Etats-Unis

Etats Unis : Jusqu’où diminuera la dette des ménages américains?

La réduction de l’endettement des ménages américains a de fortes chances de continuer en 2010, mais il n’est pas du tout certain qu’elle se prolongera pendant de nombreuses années encore. Par ailleurs, le désendettement peut fort bien se poursuivre sans freiner la croissance future de la consommation

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On s’accorde généralement à penser que les ménages américains sont extraordinairement endettés, que la réduction de ce surendettement – qui dure déjà depuis 18 mois environ – est loin d’être terminée et que la prolongation de ce mouvement pénalisera fortement l’expansion de la consommation ces prochaines années. Or, une analyse un peu plus approfondie montre que ces affirmations sont largement discutables.

Quand débute le surendettement?

A son sommet du 1er trimestre 2008, l’endettement total (immobilier et crédit à la consommation) des ménages américains atteignait en moyenne 118 000 dollars par ménage, ou 129% de leur revenu disponible annuel. Est-ce beaucoup?

Difficile d’en juger sans plus d’information. Voici une première comparaison instructive: en Suisse, pourtant traditionnellement considérée comme une nation d’épargnants, la dette des ménages s’élevait à la fin 2008 à 181 000 francs par ménage (169 000 dollars au cours du moment) ou 186% du revenu disponible.

En clair, les Suisses sont plus endettés que les Américains…

En y réfléchissant, on s’aperçoit qu’à l’image des individus, les ménages des pays les plus riches doivent logiquement être aussi les plus endettés. En effet, dans la très grande majorité des casl’endettement va de pair avec l’acquisition d’un actif d’une valeur supérieure à cette dette. En fait, l’essentiel de la dette des ménages étant lié à l’immobilier (78% outre-Atlantique), une augmentation de la proportion des ménages propriétaires de leur logement, de la qualité des logements et/ou des prix immobiliers s’accompagne tout naturellement d’une hausse de l’endettement brut.

Comparaison n’est pas raison

Pour prouver le surendettement criant des ménages américains, on utilise souvent la comparaison historique.

A première vue, l’envolée de la dette des ménages au cours des 65 dernières années laisse effectivement songeur. En y regardant de plus près, on réalise toutefois que l’endettement suit une tendance clairement haussière, qui – sauf récemment – ne s’infléchit que pendant les périodes de forte inflation. Car, de manière logique, un renchérissement très rapide entraîne une accélération de la croissance du revenu des ménages mais pas du stock de la dette existante. Le ratio du second par rapport au premier monte ainsi sensiblement plus lentement.

Or, cette tendance haussière sur le long terme s’explique essentiellement par des facteurs historiques qui – dans la majorité des cas – n’ont pas de raison de disparaître durablement. Citons notamment:

• L’institutionnalisation des prêts hypothécaires à partir des années 50;

• Le développement des cartes de crédit à partir des années 60;

• La généralisation des refinancements hypothécaires dans les années 90;

• La baisse structurelle des taux d’intérêt;

• La tendance haussière de la proportion des ménages propriétaires de leur logement;

• Une augmentation moyenne des prix immobiliers supérieure à l’inflation.

Notons également que, compte tenu du faible turnover de la propriété résidentielle, les changements structurels touchant le secteur hypothécaire mettent souvent plusieurs dizaines d’années avant de déployer tous leurs effets en termes d’endettement agrégé.

Clairement, l’innovation financière récente et ses excès (subprime, CDO d’hypothèques, etc.) a aussi joué un rôle dans cette hausse de l’endettement, mais elle n’explique qu’une part modeste de l’envolée des 50 ou 60 dernières années.

Les considérations qui précèdent ne cherchent d’ailleurs pas à montrer que le récent désendettement n’avait pas de raison d’être, ni qu’il ne va pas se prolonger. Notre propos consiste simplement à dire ceci: on ne peut affirmer que l’endettement des ménages américains est anormalement élevé en se basant uniquement sur le fait qu’il est supérieur aux niveaux d’il y a 10, 20 ans ou encore à la moyenne de ces 40 ou 50 dernières années. En fait, il semble extrêmement difficile d’estimer quel pourrait être aujourd’hui un niveau d’endettement «normal».

Désendettement: quels facteurs d’influence?

Il est tout de même possible de se faire une opinion sur l’importance et la durée du désendettement en cours. L’idée d’un simple retour graduel vers une «normalité» impossible à mesurer n’étant manifestement pas la bonne approche, on peut tenter de s’y prendre autrement.

