Behaviorisme et Finance Comportementale

André Gosselin / L’esprit de clocher des investisseurs : avantage ou inconvénient ?

Les sites Internet financiers nous en apprennent beaucoup sur les comportements des investisseurs.

 Sur les sites lesaffaires.com et cyberpresse.ca, on trouve à chaque jour la liste des dix titres les plus consultés par les investisseurs cybernautes (on consulte ces titres pour connaître l’évolution du cours de leur action ou pour lire les articles et communiqués de presse les concernant). Neuf fois sur dix, il s’agit d’entreprises canadiennes, et sept fois sur dix au moins, ce sont des entreprises québécoises.

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Les investisseurs du Québec, du Canada, des Etats-Unis, de France et d’ailleurs seraient-ils nationalistes et patriotiques en matière d’investissement ?

Adhèrent-ils à la philosophie du « acheter chez nous », comme le proposaient à une certaine époque les syndicats quand ils croyaient dur comme fer que d’acheter des biens et services d’ici, c’était la meilleure façon de conserver les emplois au pays ?

 Si les investisseurs professionnels ou amateurs ont une préférence pour les compagnies de leur coin de pays, un biais local (« home bias » comme disent les économistes financiers américains), est-ce que les avantages sont supérieurs aux inconvénients ?

Dans tous les pays, les investisseurs préfèrent acheter des titres de compagnies locales plutôt qu’étrangères.

 Aux Etats-Unis et au Canada, comme dans la plupart des autres pays avancés, la pratique de l’investissement a aussi une forte coloration régionale. Les investisseurs de la Californie (un état à forte concentration de compagnies de haute technologie) ont plus tendance que les investisseurs des autres états américains à investir dans les titres de haute technologie. Les investisseurs de la ville de New York, en raison de la forte présence de sociétés financières dans cette ville, ont plus tendance à investir dans les titres du secteur financier. Au Canada, les investisseurs de l’Alberta ont une forte attirance pour les sociétés pétrolières, et les investisseurs de l’Abitibi au Québec sont friands de compagnies minières.

Chez les Américains, la détention de titres de compagnies américaines est la norme.

 Une étude de French et Poterba évalue à 92,2 le pourcentage d’actions de sociétés américaines dans le portefeuille des investisseurs des États-Unis. Quand on regarde du côté des quatre autres plus grands marchés boursiers de la planète, la préférence pour des titres de compagnies locales est tout aussi forte : 95,7 % de titres japonais dans le portefeuille des Japonais, 92 % de titres anglais dans le portefeuille des Anglais, 89,4 % d’actions françaises dans le portefeuille des Français et 79 % d’actions allemandes dans le portefeuille des Allemands.

Malgré la proximité et l’accessibilité du vaste marché américain, je ne serais pas surpris si on me disait que les portefeuilles des investisseurs canadiens et québécois (en dehors de leur REER) sont composés à plus de 80 % par des titres canadiens et québécois.

D’un strict point de vue risque/rendement, on ne peut pas dire que les investisseurs particuliers respectent les principes de la diversification internationale du portefeuille. Pourtant, on a assez bien démontré que la diversification internationale du portefeuille augmente son rendement.  

L’esprit de clocher observé chez les investisseurs individuels ne leur serait pas propre. On le retrouve aussi, quoique à un moindre degré, chez les investisseurs institutionnels.

L’étude de Chan et Covrig (2004) auprès de 26 pays développés ou en voie de développement a montré que les gestionnaires de fonds communs de tous les pays, sans exception, ont un fort penchant pour les compagnies domestiques ; penchant qui, selon les deux chercheurs, est franchement disproportionné dans une perspective de bonne diversification.

Aux Etats-Unis, les gestionnaires de fonds mutuels ont une attirance pour les compagnies qui se trouvent dans leur ville, leur région ou leur état. Cette stratégie leur réussirait d’ailleurs très bien, car ces titres performeraient mieux que ceux des compagnies situées dans les villes et états plus éloignés (Coval et Moskowitz, 1999).

