Analyse Technique

Bruno Bertez : Le vain marketing financier d’Obama

 La récente offensive n’empêchera pas d’ici quelques temps la reprise de la tendance haussière…..

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 A force de jouer les prolongations, on s’essouffle. La fatigue venant, les risques d’accident augmentent. Et il suffit d’un choc, même petit, pour que l’accident se produise et que quelque chose casse. C’est vrai pour les sportifs, c’est vrai aussi pour les investisseurs, même et surtout ceux de haut niveau.

Depuis la mi-octobre, les marchés d’actions plafonnent. Ils s’accrochent, ils luttent pour inscrire des sommets marginaux. Mais, trop c’est trop, et quand les relais ne viennent pas, il y a bien un moment où il faut lâcher prise. Au prix d’un dernier sursaut, d’un dernier coup de rein, un drapeau a été planté sur un dernier pic début janvier. Une belle victoire qui, nous l’avons écrit, a permis, en termes techniques, d’ouvrir la route, pour une autre course bien sûr, d’ouvrir la route des 1240/1280 à l’indice S & P500. Devoir accompli, la route est ouverte, la retraite est maintenant possible.

Le travail ainsi accompli, le S & P500 peut reprendre ses forces, éliminer les toxines. On a clairement cassé. On a cassé la moyenne mobile courte, celle des 20 bourses. On a cassé la moyenne mobile moins courte, celle des 50. Cela veut dire que la hausse est interrompue, qu’une correction est en cours. Nous ne sommes plus sur la lancée du grand rally de mars 2009, ce grand rally de l’espoir.

Depuis la mi-octobre, le marché s’étiole. Les volumes sont insuffisants. Les divergences se multiplient. L’analyse technique indique clairement une distribution persistante, même si elle est effectuée avec doigté. Chaque fois que la tendance menace de devenir trop faible, la pression vendeur se relâche. Il est évident que les sponsors du marché attendaient un relais. Le relais des bonnes nouvelles sur les résultats de sociétés; le relais de la saisonnalité généralement favorable pendant les quatre premiers mois de l’année. Hélas, de relais, il n’y eut point. Les résultats de sociétés, tout en étant plutôt bons, n’ont pas été vraiment meilleurs que prévu. Les nouvelles économiques ont été irrégulières, voire médiocres, tant que côté du housing que côté des ventes au détail ou du côté de la demande de crédit. L’amélioration qui avait été espérée sur l’emploi ne s’est pas confirmée. Pour couronner le tout, la Chine est passée de la parole aux actes en prenant quelques mesures pour monter les taux et contrôler le dérapage du crédit.

Un marché fatigué et fragile, un flux de nouvelles clairement négatif, il ne manquait plus qu’un environnement dégradé pour que les cours deviennent franchement vulnérables. Et l’environnement s’est franchement dégradé: poursuite de la hausse du dollar, élargissement des spreads de risque, tensions sur les credit default swaps corporate et souverains, tensions sur les assurances de contrepartie, faiblesse des commodities et du pétrole… la totale!

C’est dans ce contexte que nous qualifierions de critique, sur un terrain déjà miné qu’Obama a lancé sa bombe. Ou plus exactement que le Général Obama a décidé… de se tirer une balle dans le pied.

Il a annoncé sans préparation, sans concertation, son ralliement à ce que l’on appelle la Volcker Rule.

Selon le communiqué officiel du 21 janvier, Obama veut 1) limiter le champ d’action des banques 2) limiter leur taille.

Limiter le champ d’action, cela veut dire qu’aucune banque ou institution financière qui possède une banque ne pourra être propriétaire, ne pourra être investisseur ou ne pourra parrainer un hedge fund ou un private equity fund. Toute opération de trading pour compte propre non reliée à un service à la clientèle sera interdite.

Limiter la taille, cela veut dire que des limites seront mises à la croissance excessive de la part de marché des banques, et de leur passif, en plus des limites qui existent déjà sur leur part de marché dans les dépôts.

Cette annonce a été faite sans préparation. En effet, dans Business Week du 30 décembre, alors qu’il était interrogé par Charlie Rose, Volcker regrettait que le Président ne se soit pas rallié à ses propositions et il s’accusait de ne pas avoir été assez persuasif. Il n’était donc pas question, trois semaines avant, d’un quelconque retour à la Volcker Rule et au Narrow Banking.

