Art de la guerre monétaire et économique

Chine : Les investissements chinois s’internationalisent….

La Chine a continué d’accroître ses investissements internationaux l’an dernier, plaçant plus de 43 milliards de dollars hors de ses frontières dans le secteur non financier au cours de cette année ayant vu la troisième économie faire vaillamment front à la crise mondiale. Les investissements chinois à l’étranger, hors secteur financier, qui ont été multipliés par plus de six depuis 2005, ont atteint 43,3 milliards de dollars en 2009, en progression de 6,5% en glissement annuel, a annoncé vendredi le ministère du Commerce.

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Plus de 40% de ces investissements ont pris la forme de fusions et acquisitions, soit 17,5 milliards de dollars, selon le ministère.

Or, selon les experts, la hausse des fusions et acquisitions à l’étranger ne peut que se renforcer.

On peut «s’attendre à une croissance de 40% en 2010 des flots sortants, à mesure que les acheteurs chinois gagnent en confiance», écrivaient les analystes du cabinet Pricewaterhouse- Coopers dans un récent rapport sur les fusions et acquisitions de la Chine.

 Déjà en 2009, la Chine et ses entreprises ont profité de la baisse des prix des actifs et de la bonne santé de l’économie nationale, qui même au plus fort de son ralentissement, au premier trimestre, croissait encore de 6,1% sur un an.

Par contraste, les sociétés du monde entier réduisaient leurs achats à l’international du fait de la crise: «le volume des acquisitions dans le monde a été au plus bas depuis 2004» l’an dernier, chutant de 24% en glissement annuel à quelque 2.400 milliards de dollars, tous secteurs confondus, selon le cabinet Dealogic.

En Chine, les entreprises ont obéi au mot d’ordre de Pékin: «internationalisez- vous», encouragées par des mesures prises par le gouvernement, comme l’assouplissement des procédures d’investissements à l’étranger.

Elle font feu de tout bois: en novembre, après l’éclatement de la crise de la dette de Dubai, un haut responsable officiel y voyait une «occasion d’investissement pour la Chine, qui utiliserait une partie de ses réserves de change pour acheter des réserves de pétrole et d’or».

Depuis peu, elles tentent même de prendre pied dans un secteur où les analystes ne les attendaient pas : l’automobile. Des 4×4 Hummer (groupe General Motor) au suédois Volvo (filiale de Ford), les repreneurs pressentis sont chinois. Selon le ministère du Commerce, les domaines de la «technologie avancée, de la distribution, des matières premières et de l’énergie» ont conservé leurs faveurs l’an dernier.

Mais les plus grandes opérations sont restées dans les ressources naturelles, à commencer par la plus importante, le rachat par le géant Sinopec, premier raffineur d’Asie, du canadien Addax Petroleum pour 7,2 milliards de dollars américains.

Le rachat d’Addax constituait la deuxième plus grosse opération d’une entreprise chinoise depuis 2005, selon un classement Dealogic transmis vendredi à l’AFP.

La première avait été réalisée en 2008, avec l’entrée au capital de Rio Tinto du géant chinois de l’aluminium Chinalco, allié alors avec le groupe américain Alcoa.

EN COMPLEMENT :

La guerre économique contre la Chine est déclarée

 Première partie: l’inquiétante montée de la sinophobie.

On ne rencontre plus un chef de grande entreprise sans qu’il confie: «Le vrai problème, c’est la Chine.» Le milieu des affaires français devient sinophobe. La transformation a été rapide. Il y a deux ans, un an encore, les chefs d’entreprises n’avaient que le mot «Chine» dans leurs plans d’investissements et dans leurs agendas. Ils avaient une admiration sans borne pour les  autorités de Pékin qui ont su conduire, sans erreur, la modernisation du si vaste et explosif Empire du Milieu, et qu’importait en vérité, devant cette réussite, que le pouvoir fut communiste et brutal avec les opposants. Aujourd’hui, cette admiration demeure, les entreprises françaises rêvent encore de Chine, d’y aller, d’y investir, d’y vendre.  Mais concernant les attitudes du gouvernement de Pékin, elles trouvent désormais que «trop, c’est trop».

