Europe

Trappe à Dettes : Les montages opaques et les liaisons dangereuses de la Grèce en ligne de mire

Le «New York Times» révèle comment des accords «swaps» avec Goldman Sachs ont permis à Athènes de masquer l’ampleur de ses dettes. Une pratique qui n’est pas une exception  

Le bruit et la fureur entourant les problèmes financiers rencontrés par Athènes transforment en bombe l’exhumation par le New York Times des petits arrangements financiers auxquels se sont livrés depuis neuf ans les pouvoirs publics grecs, notamment sur les conseils de Goldman Sachs.  

Le quotidien a révélé dimanche comment la banque leur a vendu des montages basés sur des instruments financiers complexes – des «swaps» de devises, censés protéger contre des variations de change – leur permettant d’emprunter des fonds… sans pour autant accroître le niveau officiel de leurs dettes, surveillées par l’Union européenne. En 2002, par le biais d’un swap de dette grecque de 10 milliards de dollars, Goldman Sachs avait permis à Athènes de bénéficier d’entrée d’argent de 1 milliard de dollars sur cette seule année. La banque aurait touché 300 millions de commission pour ce service.  

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Lundi, le bureau européen des statistiques Eurostat – chargé notamment de mesurer l’ampleur de la dette des pays membres – s’est défendu d’avoir «été au courant de telles transactions», enjoignant la Grèce à fournir tous les détails sur ses «swaps» d’ici à la fin du mois.  

Le problème posé par ces transactions légales mais opaques n’est pas nouveau.

Dès 2001, Gustavo Piga, économiste, enseignant aujourd’hui de l’Université romaine de Tor Vergata, révélait dans un rapport retentissant l’existence de contrats swaps confidentiels similaires signés en 1996 par «un pays» européen. L’astuce lui permettait d’emprunter des fonds pour réduire ses déficits – afin de respecter les critères imposés aux postulants à l’entrée dans l’union monétaire – sans pour autant accroître le niveau officiel de ses dettes, également plafonnées.  

Le jour suivant, le Financial Times annonçait qu’il devait s’agir de l’Italie et le sujet fut jugé assez sensible pour que, peu après, une conférence de presse de Gustavo Piga soit annulée. «Ces transactions n’étaient pas illégales c’est en réalité parce qu’elles n’étaient soumises à aucunes règles», explique-t-il. «Ce qui me scandalise n’est pas que des petits montages pour entrer dans l’euro aient pu ainsi être mis en place, mais plutôt que ni la Banque centrale européenne, ni Eurostat, pas plus que la Commission européenne – et les médias – ne se soient penchés sur ce problème depuis», s’étonne l’économiste, qui ne travaille plus sur le sujet.

Assurant d’importantes commissions aux banques, des «solutions» miracles un peu similaires – à base de «swaps» de taux – ont également été proposées à des centaines de collectivités locales italiennes. Elles sont dans la ligne de mire de la justice, après que des municipalités comme Milan et Rome ou Turin eurent dénoncé ces contrats qui recèlent des pertes potentielles de près de 2 milliards d’euros. UBS, Deutsche Bank, JP Morgan et Depfa Bank sont ainsi poursuivies par la capitale lombarde au sujet d’un montage mis en place à partir de 2005 et affichant des pertes potentielles de près de 200 millions. Le maire de Milan, Letizia Moratti, les accuse d’avoir «trompé» la ville.  

«Le vrai problème reste le secret de tels montages»  

L’économiste italien Gustavo Piga, aujourd’hui professeur à l’Université romaine de Tor Vergata, révélait dès 2001 ces montages flous  

Le Temps: Quel est le problème de ces «swaps» utilisés pour financer les déficits publics grecs?  

Gustavo Piga: Ce que je soulignais à l’époque, c’est que cela reste des emprunts qui ne disent pas leur nom, même si l’argent qu’ils permettent d’obtenir est présenté dans les budgets publics comme des «recettes extraordinaires». Des années plus tard, les gouvernements suivants devront rembourser toute l’opération et l’inscrire dans les comptes publics.  

– D’autres pays utilisent-ils des montages similaires?  

– Personne n’en sait rien. Peut-être que des pays comme la France ou l’Italie n’en parlent pas tout simplement parce qu’ils n’y font pas – ou plus – appel. Peut-être pas. L’argument opposé à leur publication reste qu’elle conduirait les marchés à utiliser cette information pour imposer des taux plus élevés aux Etats. Le Danemark, lui, publie, depuis 1995, les détails de ses «swaps». Mais en fin d’année, ce qui permet d’éviter ce problème.  

Faut-il interdire ces montages?  

– Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, et leur accès ne devrait pas être un problème pour les services sophistiqués de gestion de la dette des Etats. Pour les collectivités locales c’est une autre histoire. Le vrai souci tourne autour du secret baignant ces accords, qui permettent aux banques de bénéficier d’un moyen de pression sur les gouvernements. Néanmoins, le scandale actuel autour de ces mécanismes rend moins crédible la volonté des gouvernements de réformer la finance. Ceux-ci combattent les excès des marchés dérivés liés à l’immobilier américain, alors qu’ils utilisent eux-mêmes ces produits.  

