Changes et Devises

Charles Gave : Que se passe-t-il en Chine ?

Comme les lecteurs avertis du JDF n’ont pas manqué de s’en rendre compte, il se passe des choses en Chine depuis la fin de l’année dernière. Ce grand pays avait été en effet le premier à suivre une politique monétaire et budgétaire de relance active, le premier à sortir de la récession, à voir son marché des actions monter. Mais, depuis quelque temps, les nuages semblent s’accumuler sur l’Empire du Milieu.

PLUS DE MURAILLE EN SUIVANT  :

  
Le marché des actions local a fait son plus haut en… août 2009 et a baissé depuis d’environ 13 %. Cet accès de mauvaise humeur est cependant tout à fait compréhensible et simple à expliquer. En fait, il s’agit d’un classique de la finance. Si un gouvernement stimule son économie en utilisant les armes du crédit (aux entreprises et aux particuliers) tout en utilisant massivement le budget de l’Etat pour faire des investissements publics dans les infrastructures, il est rare, très rare que l’économie ne redémarre pas…
Cependant, un danger inflationniste peut émerger dès que l’économie en question se met à croître au-dessus de son potentiel à long terme. A ce moment-là, il n’est d’autre option pour le gouvernement que de resserrer les boulons et commencer à suivre une politique monétaire restrictive, ce qui est rarement apprécié par les marchés des actions.
C’est là où nous en sommes aujourd’hui.

La politique monétaire chinoise change de cap. De stimulative à neutre, voire restrictive. Mais c’est là que les choses se compliquent.

La Chine, comme chacun sait, a d’énormes excédents extérieurs, fruits de balances commerciales tout à fait excessives. Si les autorités réussissent à freiner la demande interne pour empêcher l’inflation de monter, alors les capacités de production rendues excédentaires par la baisse de la demande domestique vont se déverser vers l’extérieur et les excédents chinois vont exploser comme jamais, entraînant quasi automatiquement des mesures de rétorsion de la part des USA, de l’Europe, voire des autres pays asiatiques. En un mot, le protectionnisme nous guette, ce qui est un grand danger non seulement pour la Chine mais pour le reste du monde.

Bref le gouvernement chinois est entre Charybde et Scylla :
– s’il freine la demande domestique pour juguler la hausse des prix, les comptes extérieurs explosent et le risque de protectionnisme augmente de façon exponentielle ;
– s’il ne fait rien, l’inflation accélère et s’il y a une chose dont les autorités chinoises ont toujours peur, c’est bien d’une hausse de l’inflation, tant il est vrai que les émeutes et les révolutions en Chine se passent toujours en période inflationniste.

Heureusement, il existe une porte de sortie.

La solution est toute simple : il suffit de laisser la monnaie flotter vers le haut, et donc de réévaluer. Les importations se chargent d’empêcher les hausses de prix, le pétrole, le gaz, le charbon deviennent moins chers, les étrangers sont contents puisqu’ils peuvent vendre plus et que leurs marges augmentent, bref, tout le monde est ravi… sauf bien entendu les exportateurs chinois, dont les marges et la compétitivité baissent fortement. A terme, la balance commerciale retourne à l’équilibre et les tensions politiques créées par des excédents excessifs disparaissent.
En fait les autorités chinoises sont en train de redécouvrir la vieille loi de Milton Friedman, les autorités d’un pays peuvent contrôler le taux de change, les taux d’intérêt à court terme, la masse monétaire (c’est-à-dire l’inflation à terme), mais ils ne PEUVENT pas contrôler à la fois deux sur trois ou trois sur trois. Il faut choisir
.

Gageons que les autorités chinoises sauront comprendre que le moment de laisser flotter la monnaie chinoise est arrivé et qu’en fin de parcours elles sauront prendre la bonne décision. Le jour où elles la prendront, ce jour-là sera celui où il faudra racheter massivement des actions partout dans le monde mais surtout en Asie en général et à Hongkong.
En attendant ce grand jour, la prudence reste de mise. Après tout, il n’est jamais certain que les politiques vont prendre les bonnes décisions. Il est donc encore un peu tôt pour réinvestir le cash que les lecteurs du JDF pourraient avoir dans leurs comptes. Reste à faire preuve de patience.

 

PAR CHARLES GAVE* | JDF HEBDO | 30.01.2010

* charlesgave@gmail.com

BILLET PRECEDENT : Charles Gave : Les incertitudes croissent… (cliquez sur le lien)

EN COMPLEMENT

 La Chine prête à adapter sa politique monétaire si besoin (vice-1er min.)

La Chine est prête à adopter une politique monétaire « plus flexible » en fonction des « circonstances », a déclaré jeudi à Davos le vice-Premier ministre chinois, Li Keqiang.

« Nous allons maintenir la continuité et la stabilité de nos politiques macroéconomiques, continuer à suivre une politique budgétaire volontariste et une politique monétaire modérément souple et rendre ces politiques mieux ciblées et plus flexibles pour répondre à de nouvelles circonstances », a déclaré le responsable chinois devant le Forum économique mondial (WEF).