Google, ce héros

Google est devenu leur héros en une journée. Que le géant de l’Internet ait osé se lever pour dénoncer les «attaques» (cliquez sur le lien) dont son moteur de recherche informatique a fait l’objet et qu’il accuse, sans se cacher, le pouvoir chinois, voilà qui les réconfortent! Enfin! Enfin, une firme occidentale tient tête et refuse de s’agenouiller! Bravo pour ce courage de dire «non!»  Non, aux censures, non au pillage et à la contre-façon généralisée (cliquez sur le lien), non aux impositions de partenaires chinois obligés, non à la corruption, non à l’absence d’Etat de droit et d’équité! Cela suffit! Dans l’ensemble de la communauté des grandes firmes internationales, pas seulement les françaises, le geste de Google est salué comme un très important coup de poing sur la table. Aucun autre groupe n’aura la force et le culot de faire comme Google, mais son geste rencontre l’assentiment unanime. «Il y a une frustration croissante parmi les entreprises faisant des affaires en Chine», explique John Neuffer, vice-président de l’Information Technology Industry Council aux Echos (cliquez sur le lien).

Toutes les grandes multinationales sont venues en Chine attirées par le marché de 1,3 milliard d’individus. Toutes ont accepté en échange les exigences imposées par les autorités, le jeu en valait largement  la chandelle. Elles sont passées sur les mille tracas, les pertes financières lourdes et répétées et, le pire, les humiliations systématiques et permanentes. On ne renonce pas à l’Eldorado.

La Chine, de son côté, s’est voulue accueillante dans les années 1980 et 1990. Ses propres conglomérats hérités du passé maoïste étaient incapables de fournir les produits exportables aux Etats-Unis et en Europe. Pour suivre sa stratégie de développement «par l’export», celle que la Chine empruntait à partir de 1979 après le Japon, la Corée puis tous les «tigres du sud-est asiatique», Pékin avait besoin du savoir-faire étranger, des technologies, des normes de qualité, des méthodes de productivité. Elle devait en passer par une certaine ouverture pour parcourir au plus vite la «courbe d’apprentissage» du rattrapage économique.

Cette ouverture était calculée. La Chine est la Chine, il fallait garder la main, imposer des joint-ventures avec des sociétés chinoises, s’inspirer, étudier et copier les savoir-faire, voire les produits eux-mêmes, sans s’embarrasser outre-mesure des droits de propriété et des copyrights. L’affaire Danone (cliquez sur le lien) a montré combien ce type d’ouverture «à la chinoise» était difficile à vivre pour les firmes étrangères, soumises à une compétition inégale et illégale avec la complicité totale mais opaque du pouvoir.

La crise du «modèle« occidental

 Les optimistes plaidaient que ce jeu chinois était normal et justifié. Viendra le temps, disaient-ils, où, grâce à la croissance et la hausse des niveaux de vie, les entreprises chinoises exigeront elles-mêmes une concurrence plus loyale et une lutte contre la  corruption. Tout est question de «phase» dans le développement, la Chine étant, comme les Etats-Unis vers 1880, dans une période où les règles et les lois sont en retard. Même considération sur la démocratie au sens large : le bien-être matériel finira par l’imposer, le système chinois va acclimater inévitablement les règles de droit. L’économie précède la politique, comme a dit Marx. Les firmes occidentales doivent être patientes, attendre que peu à peu le droit s’installe, que peu à peu la Chine importe un comportement capitaliste loyal. Son entrée dans l’OMC (cliquez sur le lien) (Organisation mondiale du commerce) prouve qu’elle veut s’intégrer dans l’économie mondialisée, en finissant forcément par en adopter les règles.

