Europe

Trappe à Dettes : La Grèce a surtout besoin d’un changement de gouvernance

La crise grecque est une crise morale. La méfiance envers les institutions se lit dans la structure fiscale, ou plus précisément dans l’évasion fiscale

Lorsqu’une crise éclate à un endroit, étrangement les médias adoptent une approche comptable et statique. Le poids de la Grèce dans le PIB européen? Minuscule. Donc, à leur avis, on ne court aucun danger. Les hedge funds se cherchent simplement une nouvelle proie. La crise du «subprime» américain avait permis de lire des commentaires similaires. On veut circonscrire l’incendie sans analyser ses causes. Aujourd’hui, on répète le processus avec la Grèce et les pays périphériques. Ce qui n’empêche pas la propagation de l’incendie.

Le problème grec ne se mesure pas à la taille de son économie par rapport à celle de l’eurozone. Il se rapproche de la crise immobilière américaine sur deux points majeurs: le boom des crédits et le manque de responsabilité des principaux acteurs.

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La dette extérieure hellène correspond à 87% de son PIB, soit plus de 200 milliards d’euros. Au total, les engagements extérieurs nets de la Grèce, de l’Espagne, de l’Irlande, de l’Italie, du Portugal et des pays d’Europe centrale atteignent 3000 milliards de francs suisses. La dimension du risque grec n’est pas très éloignée de celle du «subprime» américain. On comprend aisément pourquoi la crise grecque occupera 100% de l’agenda du sommet européen de jeudi.

Un accord avec les grands pays européens est d’autant plus probable qu’ils en sont les principaux prêteurs. Les investisseurs étrangers détiennent 221 milliards de dollars des crédits extérieurs à la Grèce. Les six plus grands prêteurs font tous partie de l’eurozone et assurent 75% du total, selon une étude de Goldman Sachs. La France arrive en tête (25%), devant l’Allemagne (15%) et l’Italie (10%).

La Grèce ne se déclarera pas en faillite. Il existe des formes modernes de défaut de paiement. L’agence Standard & Poor’s définit le défaut comme tout changement aux conditions d’un contrat dans un sens défavorable. Si le remboursement de l’emprunt est repoussé ou les taux d’intérêt abaissés, c’est aussi un défaut de paiement, selon Carmen Reinhart, l’auteur avec Ken Rogoff, de la bible des crises financières1. On négociera, on discutera avec les agences de notation (conflits d’intérêts?) et on imposera un plan d’austérité. Du moins c’est à espérer.

Mais peut-on faire confiance à la Grèce?

 Il est assez étonnant d’entendre d’illustres économistes exclure le pire.

 La Grèce a passé 50% de son temps en situation de défaut depuis son indépendance en 1830 et la fin de la guerre contre l’Empire ottoman. Cette performance ne range sûrement pas la Grèce au sein des pays industrialisés. La menace est bien réelle. La crise ne peut se limiter à une attaque des requins de la finance qui spéculeraient contre le maillon faible de l’eurozone.

Les faiblesses institutionnelles hellènes forment le cœur d’un problème qui se lit dans un classement catastrophique en termes de compétitivité.

La Grèce est le pire pays de l’OCDE en termes de «facilité à entrer en affaires» 2 et le 52e au classement de compétitivité.de l’IMD.

Grâce à diverses mesures de libéralisation (télécommunications, finance) et une politique de stimulus budgétaire, c’est pourtant une formidable machine à attirer les capitaux d’Europe et à se répartir les privilèges et subventions entre groupes d’intérêts 3.

Il en résulte une croissance annuelle du PIB de 3,8% entre 1996 et 2008. Mais ce chiffre est trompeur. Le manque de rigueur et les défauts institutionnels et de gouvernance sont endémiques.

La Grèce est 71e au classement de Transparency International (perception de corruption).

Ce n’est pas un nouveau crédit de Bruxelles qui améliorera les mœurs à Athènes. Celles-ci se traduisent par un fardeau administratif incomparable (6,8% du PIB, contre 3,5% en moyenne européenne) et un fort degré d’intervention de l’Etat.

Le comportement prédateur de nombreux groupes d’intérêts rivés sur leurs acquis ne pénalise ni le tourisme ni le transport maritime, lesquels dépendent d’autres considérations et fonctionnent bien. Mais c’est le système politique lui-même qui est malade, bloque toute réforme et évacue de la scène tout individu non conforme. Le récent massif changement des statistiques de PIB n’est qu’un épisode parmi d’autres des difficultés à saisir ce pays. Heureux soient les investisseurs qui ont souscrit au dernier emprunt!

Les projets de réformes se heurtent à un mur. La grève est un sport national. Les conflits du travail se succèdent, des agents du fisc aux douaniers en passant par les prostituées (contre la concurrence russe). Les différents gouvernements ont pris la triste habitude de céder aux pressions. Les salaires de la fonction publique et les retraites forment d’ailleurs 51% du budget. Ce qui n’a pas empêché l’engagement de 29 000 nouveaux fonctionnaires l’an dernier destinés à remplacer les 14 000 partis à la retraite.

Le manque de confiance envers les institutions se lit aussi dans la structure fiscale, ou plus précisément dans l’évasion fiscale. Une récente présentation du Ministère des finances a révélé que seuls 65 contribuables déclarent un revenu supérieur à 900 000 euros. 94% des salariés publient un revenu inférieur à 30 000 euros et les deux tiers d’entre eux en dessous de la limite des 12 000 euros. Enfin 73% des 421 000 indépendants déclarent un revenu inférieur à la limite de 12 000 euros. Sans surprise, l’imposition directe ne représente que 7,7% du PIB, contre 13,1% en moyenne en Europe.

Depuis qu’Athènes a rejoint l’euro en 2001, le pays n’a jamais respecté les 3% du pacte de stabilité. Le professeur Charles Wyplosz propose d’inscrire la limite dans la constitution. C’est justement ce genre d’effort que le système politique grec a toujours refusé.

Les valeurs doivent changer. La discipline qu’imposent les marchés financiers aux pays qui demandent de refinancer leurs dépenses excessives est donc salutaire. Elle ne va pas disparaître avec l’arrangement que discutera l’Union européenne. L’entrée de la Grèce dans l’eurozone a éliminé le risque de change, mais pas le risque de crédit. Les hedge funds ont le mérite de le rappeler.

Par Emmanuel Garessus le temps fev10

1. This time is different, Eight centuries of financial folly, Carmen Reinhart et Ken Rogoff, Princeton University Press.

2. Banque Mondiale, Ranking 2010 Doeing Business.

3. Vikings in Greece: Kleptocratic Interest groups in a closed,
rent-seeking Economy, Cato.

EN COMPLEMENT : Trappe à dettes : Thérapie de choc à la grecque (cliquez sur le lien)

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