L'Etat dans tous ses états, ses impots et Nous

L’impôt peut-il changer le comportement des banquiers?

Un nouvel impôt sur les institutions les plus grandes et les plus interconnectées se justifie en raison de la garantie explicite de sauvetage par l’Etat (subvention déguisée). Il serait normal que cette assurance vie ait un prix

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Les injections de liquidités des banques centrales ont été si massives et les taux si bas que cette subvention a permis aux banques d’accroître leurs activités de marché – ce qui n’était pas désirable –et leur bénéfice net – ce qui l’était. Le fitness a tellement dépassé les attentes que les bénéfices et les bonus 2009 font à nouveau scandale. JP Morgan a ouvert les feux avec un bénéfice de 11,7 milliards. On attend avec gourmandise la suite de ce théâtre de l’absurde.

Entre parenthèses, la banque qui présentera le plus grand bénéfice 2009 est l’institut qui a causé la bulle immobilière, hypothécaire et boursière: la Réserve fédérale. Son bénéfice 2009 s’élève à 52 milliards de dollars si bien qu’elle versera 14 milliards de plus au Trésor qu’en 2008.

L’Etat a donc donné aux banques les moyens de s’enrichir. Mais le soutien a assez duré et il est temps de payer les pots cassés. Les bonus et les bénéfices sont des cibles idéales pour financer la remise en forme des budgets.

Mais deux questions demeurent. L’impôt est-il l’instrument adéquat? Et permet-il de résoudre le problème central du système financier qu’est l’aléa moral? Cet aléa moral («too big to fail») encourage les banques à prendre des risques excessifs puisque l’Etat les a assurées de leur soutien en cas de malheur.

Un an et demi après Lehman Brothers, la situation s’est aggravée sur bien des points: les taux d’intérêt qui étaient déjà trop bas sont quasi nuls. La garantie implicite de sauvetage gouvernemental est devenue explicite. Et les grandes banques sont encore plus grandes. L’échec de l’Etat est «clairement documenté», ainsi que l’écrivent les économistes bâlois Silvio Borner et Frank Bodmer, dans un livre aussi pédagogique que constructif sur les leçons de la crise*.

Un nouvel impôt sur les institutions les plus grandes et les plus interconnectées se justifierait en raison de la garantie explicite de sauvetage par l’Etat (subvention déguisée). Il serait normal qu’une assurance vie ait un prix.

Pour remédier à l’aléa moral, les autorités internationales promettent des mesures d’ici à octobre prochain. Mais pour l’instant le Comité de stabilité financière débat encore des critères qui définissent ce qu’est une grande banque et une banque «interconnectée». Konrad Hummler, président de l’Association des banquiers privés, déplorait aussi, dimanche, l’absence de progrès sur ce thème majeur.

Mais il serait étonnant qu’au terme des réflexions l’Etat décide d’abandonner son pouvoir de sauver une grande banque. Demandez à Obama, Sarkozy, Bernanke et Trichet s’ils veulent réduire leur pouvoir! On s’époumonera, on cassera du banquier, on invectivera, on réglementera les détails les plus microscopiques lors des réunions les plus médiatiques. Mais sur la possibilité pour les banques de faire faillite sans créer une crise économique, rien ne changera. «Pour l’Etat, il restera plus attractif à court terme de sauver une banque que de laisser une crise suivre son cours», écrivent les deux Bâlois. Mais les conditions du sauvetage doivent décourager les banques de prendre trop de risques.

Il existe une voie indirecte: l’impôt. Les banques paient quantité d’impôts, mais pas sur l’aléa moral.

Greg Mankiw, ancien chef des conseillers économiques de la Maison-Blanche, soutient cette idée. «Elle ne peut être parfaite mais ce serait mieux que rien», écrit-il. Pour les deux économistes bâlois, il serait impossible pour des raisons pratiques de prélever un impôt qui soit vraiment fonction des risques. Les problèmes pratiques de mesure du risque sont trop nombreux. La détermination de cette assurance vie est impossible.

 La nouvelle taxe Obama («commission de responsabilité pour la crise financière») est la facture destinée aux fonds mis à disposition dans le cadre du plan TARP (actifs toxiques). Or ces fonds ont été remboursés et le contribuable fera un bénéfice sur ces achats. C’est une initiative d’autant plus démagogique qu’elle frappe Wall Street, mais ignore Fannie Mae, Freddie Mac et AIG. Comme l’écrit la NZZ, «c’est un impôt qui s’adresse aux sentiments et non pas à la raison». De toute manière, il ne s’attaque en rien à l’aléa moral. Une idée fiscale mieux réfléchie et moins populiste consisterait à remplacer l’impôt sur les sociétés par un impôt sur la taille des institutions et qui augmenterait en fonction de l’endettement (leverage). L’impôt serait nul si l’endettement était inférieur aux normes établies.

 Malheureusement entre les idées des économistes et les décisions politiques, il y a l’agenda politique. Ce dernier ne fera pas dans la dentelle et préférera l’effet politique maximum à un objectif économique optimum.

Les deux économistes bâlois privilégient un changement plus prometteur, une réforme des incitations de tous les acteurs. Le prix d’un sauvetage d’une banque doit apparaître exorbitant pour l’actionnaire, le management et le détenteur d’obligations.

Si le pool des bonus est mis à contribution pour combler les pertes, le management pourra enfin se sentir responsable des risques encourus et constituer des réserves lorsque la conjoncture est favorable. Si les actionnaires subissent une violente réduction de la valeur nominale des actions en cas de sauvetage et que leurs avoirs tombent à zéro, ils seront attentifs à leurs choix.

Après le triste week-end de septembre 2008 où le privé, en l’occurrence les grandes banques, a failli à ses responsabilités et confié les clés de la finance à Washington, l’espoir ne porte que sur un système d’incitations qui place la responsabilité individuelle au premier rang. Faudra-t-il une faillite d’un Etat souverain à la suite de la méfiance envers les monnaies ou les déficits budgétaires pour y arriver?

* Frank Bodmer, Silvio Bodmer, Crash, Marktversagen-Staatsversagen, 156 pages, Rüegger Verlag, 2010.

Par Emmanuel Garessus le temps  jan 2010

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