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Bruno Bertez : Les grands airs de la rigueur

 L’année 2010 sera pourtant le stricte prolongement de 2009. C’est-à-dire une année de stimulation monétaire et de déséquilibres fiscaux prolongés. Mais masqués cette fois par des discours dénégateurs.

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 Relisant les nouvelles, analysant les déclarations des responsables de la conduite des affaires, l’idée de départ était relativement simple: tout pointe dans le sens d’une année de transition.

Il s’agissait d’expliciter cette idée, de la commenter et de tenter d’en tirer les conséquences pour l’investissement. Les hésitations et la volatilité des marchés ne pouvaient que conforter dans cette voie car, qui dit transition, dit bien sûr indécision et zigzag. Dans les phases de transition, tout est réversible, tout est ouvert. C’est vrai dans tous les domaines et pas seulement dans l’économique et financier. Les phases de transition sont des phases de risque maximum.

Sur les grandes chaînes américaines, la déclaration d’une grande agence de notation est venue troubler la réflexion. Tout tient en une phrase: «Les orientations budgétaires américaines ne sont pas suffisantes pour garantir le maintien aux Etats-Unis de leur note AAA».

Alors que les promesses de rigueur se multiplient, se surenchérissent, alors que le catastrophisme de la dette et le terrorisme des déficits font les titres des journaux, est-il normal que les agences de notation «matraquent» les pays souverains. Est-ce normal, elles qui sont si laxistes et complaisantes.

La nouvelle exigence des agences est d’autant plus suspecte que les pays montrés du doigt, en particulier les Anglo-Saxons, disposent d’une arme redoutable. Ce sont ces pays et leurs gouvernements qui détiennent le pouvoir réglementaire, le droit de vie et de mort sur les agences et leur business model. Il suffit que l’on décide une fois pour toutes de lutter contre les conflits d’intérêt et que l’on rappelle aux agences «qui t’a fait roi» pour qu’elles périclitent. Quelle est la crédibilité fondamentale d’une agence de notation à l’égard d’un débiteur qui détient sur elle le droit de vie et de mort, qui a entre ses mains la clé du niveau de vie et de prospérité de ses dirigeants et de ses actionnaires?

L’idée nous est venue que les agences, par leur comportement et leurs déclarations, étaient non pas en train de critiquer ce qui se passait, mais en réalité venaient apporter leur pierre à l’édifice que l’on était en train de construire dans le monde global. Un édifice de carton-pâte où allait se jouer, comme à l’accoutumée, une grande pièce du théâtre des ombres. Ceux qui sont familiers avec la théorie de la communication auront compris. Il n’y a pas de meilleur moyen d’accréditer un thème ou une idée que d’en faire un objet de débat. La dénonciation et la critique valident les thèmes.

L’idée nous est venue alors, qu’en fait, nous étions en train d’assister à une comédie, à une représentation. On nous joue le grand air de la rigueur, le grand guignol du vice et de la vertu économiques et financières.

La convergence des partitions jouées par les comédiens du Système, finit par être frappante. On nous joue le grand air de la vertu retrouvée. Regardez la séquence, tout a commencé par les Chinois et cela a bien marché, puis l’Europe et les Etats-Unis. Et cela a l’air de prendre également. Si l’on voulait casser les anticipations inflationnistes, introduire un peu de modération dans les marchés d’actifs, favoriser une stabilisation monétaire et singulièrement celle du dollar, si l’on voulait, en plus, contribuer à favoriser les émissions de dettes souveraines, on ne s’y prendrait pas autrement.

La poursuite qui éclaire les acteurs n’est pas innocente. Elle décuple des effets. Elle cherche à implanter la conviction que nous entrons dans une nouvelle phase où la priorité est non plus la crise financière, non plus la lutte contre la récession, mais la restauration des équilibres. Bref, la priorité, ce serait la transition.

La poursuite qui magnifie l’acteur l’éclaire, mais en même temps, elle masque et dissimule ce qui l’entoure, n’est ce pas? Et nous-mêmes, mauvais esprit comme à l’habitude et par nature, nous avons tendance à négliger ce que l’on voit et à nous intéresser à ce que l’on cache. Nous en arrivons donc à penser que, finalement, de transition il n’y a pas, et qu’il n’y en aurait pas avant longtemps. L’année 2010 pourrait être le prolongement de l’année 2009, c’est à dire une année de stimulation monétaire et de déséquilibres fiscaux prolongés. Mais cette fois, dissimulés, masqués, par des discours dénégateurs. La fameuse dialectique du pouvoir, le jeu entre ce que l’on dit et ce que l’on fait.

A l’examen plus approfondi, notre conviction est scellée: 2010 sera comme 2009, ce sera la continuation et non pas son retracement. Rien ne permet de faire machine arrière. Aucun signe que les «green shoots» ont pris racine, aucune croissance auto-entretenue, aucun déclenchement de croissance spontanée. Au contraire, ce que l’on constate, c’est que les multiplicateurs partout, y compris en Chine, sont beaucoup plus faibles que ce que l’on espérait. Le résultat des injections reste décevant, les problèmes d’emplois et de revenus sont intacts. Le seul compartiment qui a répondu de façon significative, ce sont les marchés d’actifs.

Ce n’est pas pessimisme exagéré que de le dire, l’examen des composantes de la croissance du PIB américain au quatrième trimestre suffit à l’éclairer, les mécanismes de la croissance ne sont pas restaurés. Nous attirons l’attention, à titre d’incidente, sur ce qui vient de se passer en Australie. L’Australie est en quelque sorte un indicateur avancé de ce qui se passe dans le monde global. Le pays était lancé dans un cycle de hausse des taux. Mardi 2 février, le consensus attendait une hausse des taux d’un quart de point. Et surprise, la hausse des taux n’a pas été au rendez-vous. Pourquoi, parce que le «housing», le secteur du logement australien est dans une situation catastrophique et qu’il suffirait d’un rien…

Les excès du Président français qui s’oriente vers un budget d’une rigueur jamais vue, ces excès révèlent en quelque sorte, par défaut, la réalité qu’ils sont censés dissimuler. La rigueur étant impossible, ces excès proclamés conduisent à penser que cette rigueur n’existe qu’à titre de valeur d’ambiance.

Dans notre cadre analytique, les sentiments, les perceptions, les ambiances, les discours ne comptent pas. Ils sont simples cosmétiques sur un Réel qui, lui, est gouverné par des forces, par des causes. Des vraies causes qui sont à l’œuvre, des vraies causes qui agissent concrètement. L’effet des discours sur la réalité n’est que temporaire, derrière «le naturel reprend le dessus».n

C’est pour cela que nous ne croyons ni à la rigueur retrouvée, ni à la fameuse transition qui est le thème central des pronostiqueurs. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, la liquidité et les déficits produiront en 2010 ce qu’ils ont produit en 2009, c’est à dire l’illusion de la hausse du prix des assets, l’illusion de l’enrichissement.

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