Puis, la crise est venue. La plus forte depuis cinquante ans. Elle est venue du capitalisme américain, de ses excès financiers, de son absence de règles et de régulation. Le coupable est le modèle occidental, l’«ultra-libéralisme». Ce ne sont pas les Chinois qui le disent, mais les Européens et les Américains le reconnaissent. Or, le pouvoir à Pékin a eu très peur. Cette crise «occidentale» a failli rompre les 30 ans de développement ininterrompus. Fin 2008, la production industrielle partait en vrille, des centaines de milliers d’ouvriers, sans plus de travail, quittaient les côtes et reprenaient le chemin des campagnes. Sans le plan de relance massif  (12% du PIB!, six fois plus que la France!) décidé par le gouvernement, la Chine était sur le chemin de la récession comme les économies développées. Avec des conséquences sociales et politiques incalculables pour le régime communiste. Heureusement, le plan a fonctionné et la croissance est repartie vers les 10% en 2009. Mais ce sauvetage, souligne-t-on à Pékin, ne soit rien aux Américains, ni aux Européens, ni même au FMI (Fonds monétaire international). Il doit tout à la Chine elle-même.

D’où un changement de cap et surtout de ton: les Occidentaux ne doivent plus donner la moindre leçon, leur «modèle», celui qu’ils nous demandent d’importer, est un échec manifeste. Il a failli. Le processus d’acclimatation progressive doit donc s’arrêter. L’Empire doit, certes, continuer d’accepter les firmes étrangères, mais avec une volonté raffermie de les plier aux conditions chinoises. Le nationalisme sort partout vainqueur de la crise, mais en Chine il prend la taille du pays.

Or, la Chine a gagné en autonomie. Elle peut reprendre ses marques vis-à-vis des normes occidentales. D’abord parce qu’un chemin considérable a été parcouru en trente ans, l’Empire ne pesait encore que 7% du PIB mondial en 2000 (en parités de pouvoir d’achat), il en représentera 14% en 2011, soit autant que la zone euro (15%) et presque autant que les Etats-Unis (20%) (la lettre de Coe-Rexecode 1er janvier 2010 (cliquez sur le lien). La Chine produit 45% de l’acier mondial, elle est le premier marché automobile du monde, elle a dépassé l’Allemagne comme premier exportateur.

Et, deuxième changement, cette puissance a redéfini le paysage économique asiatique. La Chine est la locomotive de l’Asie, laquelle se consolide sur elle-même et devient la seule région du monde à croissance forte. Au 1er janvier a été mise en place la zone de libre-échange Asean-Chine, regroupant 1,6 milliard d’individus, produisant 6.000 milliards de dollars de PIB et s’échangeant 4.500 milliards de produits ce qui constitue le plus grand regroupement de pays émergents (7.000 produits échangés sans droit de douane). Un fonds de réserves de change a été créé en parallèle, amorce d’une coopération monétaire et financière.

La leçon chinoise

Dans le même temps, troisième facteur qui permet le discours d’autonomie, la Chine a assuré ses besoins en matières premières et en énergie. L’oléoduc Espo (East Siberia-Pacific Ocean) d’une capacité de 600.000 barils/jour a été inauguré le mois dernier: il marque la signature d’une nouvelle alliance avec la Russie, qui, elle, trouve en regardant vers l’Asie un moyen de montrer aux Européens qu’ils ne sont pas ses seuls clients. Les pays du Golfe ont les mêmes réflexes de tourner leurs regards vers l’Asie et la Chine qui deviennent leurs gros débouchés. Enfin, le fonds souverain  CIC a dépensé 43 milliards de dollars en 2009 pour sécuriser l’accès aux minerais, en Australie comme en Afrique.

En clair, la Chine a les moyens de parler haut, de plus en plus haut. Elle peut se dégager des influences occidentales et affirmer clairement «ses réticences à s’intégrer complètement dans un ordre  multilatéral à l’élaboration duquel elle n’a pas contribué», comme le note Jacques Mistral («L’Amérique et le défi chinois», Ifri (cliquez sur le lien).

La crise débouche sur un resserrement asiatique sous l’égide de Pékin. Les Occidentaux, dont on a aujourd’hui moins besoin, sont repoussés. Google fait des histoires? Refuse que l’on farfouille dans ses fichiers pour y espionner les dissidents? Qu’il parte! Baidu, le moteur de recherche Internet chinois a gagné 60% de part de marché. Une victoire nationale saluée comme telle. La Chine croit pouvoir se passer de Google. Les grandes firmes occidentales, qui espéraient que leurs conditions d’implantation allaient progressivement s’assouplir, sont tentées de comprendre qu’il n’en sera rien. La sinophobie a de beaux jours devant elle.

Eric Le Boucher slate janv10

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