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Déficit public: les leçons de l’expérience canadienne

La dette fédérale par citoyen canadien et ajustée pour l’inflation a été réduite de 42% en 2008 par rapport à son sommet en 1996. Les frais pour servir la dette ont également fondu…

« Dans beaucoup de pays, comme en France, les «clientèles» politiques bloquent systématiquement toute réforme de l’Etat et toute diminution des dépenses publiques dont elles profitent. »

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Facile et tentant pour les hommes politiques de laisser filer les déficits et de creuser la dette publique. Aucun pays n’est à l’abri. En France par exemple, le déficit prévu par le gouvernement pour 2010 correspond à plus du tiers du budget général avec une dette publique qui se creuse à un rythme alarmant. La tendance est la même ailleurs. Selon l’agence Moody’s, la dette des différents Etats devrait ainsi passer de 63% du PIB mondial en 2008 à 80% en 2010.

Il faut cependant réfléchir à deux fois avant de s’adonner à ce «jeu» facile.

Car c’est un jeu dangereux. A défaut de maîtriser la dette publique, les gouvernements prennent le risque de mener leur pays à la faillite. Les exemples de la Grèce et de l’Islande indiquent que le risque est bien réel. D’autres pays ne seront sans doute pas épargnés dans les prochaines années. Pour éviter d’y faire face, il faudra dans de nombreux pays de l’OCDE, y compris en France, maîtriser les dépenses afin de stopper le dérapage actuel des déficits et de la dette publique.

Mais comme le montre l’expérience fédérale canadienne, une telle maîtrise – bien que théoriquement envisageable – se fait en pratique au prix d’efforts exceptionnels. Son caractère durable reste cependant encore à démontrer dans la mesure où, avec les plans de relance actuels, des déficits sont réapparus et la dette publique est repartie à la hausse.

Rappelons ce qui s’est passé dans ce pays.

Après la crise de 1973-74, les gouvernements fédéraux avaient laissé les uns après les autres filer leurs déficits. Pendant les deux décennies qui ont suivi, les dépenses fédérales per capita et en tenant compte du taux d’inflation ont ainsi augmenté de 60% et sont restées systématiquement supérieures aux recettes.

Ces déficits n’ont pas manqué de gonfler la dette fédérale. Par habitant et ajustée au taux d’inflation, elle a été multipliée par quatre entre 1974 et 1996, année pendant laquelle elle a atteint son sommet.

Plus d’un tiers du budget fédéral était alors alloué aux frais de la dette durant la première moitié des années 1990. Selon l’OCDE, la dette brute canadienne – dont la part fédérale constituait la majeure partie – se montait alors à plus de 100% du PIB. Afin de ne pas hypothéquer l’avenir économique des Canadiens, le gouvernement fédéral devait réagir.

Dans beaucoup de pays, comme en France, les «clientèles» politiques bloquent systématiquement toute réforme de l’Etat et toute diminution des dépenses publiques dont elles profitent. Au Canada, le gouvernement fédéral élu en 1993 avait en revanche proposé, à l’instar d’ailleurs des autres partis politiques durant la campagne électorale, d’assainir les finances.

Les promesses politiques ne sont souvent pas tenues et, pourtant, elles l’ont été cette fois en partie. Un «coup de frein» a en effet été donné aux dépenses fédérales, notamment entre 1995 et 1998.

Un réexamen des programmes fédéraux fut lancé avec des coupes importantes à la clé. La plupart des ministères ont été «mis au régime».

Les dépenses de programmes – i.e. les dépenses publiques fédérales hors charge de la dette – ont ainsi connu une baisse réelle. En dollars courants, c’est-à-dire sans tenir compte de l’inflation, elles sont passées de plus de 120 milliards de dollars canadiens en 1993-94 à 104,8 milliards en 1996-97, soit une baisse de 12,6%.

Parallèlement, la baisse des dépenses s’est accompagnée de recettes budgétaires plus importantes, dues en partie à la croissance économique, mais aussi à de nouvelles levées fiscales. La suppression de certains avantages fiscaux, une augmentation de la taxe sur l’essence et du fardeau fiscal, notamment pour les grandes entreprises ou encore les banques, ont été imposées dans le budget de 1995. Le secteur privé et les particuliers ont donc dû également se serrer la ceinture pour que les finances publiques soient assainies!

Résultat?

Les déficits ont effectivement été réduits au point de disparaître au cours de l’exercice budgétaire 97-98, une première en trente ans. Les excédents se sont succédé: en 2007-2008, le Canada enregistrait son onzième budget excédentaire consécutif.

La dette fédérale par citoyen canadien et ajustée pour l’inflation a été réduite de 42% en 2008 par rapport à son sommet en 1996. Les frais pour servir la dette ont également fondu: en 2007 ils correspondaient à environ 13% des recettes, soit un niveau largement inférieur au niveau d’avant les réformes.

La crise actuelle met cependant cette expérience canadienne à l’épreuve. Ainsi, depuis la crise et les plans de relance de 2008-2009, les déficits ont refait surface et la dette fédérale canadienne est repartie à la hausse. La Fédération canadienne des contribuables (Canadian Taxpayers Federation) souligne à ce titre que selon les propres estimations du gouvernement canadien, les seules augmentations de cette dette dans les deux prochaines années seront équivalentes aux remboursements effectués depuis huit ans pour la faire diminuer.

Quelles leçons tirer en bout de ligne de l’expérience canadienne?

Elle montre qu’il n’est pas impossible de réduire la dette publique, du moins sur une période d’une quinzaine d’années. Mais cela nécessite des efforts considérables et une réelle volonté politique de maîtrise des dépenses gouvernementales, souvent absente notamment dans des pays comme la France.

Cette maîtrise est d’autant plus difficile que laisser filer ces dépenses est l’un des moyens de prédilection des hommes politiques pour se faire réélire et que la crise économique actuelle leur sert de prétexte «idéal» à cet égard. Ils pourraient bien ainsi refuser tout assainissement des finances publiques avant qu’il ne soit trop tard.

Reste que leur dégradation récente et les engagements futurs non capitalisés des régimes de retraite dans la plupart des pays de l’OCDE rendent l’objectif impératif. Les gouvernements devraient donc d’ores et déjà envisager sérieusement de maîtriser leurs dépenses au lieu de continuer à creuser la dette comme ils le font. Faute de quoi, ils risquent de mener leurs pays tout droit à la faillite!

Par Valentin Petkantchin jan10

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3 réponses »

  1. la politique de la France se décide à la corbeille. Autrement dit, la France n’a plus de politique économique. C’est le triomphe de l’anti-étatisme primaire, l’avènement d’un néo-féodalisme financier. Un Etat qui privatise sa monnaie, c’est un peu comme un violoniste qui casse son archet : totalement aberrant.

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