Art de la guerre monétaire et économique

Bruno Bertez : Marchés/L’année de tous les dangers

Les marges de manœuvre de la politique et de la régulation ont été utilisées. Il existe certes d’autres outils dans la panoplie interventionniste. Mais ils sont effrayants: régulation, contrôle, confiscation….

PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :

 La gestion des affaires s’annonce difficile. La situation comporte beaucoup de risques, en raison de la fragilité de la stabilisation qui a été obtenue; elle comporte aussi beaucoup d’embûches. Il faut tenir compte du fait que les gouvernements, les régulateurs, ne veulent pas forcément le bien de chacun et qu’ils n’ont pas choisi la voie de la transparence. Il faudra donc beaucoup d’esprit critique et de clairvoyance pour éviter d’être du côté des victimes des «unintended consequences». On a pu remarquer ces dernières années à quel point l’action des responsables de la conduite des affaires produisait des dégâts collatéraux. Des dégâts collatéraux contre lesquels personne n’ose s’élever compte tenu du fait qu’ils sont censés être dans l’intérêt général. 

Les free lunchs sont terminés. Ou plus exactement, ils n’ont jamais existé. Tout a un prix, les déficits keynésiens, les quantitative easing, les gonflements des bilans des banques centrales, les taux zéro, etc. Et ce prix, même s’il est dans le pouvoir des régulateurs et gouvernants de le dissimuler devra être payé. Ce sera cher. La charge en sera inégalement répartie. Les premières victimes seront du côté de ceux qui sont tombés dans les pièges qui leur ont été tendus. Entendez-bien du côté de ceux qui auront cru réellement au bien-fondé de la prise de risque à laquelle on les a incité

Les régulateurs ont euthanasié les rentiers, selon le conseil de Keynes et les rentiers ont cru se défendre en faisant ce qu’en fait les responsables de la conduite des affaires voulaient qu’ils fassent. Ils se sont séparés de leur argent et ils ont pris des risques. Peut-on le leur reprocher? Evidemment non, la séduction du risque est tentante quand toutes les autres possibilités ont été détruites. 

La séduction du risque est tentante, même si elle est fondamentalement injustifiée. Nous abordons 2010 avec une situation plus dangereuse, plus obérée, plus déséquilibrée que ce qu’elle était en 2007. C’est le choix des gouvernants. Ils ont choisi de forcer le destin, de tenter de poursuivre dans la voie qui a conduit aux difficultés. Ils ont choisi le quitte ou double. 

Les problèmes n’ont pas été résolus, ils ont été transférés. Premièrement, dans le futur; deuxièmement, sur les Trésors Publics et les banques centrales; troisièmement, sur les marchés obligataires et les marchés de fonds d’Etat. 

L’endettement n’a pas décru. Au contraire, il a gonflé exponentiellement. Le deleveraging du système est un grand mythe. La masse de dettes totale du système global a au contraire explosé. Simplement, elle s’est déplacée à l’intérieur du système global. Et face à cette explosion du stock de dettes, la solvabilité ne s’est pas améliorée. Nous n’avons pas créé de richesse en proportion, nous n’avons pas investi pour produire des richesses futures, les cash flow et les revenus nécessaires à la solvabilisation des promesses n’ont pas progressé, au contraire. Le fait de mettre les gens et les machines au chômage n’est qu’un artifice, mais un artifice qui en réalité produit non pas de la prospérité mais de la pauvreté. Il est vrai que le système excelle à faire prendre les vessies pour des lanternes. 

Les problèmes n’ont pas été résolus, mais la situation, elle, s’est détériorée. Expliquons-nous. Les marges de manœuvre qui existaient en 2007/2008 ont été utilisées; les amortisseurs ont été usés au maximum. Qui oserait affirmer que l’on pourrait encore à ce stade faire bondir l’endettement et galoper la création monétaire. Ce qui a été fait non seulement n’est plus à faire, mais ne peut plus être fait. Les outils ne peuvent servir éternellement. Et après ces outils, il en existe certes d’autres dans la panoplie, mais ils sont effrayants: régulation, contrôle, confiscation. 

Ce qui a été fait a constitué un pari colossal. En soi, ce n’est pas mal. Si ce n’est que c’est un pari qui ne peut être gagné réellement et nous insistons, le mot important est réellement. Il ne peut être gagné réellement car l’économie, la rareté, la comptabilité ont leurs lois et leurs règles. Certes, nominalement, des répits peuvent être obtenus, mais ce qui compte, c’est le réel et la durée. 