Pékin est accusé par les Etats-Unis et d’autres pays de maintenir sa monnaie à un niveau anormalement bas pour aider ses exportations. De nouvelles déclarations ont été faites dans ce sens à Davos depuis l’ouverture du Forum mercredi.

La déclaration de Li Keqiang, pressenti pour être le prochain Premier ministre chinois, n’évoque pas directement un assouplissement du contrôle des changes actuel mais laisse la porte ouverte à une telle évolution.

Le responsable a également déclaré que Pékin était « confiant de pouvoir conserver une croissance rapide et régulière », alors que beaucoup d’économistes s’inquiètent des risques de surchauffe de l’économie et d’un dérapage des prix.

Pour le vice-Premier ministre, la Chine, qui a enregistré une croissance de 8,7% en 2009, devrait continuer son expansion rapide. « Nous sommes confiants de pouvoir (…) maintenir une croissance rapide et régulière de l’économie chinoise », a-t-il affirmé.

La Chine, dont l’excédent commercial a atteint l’année dernière 196,1 milliards de dollars, va aussi encourager la consommation privée. La demande chinoise ainsi créée pourrait pousser la croissance économique du pays et « offrir un marché gigantesque au monde », selon M. Li.

Mais il a également averti que même si la situation économique s’était améliorée, « la tempête ne s’est pas encore apaisée ».

« Nous devons continuer à travailler ensemble comme les passagers d’un même bateau », a-t-il ajouté, appelant la communauté internationale à poursuivre sa coopération lancée durant la crise financière.

Le vice-Premier ministre, qui a demandé à accorder plus de poids aux pays en développement, s’en est également pris aux Etats-Unis, en lançant que « la discipline et la responsabilité de la part des émetteurs de monnaie de réserve mondiale devrait être renforcée ».

DAVOS (Suisse), 28 jan 2010 (AFP)

EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES : Jean Pierre Petit : Puissance de la Chine (1) (cliquez sur le lien)

Jean Pierre Petit : La vraie puissance de la Chine (2) (cliquez sur le lien)

Chine : « We are the champions » ou quand surchauffe et mercantilisme battent leur plein…. (cliquez sur le lien)

Commentaire : Marchés Asiatiques émergents / SEMAINE 4 (cliquez sur le lien)

. La Chine doit gérer l’afflux de liquidités pour éviter un dérapage de son économie 

LOÏC DANTON | JDF HEBDO | 30.01.2010 | 

L’annonce par les autorités monétaires chinoises de restrictions à l’accès au crédit et un possible relèvement des taux directeurs ont ébranlé les Bourses occidentales la semaine dernière. « La réaction du marché tient aussi aux déclarations d’Obama sur les banques », nuance Franck Nicolas, directeur de l’Allocation Globale chez Natixis AM. Cependant, les nouvelles en provenance de Chine ont influencé les échanges. 

La reprise chinoise est-elle trop rapide ? 

Hervé Lievore, stratégiste d’Axa-IM, ne le pense pas : « Certes, l’évolution du taux de croissance entre le troisième (9,1 %) et le quatrième trimestre (+10,7 %) est impressionnant, mais l’effet de base était très favorable. » Franck Nicolas est plus mesuré : « Il existe un risque de surchauffe. Le rythme de la croissance est revenu à des niveaux proches de celui d’avant-crise, comme si rien ne s’était passé. »

La Banque centrale essaie d’anticiper un emballement de la machine économique, comme en témoigne le relèvement du taux de réserves obligatoires des grandes banques le 12 janvier. 

« L’évolution de l’offre de monnaie, qui a crû de 30 à 35 % l’an dernier – du jamais-vu – rend les autorités monétaires nerveuses », souligne Hervé Lievore. Ces liquidités alimentent l’inflation, revenue à son plus haut niveau depuis un an (+ 1,9 % en décembre). Si les banques avaient reçu un blanc-seing pour accorder des crédits en 2009 (9.500 milliards de yuans), l’objectif cette année est de réduire cette masse de 20 % (7.500 milliards de yuans). Un voeu pieux pour l’instant : « Les prêteurs se dépêchent avant le resserrement des conditions de crédit, note Hervé Lievore. Sur la première semaine de janvier, 600 milliards de yuans ont déjà été accordés, soit un treizième de l’objectif annuel ! Ce n’est pas tenable. »
« En cas de retournement économique, le risque que les créances douteuses se multiplient est réel », souligne Franck Nicolas. La formation de bulles spéculatives, notamment dans l’immobilier, inquiète également. « Les prix dans les mégapoles ont augmenté de 30 à 60 % », rappelle-t-il.

La Banque centrale chinoise dispose de plusieurs leviers pour calmer le jeu. Pour le spécialiste de Natixis, «en plus d’une hausse des réserves obligatoires, les autorités pourraient décider d’une réévaluation du yuan pour freiner les exportations, voire, en dernier recours, d’une hausse des taux directeurs ». Une éventualité qui a fait vaciller les places financières en Occident, car elle pourrait casser la dynamique positive de la phase actuelle de reprise. « Les Chinois avaient bien géré le retournement économique en 2008, et leur leitmotiv pour 2010 est d’agir en amont », constate Hervé Lievore. La Banque centrale va donc devoir faire preuve du même doigté pour contenir l’inflation sans enrayer la croissance.

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