu’ils me disent n’est pas la réalité. Personne ne les oblige à dire ce qu’ils font réellement. Les financiers sont très attachés à cette théorie d’une simplicité merveilleuse, que l’on peut apprendre en quelques semaines, puis en vivre toute sa vie. Cette théorie a toujours été complètement fausse. Depuis quelques années néanmoins, on m’écoute de plus en plus. Beaucoup de grands banquiers, en privé, me disent que j’ai parfaitement raison, mais ils estiment que ce n’est pas dans leur rôle de prendre parti.
En 2004, quelques années après l’éclatement de la bulle Internet, vous demandiez qu’une petite fraction des budgets de recherche et développement des grandes institutions financières de Wall Street soit consacrée à la recherche fondamentale. Avez-vous été entendu ?
Aujourd’hui, la plupart de ces compagnies ont renvoyé leurs chercheurs. Alors la question est de savoir à quelle théorie ils se fient ? A celle du doigt mouillé ? Je ne sais pas.
Mais vos élèves sont-ils maintenant davantage prisés ?
Plusieurs de mes élèves, parmi les premiers, ont changé d’avis après leur thèse. Ils ont fait de très belles carrières, en niant ce qu’ils avaient affirmé dans leur thèse. Donc, je n’ai pas beaucoup de disciples. Beaucoup de jeunes étaient intéressés, mais ils trouvaient cela dangereux.
Parce que vous n’étiez pas reconnu par l’establishment ?
C’est cela.
Aux Etats-Unis. Mais est-ce aussi le cas en Europe, en Asie ?
C’est très difficile de le savoir. En un sens, le monde est très unifié ; en un sens, il ne l’est pas. Je sais que mon livre s’est très bien vendu au Japon. Au point qu’ils ont ressorti mes livres antérieurs. La France est moins active à cet égard. L’école de mathématique financière n’a pas changé. Elle est le fait de gens très estimables, de très bons mathématiciens, mais ils sont satisfaits de leur manière de faire et je ne suis pas écouté. En Allemagne, la chancelière (Angela Merkel) avait, paraît-il, mon livre sur sa table de chevet ! Un grand quotidien m’a fait très bien connaître dans ce pays !
Quel est le sujet du livre sur lequel vous travaillez actuellement ?
On m’a demandé d’écrire mon autobiographie. L’influence extraordinaire de mon année de naissance, 1924, qui a fait que j’étais adolescent pendant la guerre, dans des conditions rocambolesques, et que j’ai survécu. Cela m’a rendu extrêmement indépendant. Je n’appartiens à aucune école. J’en ai créé une. Mais elle est indépendante des puissances et des intérêts.
source nf et le monde 2009
EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Nassim Taleb : l’homme qui murmurait à l’oreille des cygnes… (cliquez sur le lien)
LE LIEN VERS SON SITE : http://www.math.yale.edu/mandelbrot/ (cliquez sur le lien)
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