Cette annonce a été faite sans concertation. Geithner était interrogé le même jour par Judy Woodruff dans l’émission Newshour. Il s’est avéré totalement incapable de commenter le projet d’Obama. Les quelques phrases qu’il a pu prononcer sur le sujet se sont avérées en contradiction complète avec le communiqué du Président en particulier sur la question de savoir si l’on allait «casser» les mégas banques. Plus encore, lors du briefing tenu par l’équipe de communication du Président, personne n’a été capable d’expliquer quoi que ce soit sur le contenu ou la portée du projet. Certains conseillers ont même avancé l’idée que l’on n’allait pas casser les mégas banques mais les stabiliser à leur taille actuelle! Comme si la taille actuelle était un optimum.

Réaction à la défaite électorale du Massachusetts, réaction à la chute dans les sondages, crainte d’une défaite cuisante lors des élections de mid-term de novembre, l’initiative d’Obama est malencontreuse.

Premièrement, elle réintroduit l’incertitude dans le secteur bancaire et financier au moment où l’on espérait toucher les dividendes des actions coûteuses entreprises depuis quinze mois.

Deuxièmement, elle obère la crédibilité de l’Administration. Celle-ci donne l’impression d’être divisée. De négliger sa tâche prioritaire qui est le redressement du pays. Elle donne l’impression de chercher à fournir de médiocres satisfactions au populisme. Geithner, dans son interview par Woodruff, a d’ailleurs montré le bout de l’oreille sur cette question lorsqu’il a déclaré: «le problème que nous rencontrons est de rendre politiquement acceptable ce qui est économiquement nécessaire». Manifestement, ce ne sont pas ses vues qui ont prévalu.

Troisièmement, elle est contre-productive dans la mesure où elle constitue une volte-face en regard des choix qui ont été faits à la fin de l’année 2008. A cette époque, on pouvait choisir de tirer un trait sur la finance de marché et revenir à la finance bancaire, c’est à dire à l’intermédiation classique de bilan. Ce choix n’a pas été retenu en grande partie sous l’influence de Lawrence Summers. Il a persuadé Obama qu’il n’y avait pas d’alternative et qu’il fallait continuer. D’où le sauvetage du secteur bancaire, y compris des banques d’investissement, d’où le sauvetage du Shadow Banking System. Un sauvetage coûteux, moralement critiquable, politiquement dangereux, mais qui avait le mérite d’être cohérent avec l’objectif de relance de la finance de marché. Pour réussir la relance par les marchés, face au gel du crédit classique, il fallait préserver l’outil. C’est ce qui a été décidé, qui a été fait et qui a été réussi.

Aujourd’hui, alors que le système bancaire commercial classique reste paralysé et qu’il est incapable de créer les trois trillions de crédit annuels dont le système américain a besoin, on parle de brider, voire d’amputer l’outil qui, seul, peut assurer cette création et son intermédiation!

En raison des choix qui ont été faits fin 2008, le scandale des banques d’investissement, l’immoralité de la spéculation débridée, l’obscénité des bonus, tout cela constitue un mal nécessaire. Et c’est parce que ce mal est nécessaire que la déclaration de guerre d’Obama est une erreur.

La question de la portée de cette déclaration de guerre se pose. Certains sont tentés de la prendre au sérieux et de croire que l’on va effectivement revenir à une forme de Narrow Banking. Nous sommes du point de vue contraire.

Et ce n’est pas une question de choix politique, c’est une question de logique systémique.

Les mégas banques à tout faire ne sont pas tombées du ciel (n’en déplaise au patron de Goldman Sachs, Blankfein), elles ont vu le jour parce qu’elles étaient nécessaires, parce qu’elles étaient indispensables dans le cadre du fonctionnement du système. La fonction a en quelque sorte créé l’organe. C’est parce que le système mondial est déséquilibré, c’est parce que les uns sont fortement créditeurs et que les autres sont lourdement débiteurs, qu’il faut des banques géantes, des banques à tout faire pour collecter les excédents des uns et financer les déficits des autres. Les mégas banques ont été produites par le système et tant que le système restera en l’état, il faudra des mégas banques.

Dans cette perspective, et dans ce cadre d’analyse, nous considérons que l’initiative d’Obama apparaîtra rapidement pour ce qu’elle est, c’est à dire du marketing politique et qu’elle n’empêchera pas, d’ici quelques temps, lorsque les marchés auront été purgés, la reprise de la tendance haussière.

Bruno Bertez agefi jan10

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