Quels sont les facteurs qui ont conduit au désendettement en cours? Est-ce qu’ils vont continuer d’évoluer dans la même direction? Si oui, jusqu’à quand?

A notre avis, les principaux facteurs à considérer sont les suivants:

• L’effondrement des ventes de maisons et des prix de l’immobilier;

• La chute de la consommation de biens durables;

• La dégradation de la situation économique des ménages et l’envolée du chômage;

• La forte hausse des défauts de paiement;

• Le sensible resserrement des conditions de crédit octroyées par les institutions de prêts.

Pour ces différents facteurs, où en est on actuellement et que peut-on attendre pour l’avenir?

 Primo, avec des prix d’achat et des taux d’intérêt historiquement très bas, le récent redressement des ventes de maisons devrait se prolonger.

Secundo, les prix des maisons ont probablement cessé de baisser et, petit à petit, une remontée pourrait bien se dessiner.

Tertio, la reprise économique a démarré et, même si son impact sur l’emploi se fait avec un décalage non négligeable, on peut s’attendre à une nette amélioration sur ce front dans le courant de 2010.

Quarto, la santé financière du système bancaire et financier s’améliore graduellement et la reprise économique finira par réduire les risques de défauts de paiement.

Au total, l’environnement économique et financier est en phase d’amélioration, et cela devrait engendrer prochainement une reprise des nouveaux crédits aux ménages.

En termes d’encours total de la dette, les choses s’avèrent toutefois un peu plus complexes. En effet, les variations de la dette sont évidemment liées aux nouveaux crédits contractés par les ménages mais aussi au rythme des remboursements des crédits existants. Or, ces remboursements sont généralement proportionnels à des valeurs de ventes de maisons et à des niveaux de consommation nettement plus élevés qu’actuellement.

Dans un premier temps, les nouveaux crédits augmenteront certes, mais pas suffisamment pour compenser le flux régulier de l’amortissement, entraînant une poursuite du recul de l’encours de la dette, à un rythme qui devrait toutefois ralentir progressivement.

Compte tenu de l’ampleur de l’effondrement récent des ventes de maisons, des prix immobiliers et de la consommation de biens durables, le recul de la dette des ménages pourrait surprendre par sa durée. Malgré une reprise des nouveaux crédits, il pourrait ainsi se prolonger jusqu’en 2011, voire peut-être en 2012.

Le désendettement peut se faire sans freiner la croissance de la consommation

Le dernier point de cet article, et peut-être le plus important, concerne le lien entre désendettement et consommation.

Au cours du 3e trimestre 2009, les ménages américains ont réduit leur dette de 67 milliards de dollars. Une partie de cette réduction a pu être financée par une diminution de leurs avoirs, une autre par les revenus engrangés pendant le trimestre, au détriment de la consommation. Admettons le pire pour la consommation, c’est-à-dire que la totalité de la réduction de la dette soit financée par les revenus courants et que cela continue d’être le cas à l’avenir.

 Partons maintenant de l’hypothèse suivante:

 le revenu disponible des ménages augmente de 4% entre les 3e trimestres de 2009 et 2010 et le désendettement se poursuit à un rythme inchangé en proportion du revenu. Ainsi, la partie du revenu qui reste, soit la consommation (en faisant abstraction des autres facteurs d’épargne), augmente mécaniquement elle aussi de 4%.

Par cette démonstration, on s’aperçoit que ce n’est pas le rythme de désendettement qui influence la croissance de la consommation mais les variations de ce rythme. Il est donc possible d’enregistrer une croissance de la consommation en ligne avec celle des revenus, tout en assistant en parallèle à une poursuite de la réduction de la dette des ménages, pour autant que cette dernière se fasse au même rythme que précédemment. On peut même aller plus loin. Si nous avons raison et que le désendettement ralentit au cours des trimestres à venir, l’impact de ce facteur pourrait devenir positif pour l’expansion de la consommation. Notre objectif ici n’est toutefois pas d’effectuer une prévision à cet égard, car bien d’autres facteurs doivent être pris en compte.

Il s’agissait simplement de montrer que le désendettement des ménages américains ne doit pas nécessairement se prolonger plusieurs années encore et que, même si tel est le cas, cela peut tout à fait se produire avec un impact neutre sur la croissance de la consommation.

Bernard Lambert, Economiste Pictet fev10

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