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Trappe à Dettes : Nicolas Sarkozy, une transformation mal assumée en «Père la rigueur»

Le «président du pouvoir d’achat» que Nicolas Sarkozy voulait incarner en 2007 a été anéanti par la crise. Il lui faut à présent revêtir les habits de la sévérité budgétaire, tâche délicate à l’approche des élections de 2012. Par Sylvain Besson, correspondant du temps à Paris

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Dans le vocabulaire politique français, le «tournant de la ri­gueur» a un sens bien précis: c’est le moment où les promesses intenables se fracassent sur la réalité, et font place à l’inévitable serrage de ceinture budgétaire.

Ce moment est arrivé pour Nicolas Sarkozy. Son premier ministre, François Fillon, a annoncé samedi le «gel du budget des ministères» et des dépenses des collectivités locales (qui augmentaient de 6% par an), ainsi qu’une croissance des dépenses publiques inférieure à 1% durant au moins trois ans.

Pour autant, le mot «rigueur» reste proscrit. On peut dire qu’il l’est depuis l’été 2007, quand la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, s’était fait corriger pour l’avoir employé à propos des fonctionnaires.

Le premier ministre préfère parler de «politique sérieuse de gestion». Il la présente comme le dernier recours avant une austérité encore plus dure, imposée par les marchés financiers auxquels la France empruntera, cette année, 188 milliards d’euros (environ 282 milliards de francs suisses).

Cette prudence verbale se comprend, car il y a une malédiction de la rigueur. Tous les gouvernements qui s’y sont essayés ont été violemment sanctionnés par l’électorat.

Ce fut le cas des socialistes, en 1983, lorsqu’ils abandonnèrent la «rupture avec le capitalisme» au profit du retour à l’orthodoxie budgétaire.

Ou de Jacques Chirac, puni lors des législatives 1997 pour avoir substitué la hausse de la TVA et l’assainissement des comptes publics à son programme initial de lutte contre la «fracture sociale».

Nicolas Sarkozy subira-t-il le même sort en 2012? Pour l’instant, en tout cas, sa transformation en «Père la rigueur» n’est pas assumée.

Non qu’il évite le sujet: jeudi dernier, il a promis de prendre, au mois d’avril, des «décisions extrêmement précises pour enrayer la spirale des déficits, et éviter qu’elle ne porte atteinte à la crédibilité de notre pays». Mais il se garde encore de monter en première ligne ou de faire de ce thème l’axe majeur de ses discours.

Tout montre néanmoins que la rigueur n’est plus aussi impopulaire que jadis. François Fillon, qui incarne l’austérité au sein du pouvoir, a vu sa cote de popularité bondir de six points en janvier, à 55% (Nicolas Sarkozy est à seulement 43% de bonnes opinions). Un récent sondage Ifop affirme pour sa part que 92% des Français veulent réduire les dépenses publiques, contre 8% qui souhaitent augmenter les impôts.

Un tournant assumé vers la rigueur aurait d’autres avantages pour Nicolas Sarkozy. Il lui ­donnerait l’image de constance et de vision à long terme, dont son quinquennat manque cruellement.

Le «président du pouvoir d’achat» de 2007 a été anéanti par la crise. Son second personnage, le démiurge qui veut moraliser le capitalisme, voit son aura diminuer. L’angoisse des Français pour leurs retraites et la pérennité de leur modèle social appelle une figure rassurante, qui donne l’impression de s’attaquer au problème avec détermination.

La vérité est que la France n’a déjà plus le choix. La conservation du triple A, conféré par les agences de notation à sa dette, est devenue un impératif de survie – et l’objectif à la fois suprême et inavoué du gouvernement.

Le cas grec montre ce qui pourrait arriver aux pays européens surendettés: une dégradation brutale de leur note, suivie d’une hausse insupportable du coût de l’emprunt sur les marchés internationaux.

La «France en faillite» n’est plus un scénario de politique-fiction, plutôt une éventualité improbable, mais envisageable d’ici quelques années.

Mais dans un pays où les ré­formes déclenchent volontiers ­grèves, blocages et mani­­fes­tations monstres, la rigueur n’ira pas sans oppositions. «Il faudra ­passer outre, avertit sèchement l’économiste Nicolas Bouzou dans une note de la Fondation pour l’innovation politique (www.fondapol.org) (cliquez sur le lien). Car l’enjeu est tout simplement d’éviter la dislocation de l’économie et donc de la société française.»

On ne sait pas si Nicolas Sarkozy aura la force de «passer outre». Dans la perspective d’une éventuelle réélection en 2012, il doit en effet tenir compte d’une autre contrainte, électorale celle-là. La règle d’or en France veut que le candidat à la présidence fasse rêver, avec un projet mêlant optimisme et volontarisme politique.

Sur ce plan, une offre centrée sur la rigueur budgétaire et l’obéissance aux marchés ne suffira pas. La rigueur a beau être la mode, elle n’est pas sexy.

Correspondant du «Temps» à Paris.fev10

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La French Touch : Bienvenue à Davos-sur-Seine (cliquez sur le lien)

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Marc Touati : France /le syndrome du « pouf »… (cliquez sur le lien)

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