Changes et Devises

Marc Touati : Et si l’euro disparaissait…

« Je crains que l’euro ne traverse dans les prochaines années une phase très difficile ».

PLUS D’EUROS EN SUIVANT :

Qui a bien pu dire une phrase pareille ?

 Un eurosceptique invétéré qui, face aux éloges posthumes formulés à l’égard de Philippe Seguin, fervent opposant à l’adhésion à la monnaie unique, se serait senti poussé des ailes ?

Un monétariste orthodoxe qui se souvient que son père spirituel, Milton Friedman, n’a eu de cesse de souligner que la zone euro ne survivrait pas à sa première grande crise économique ?

Un dirigeant politique tchèque, hongrois ou polonais qui veut dissuader son pays de s’engager trop vite dans la zone euro ?

Non, rien de tout ça. Cette phrase à la fois inquiétante mais aussi réaliste a tout simplement été prononcée par Angela Merkel. Passée presque inaperçue il y a dix jours et même retirée du site internet sur lequel elle avait été mentionnée, la déclaration de la Chancelière allemande a pourtant de quoi choquer. Et pour cause : nous sommes très loin des discours des autorités allemandes de juillet dernier lorsque ces dernières soulignaient que, quelles que soient les menaces qui pèsent sur la Grèce et sur sa dette publique, l’Allemagne resterait solidaire de sa petite sœur du Sud. A l’époque, ces déclarations avaient suffi à calmer les esprits et couper l’herbe sous le pied de ceux qui spéculaient sur une sortie de la Grèce de la zone euro. Le taux d’intérêt à dix ans de la dette publique grecque était alors passé de 5,6 % à 4,5 % en cinq semaines.

Seulement voilà, six mois plus tard, la situation grecque ne s’est non seulement pas améliorée mais s’est au contraire dégradée : la récession est toujours là, la stabilité politico-sociale demeure particulièrement fragile et la dette publique a atteint de nouveaux sommets historiques. De plus, la plus grande suspicion pèse sur les statistiques grecques et sur des dérapages des comptes publics, qui seraient donc encore plus graves que ceux déjà annoncés. Résultat : le taux dix ans grec dépasse désormais les 6 %. Pis, les dettes publiques de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal inquiètent de plus en plus, non seulement par leur niveau, mais surtout par la rapidité de leur dégradation. Ainsi, l’Espagne affiche certes un ratio de dette publique/PIB de « seulement » 55 %, mais contre 36,2 % en 2007 et vraisemblablement 67 % dès 2010. Il est clair qu’avec une baisse de 3,5 % de son PIB en 2009, puis une hausse d’au mieux 0,6 % en 2010 (qui sera l’une des plus mauvaises performances de la zone euro) et enfin avec un taux de chômage stabilisé autour des 18 % tant en 2009 qu’en 2010, sans parler de la faible crédibilité de l’équipe Zapatero pour inverser la tendance, l’Espagne commence à faire peur. Que dire alors de l’Italie avec une dette publique de 117 %, du Portugal et même de la France. Car, même si le gouvernement français se veut réconfortant, en annonçant une baisse de son déficit public pour 2010, celui-ci atteindra tout de même 8,2 % du PIB, ce qui se traduira par un ratio dette publique/PIB d’environ 85 %.

Dans ces conditions de haute voltige, l’Allemagne commence donc à s’inquiéter et n’hésite plus à en faire état. Bien entendu, pour le moment, il est exclu d’évoquer une possible remise en question de la zone euro, ni même une sortie d’un ou plusieurs pays. Relayant ce sentiment, Jean-Claude Trichet, Président de la BCE, n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler qu’une sortie de la zone serait une folie pour le pays en question, tout en spécifiant cependant que les autorités eurolandaises, en particulier monétaires, ne prendraient aucune mesure d’exception à l’égard de la Grèce. Cette dernière est donc dos au mur : elle ne peut pas sortir de la zone euro et elle ne peut pas non plus compter sur cette dernière pour l’aider.