La crise, en tant qu’accumulation de promesses intenables, ce qu’elle est, n’a pas été résolue. Elle a été niée, rejetée. On n’en n’a rien voulu savoir

La partie visible de l’iceberg de cette crise semble à la faveur des changements opérés dans les règles du jeu donner l’impression cosmétique de s’en être sortie; nous voulons parler du système bancaire et du système financier au sens large. Mais ce n’est qu’une illusion. On a transféré les problèmes dans le temps, on les a transférés sur les contribuables présents et à venir, sur les retraités futurs. Et bien sûr ce qui nous intéresse au premier plan, on les a transférés sur les marchés. Car le grand secret de la fonction des marchés, celui dont on ne parle jamais, c’est que les marchés rendent les promesses bio-dégradables. Tout ce qui est contractuel doit théoriquement être honoré, mais dès lors que les engagements contractuels sont cotés sur les marchés, ils deviennent dévalorisables. Leurs valeurs s’ajustent à la réalité de ce qu’elles valent. 

Le mistigri, car c’en est un, le mistigri de non possibilité d’honorer les dettes, de soutenir le niveau du prix des actifs, est toujours là. Simplement, il est porté par d’autres. Et la chaîne de ceux qui vont recevoir le mistigri et tenter de s’en débarrasser n’est pas prêt de s’arrêter. La finance gouvernementale, c’est à dire la finance des Etats est bien placée. Elle est quasi en première ligne avec ses maillons faibles du risque souverain que tout le monde connaît, Grèce, Espagne, etc. mais aussi beaucoup d’autres en cours d’érosion. Il y a aussi quasi sur la même ligne les agences d’Etat. Le 24 décembre, subrepticement, les Etats-Unis ont levé toute limite à l’enfoncement de Fannie Mae et Freddie Mac dans l’insolvabilité. Il y aussi le système des pensions. Dans tous les grands pays industrialisés. C’est le grand durty little secret. On n’en parle pas en Europe, mais la taupe creuse ses galeries. Elle vient de passer la tête au Japon avec la JAL et elle fait les entrefilets des journaux quotidiennement aux Etats-Unis. 

L’année 2010 et les suivantes seront pleines de pièges. Pourquoi? Parce que, systématiquement, l’attention est détournée, les attentes sont biaisées, truquées, mystifiées. On focalise l’attention sur des résultats, sur des succès intermédiaires qui ne sont pas significatifs et qui induisent en erreur. Ceci permet de poursuivre dans la voie qui a été choisie et de durer. 

Méfiez-vous du fameux mythe de la croissance auto-entretenue que l’on a ressortie récemment. Les «green shoots» ont bien marché, et pourquoi se priver de refaire le même coup avec la croissance auto-entretenue. Grâce à la trouvaille des «green shoots», la machine boursière a pu être relancée. Les relais ont pu être trouvés aux achats initiaux manipulatoires. Le successeur de ces pousses vertes, il faut bien le reconnaître poussées tout à fait artificiellement en serres, c’est le grand champ de la croissance auto-entretenue. Quand les «green shoots» auront pris racine, on dira que l’on est sur la bonne voie et l’on fera miroiter la fin des artifices, la nécessité de réduire les déficits et de régulariser la gestion monétaire. Ce sera le grand moment critique. Et nous pensons que ce sera en cours d’année 2010. C’est alors que tombera la grande épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des marchés. C’est alors que ceux qui ont fait la contrepartie des émissions obligataires colossales historiques réalisées en 2008, c’est alors qu’ils seront spoliés. C’est alors qu’ils viendront, au plus haut, sur le marché des actions faire la contrepartie du système bancaire, des banques d’investissements et des entreprises qui leur vendront l’espoir de cette fameuse reprise auto-entretenue. Elle sera auto-entretenue, n’est-ce pas, cette reprise, puisqu’on vous le dit. Et bien non, elle ne sera pas auto-entretenue, elle sera comme celle de 2003, artificielle, maligne. Elle sera toute aussi gourmande en endettements, toute aussi gourmande en risques et en dysfonctionnements. Elle finira de la même manière. Mais de façon précipitée car tout, dans le monde moderne, se joue en accéléré.

BRUNO BERTEZ JANV10

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Bruno Bertez : Lord Keynes patron de casino (cliquez sur le lien)

5 réponses »

  1. Le choix de rétablir le système financier dans le monde est une décision de bon sens, cela évite aux riches de ne plus pouvoir financer les plus pauvres, pour permettre aux Etats de pouvoir survivre.

Laisser un commentaire