On a observé la même chose chez les investisseurs individuels américains. Les titres des compagnies locales dans leur portefeuille (compagnies situées dans un périmètre de proximité ne dépassant pas 250 miles du lieu de résidence) performent mieux que les titres des compagnies non locales par une marge de 3,2 points de pourcentage par année en moyenne (Ivkovic et Weisbenner, 2003). Ce gain est d’autant plus important qu’on sait que plus de 30 % des titres détenus par les Américains sont ceux de compagnies situées dans ce périmètre de proximité de 250 miles.

Deux explications

On compte une bonne vingtaine d’études sur ce phénomène de biais local observé dans tous les marchés développés de la planète. Avant les années 1980, ce favoritisme local chez les investisseurs s’expliquait essentiellement par les contraintes et barrières technologiques et légales qu’on rencontrait quand venait le temps d’investir à l’étranger. Aujourd’hui, les économistes financiers cherchent d’autres raisons pour expliquer ce comportement des investisseurs.

J’hésiterais à dire que l’esprit de clocher des investisseurs repose sur des motivations nationalistes ou patriotiques. Les investisseurs cherchent à satisfaire leurs intérêts d’abord, avant de penser à ceux des travailleurs ou de leur pays. Et la perception qu’ils se font de leurs intérêts les pousse à favoriser les compagnies de leur région avant de regarder chez le voisin.

Cette attitude du « acheter-chez-moi-d’abord » est surtout le résultat d’un effet de proximité ou d’un sentiment de connaissance : nous préférons les titres de compagnies québécoises parce que les médias québécois en parlent davantage, parce qu’on a de grandes chances de consommer leurs produits et leurs services, parce qu’on connaît un plus grand nombre de personnes qui travaillent chez Bombardier,  Quebecor ou Jean Coutu, que chez Boeing,  ou Walgreen, parce que leurs émissions d’actions sont faites par nos banques et institutions financières, parce qu’elles diffusent leurs informations financières autant en français qu’en anglais, parce qu’on est plus exposé à leurs messages publicitaires, et enfin parce qu’on a le sentiment que le gouvernement et les autorités réglementaires québécoises peuvent mieux protéger nos droits et intérêts par rapport à nos compagnies que par rapport aux compagnies américaines, françaises ou japonaises.

Bref, on aime les compagnies de chez nous parce qu’on a l’impression qu’on les connaît mieux. Et comme on les connaît mieux, on obtient de meilleurs rendements quand on croit bon les acheter.

Est-ce que les meilleurs rendements que l’on obtient sur nos titres domestiques (ou les titres des compagnies de notre région) s’expliquent seulement par la meilleure connaissance que nous en avons ? Certains chercheurs en doutent.

Partout en Occident, les investisseurs individuels ne semblent pas gérer leurs portefeuilles de titres étrangers de la même façon ou avec la même approche que leurs portefeuilles de titres domestiques. Une étude de Tesar et Werner publiée en 1995 montre que chez les investisseurs individuels canadiens, le roulement de leurs titres étrangers est dix fois plus élevé que le roulement de leurs titres domestiques. Chez nos voisins américains, le taux de roulement de leurs portefeuilles de titres étrangers est deux fois plus élevé que celui sur leurs portefeuilles de titres domestiques.

On sait que le taux de transaction réalisé sur un portefeuille n’est pas sans effet sur son rendement.

 Les chercheurs californiens Odean et Barber ont montré que plus les investisseurs multiplient les transactions sur leurs portefeuilles, moins bons sont leurs rendements. C’est essentiellement pour cette raison si les femmes réalisent de meilleurs rendements que les hommes ; elles n’ont pas la manie de transiger aussi fréquemment que les hommes.

Ainsi, les meilleurs rendements que l’on obtient sur nos portefeuilles de titres domestiques s’expliqueraient tout simplement par le fait qu’on a une approche « buy-and-hold » sur le plan local ou domestique, tandis qu’on adopte une approche plus « spéculative » ou agressive sur le plan international.

Malgré la globalisation des marchés financiers et la déréglementation qu’on a connue dans la plupart des démocraties libérales, l’investisseur individuel demeure encore très frileux quand vient le temps d’acheter des titres de compagnies étrangères. La langue, la culture et la distance seront toujours, pour plusieurs, des barrières pénibles à franchir.

Chronique d’André Gosselin chercheur et analyste canadien parue dans Finance et Investissement

 

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