Face à ce dilemme, les sourires narquois des monétaristes résonnent : ne disaient-ils pas en 1998, en particulier outre-Rhin, qu’il fallait réaliser une zone euro restreinte, uniquement avec des pays économiquement proches, en excluant les « pays du club Med ». Cette proposition n’était d’ailleurs pas dénuée de bon sens, car elle se basait sur le fait qu’une zone monétaire ne peut fonctionner durablement et efficacement que si elle est optimale, c’est-à-dire si elle réunit des pays identiques, avec une fiscalité unique, une réglementation harmonisée, un marché du travail unifié et une politique budgétaire fédérale.

Bien loin de ces évidences, ce fut pourtant la position française qui l’emporta, c’est-à-dire celle d’une zone euro très large qui serait encadrée par un pacte de stabilité, prélude à la réalisation des harmonisations indispensables évoquées ci-avant. Dans un récent talk show français, Lionel Jospin (premier ministre français lors du choix des pays entrant dans l’UEM), a même avancé que ce choix avait été favorisé par la France pour éviter un euro trop fort. Ah ! quand le politique domine l’économique, ça fait forcément des dégâts. Car, bien entendu, les harmonisations tant attendues n’ont jamais été réalisées, la politique de la BCE a été trop restrictive et l’euro trop fort.

Si bien que nous nous trouvons aujourd’hui devant un échec : la zone euro est la terre de croissance la plus faible au monde depuis 2002, la récession y a été bien plus forte qu’aux Etats-Unis en 2009, les déficits et les dettes de ses Etats s’envolent et la cohésion indispensable à son bon fonctionnement commence à s’étioler sérieusement. Certains n’hésitent même plus à souligner que non seulement l’euro ne nous a pas permis de nous protéger contre la récession mais qu’en plus il a joué comme un frein aux réformes et à la modernisation économique dans de nombreux pays eurolandais. En effet, une fois intégrés à la zone euro, ces derniers ont pu bénéficier de taux d’intérêt obligataires durablement bas alors que leurs structures économiques ne le justifiaient pas forcément. Ils se sont alors sentis libérés de toutes contraintes et ont oublié de réformer leur fonctionnement, notamment en termes de dépenses publiques, qui sont devenues pléthoriques et de plus en plus inefficaces. Il est clair que sans la protection de l’euro, donc de l’Allemagne, ils n’auraient pas pu adopter un tel comportement et ne se trouveraient donc pas aujourd’hui dans une situation de « bulle de la dette » et de début de défiance des investisseurs.

Alors que faut-il faire ? Revenir en arrière et sortir certains pays de la zone euro ? Un tel choix serait évidemment désastreux tant en terme technique que financier, économique et politique. Car il paraît évident que si un pays sort de la zone euro, cette dernière ne tardera pas à exploser, ce qui reviendrait à ruiner soixante ans de construction européenne. Selon nous, il n’y a qu’un seul moyen pour éviter d’en arriver là : restaurer une croissance économique durablement supérieure à 2,5 %. C’est en cela que les propos d’Angela Merkel évoqués en début d’article ou encore la nouvelle stratégie plus pragmatique de la BCE en faveur d’un statu quo monétaire durable sont déterminants. En effet, en adoptant un tel discours, Berlin et Francfort indiquent que l’euro doit absolument se déprécier et revenir vers des niveaux plus normaux au regard des fondamentaux économiques. Convenons qu’une telle démarche est historique en provenance d’Allemagne, où la peur de l’inflation et la défense d’une monnaie forte sont ancrés dans les gènes de la population.

En d’autres termes, entre un euro moins fort ou la fin de l’euro, l’Allemagne et la BCE ont fait leur choix : ce sera vraisemblablement et fort heureusement la première solution. Elle est la seule capable de relancer la croissance eurolandaise vers les 3 %, donc d’éviter l’aggravation de la bulle de la dette et d’empêcher l’explosion de la zone euro. Malheureusement, pour valider un mouvement de baisse de l’euro, il faudra attendre une augmentation des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine et une décision du gouvernement chinois d’apprécier le yuan. C’est d’ailleurs là que réside le plus triste de la crise : même si nous le savions déjà, cette dernière a confirmé que la zone euro n’était plus maître de son destin. Espérons simplement qu’une telle prise de conscience nous permettra de réagir et de ne pas rééditer les erreurs du passé.

Marc Touati Economiste. Directeur Général de Global Equities. jan10

Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).

BILLET PRECEDENT : Marc Touati : 2010, l’année de tous les espoirs… (cliquez sur le lien)

5 réponses »

Laisser un commentaire