Goldman Sachs sur le gril  

«On ne pourra jamais être aimé», confiait, la semaine dernière, un responsable genevois de hedge funds. Cynique, ce dernier relevait que l’image déplorable dont il pâtit «pousse certes les autorités à adopter des règles contraignantes mais ne dissuade guère nos clients». Un constat certainement partagé par Goldman Sachs, banque dont la puissance n’a d’égale que la haine qu’elle suscite. Depuis ce week-end c’est son rôle auprès des autorités grecques – en leur offrant des montages permettant de cacher la profondeur abyssale de leurs dettes – qui est pointée du doigt.  

Aux heures les plus sombres de la crise, la rumeur s’était amplifiée sur la façon dont «Goldman» s’était, dès 2006, débarrassée en masse de produits spéculatifs – concoctés à base de prêts immobiliers irrécouvrables – qui allaient provoquer la chute de ses concurrentes: Bear Stearns, Lehman Brother ou UBS. Puis sur la façon dont la banque profita sans vergogne du sauvetage du géant de l’assurance AIG, en septembre 2008.

EN LIEN :  Des banques européennes captives (cliquez sur le lien) 

Bouc émissaire : Les marchés financiers sont un coupable trop facile des difficultés budgétaires des Etats européens

Voici donc les vrais responsables. Les banquiers de Wall Street ou les hedge funds, qui manipulent les cours et spéculent contre les Etats. Et causent tant de soucis à la Grèce ou à l’Espagne…

Parce qu’elle permet de donner le change à une opinion publique inquiète face aux colossales dettes publiques, la théorie du complot trouve chaque jour un peu plus de relais dans les capitales européennes. Pourtant, elle est bien loin d’être démontrée, et révèle une méconnaissance du fonctionnement des marchés financiers, au comportement bien plus moutonnier que coordonné.

Plusieurs Etats de la zone euro ont un crucial besoin de capitaux privés pour combler leurs déficits abyssaux. Le prix de ce refinancement dépend de la confiance qu’on leur accorde. Jeudi dernier, l’Union européenne avait apporté un soutien politique fort à la Grèce. Depuis, hélas, Athènes n’a eu de cesse de déplorer un appui timoré, et Bruxelles d’exiger plus de rigueur.

Un tel bras de fer démontre que l’ordre n’est pas revenu dans la maison euro. Et explique en grande partie la nervosité des opérateurs financiers. Ces derniers apportent la liquidité demandée par les Etats, mais à un prix ajusté au risque qu’ils perçoivent. Les rendre responsables des problèmes de la zone euro revient donc à en faire des boucs émissaires.

L’action des marchés ne va cependant pas sans poser problème. A commencer par l’opacité dans laquelle ils opèrent. La Grèce a profité des arrangements construits en catimini par les banques d’affaires pour contourner les critères de Maastricht. Cela doit cesser.

source le temps fev10

EN COMPLEMENT :

Des investisseurs «floués» par les montages d’Athènes

Les détails des opérations imaginées par Goldman Sachs au début des années 2000 et proposées aux investisseurs étaient incomplets

Se penchant sur les montages opaques – concoctés avec des produits appelés «swaps de devises» – utilisés par Athènes au début des années 2000, l’agence Bloomberg a découvert hier que la banque Goldman Sachs a permis à la Grèce d’obtenir 15 milliards de dollars par ce biais. L’intérêt de ces tours de passe-passe était, alors que le pays entrait dans la zone euro, d’emprunter des fonds sans pour autant accroître immédiatement ses dettes.

Sur les dix montages étudiés par Bloomberg, six ne faisaient pas mention de l’utilisation de «swaps de devises» dans leurs volumineux contrats. Cette omission aurait permis à Goldman Sachs – mais aussi aux autres banques participant à l’opération et à Athènes – d’éviter que les prêteurs auxquels étaient ensuite proposés ces emprunts ne demandent des taux trop importants. «Si une banque les a vendus en sachant que les informations fournies étaient incomplètes, alors les investisseurs ont été floués», a réagi Bill Blain, spécialiste chez Matrix Corporate Capital.

Comme l’indiquait mercredi Le Temps, un autre de ces montages, toujours en fonction – baptisé Titlos et portant sur 5,1 milliards – n’est que la version améliorée de l’une des opérations de «swaps de devises» mises au point il y a huit ans par Goldman Sachs. Selon le Financial Times, la banque américaine en a transféré la responsabilité à la National Bank of Greece en 2005. Depuis, cette dernière «a transformé le swap en un emprunt obligataire titrisé de 20 ans [mais] inscrit dans ses [propres] comptes, ce qui offre au gouvernement un ballon d’oxygène supplémentaire», écrivait hier le journal.

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