Douce France

Michel Godet : L’équation est connue : en France il y aura demain 1,5 actif pour 1 retraité. Qui va payer ?

Chaque réforme annoncée du système de retraite est l’occasion de grandes démonstrations de défense des acquis sociaux et de rapports de force où les gouvernements hésitent à s’engager. En effet, les électeurs, dont l’âge moyen ne cesse d’augmenter, sont aussi des citoyens consommateurs prompts à défendre les réformes d’intérêt général pour corriger les inégalités, sauf celles dont ils profitent. Pour faire avancer le débat, il faut bien mettre sur la table les données du problème.

PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :

1. Dans le système de retraites par répartition, ce sont les enfants qui paieront les retraites de demain. La répartition, c’est un peu un système Madoff, elle tient tant que les derniers acceptent de payer pour les premiers. S’ils ne sont plus assez nombreux ou s’ils refusent de payer, le système s’écroule.

 L’équation des retraites est connue : d’ici à 2030, le nombre de plus de 60 ans augmente de 6 millions alors que la tranche des 20-60 ans stagne. Ce qui était facile en 1970 quand il y avait 2,5 actifs pour un retraité est intenable en 2030, quand il y aura 1,5 actif pour un retraité !

2. La relève n’est pas assurée par les générations 20 % moins nombreuses nées après 1975.

Il faut donc rallonger la durée de la vie active, ce qui est une rupture. Depuis 1970, la durée moyenne de vie active a baissé de plus 7 ans. Dans le même temps, nous avons gagné 8 ans d’espérance de vie et de retraite en plus, et ce n’est pas fini puisque l’on s’attend à un gain d’au moins 4 années d’ici à 2030. C’est dire qu’une femme de 60 ans aurait alors 31 ans d’espérance de vie et un homme 26 ans.

3. Sauf recours massif à une immigration d’actifs, le gouvernement et les partenaires sociaux disposent de trois leviers pour sauver la répartition : augmenter les cotisations, baisser les pensions et allonger la durée de vie active.

Les marges de manoeuvre sont faibles. En effet, les actifs, moins nombreux sur le marché du travail, seront en position de force pour négocier leur salaire net et peu enclin à payer plus pour des générations qui leur ont transmis une dette qui s’élève déjà à 150 000 euros par actif, si l’on tient compte des engagements de l’Etat. En ce qui concerne les pensions, depuis 2003, elles sont indexées sur le coût de la vie et non plus sur les salaires et, chaque année, le pouvoir d’achat des retraités baisse d’un demi-point par rapport à celui des actifs. Il reste à agir sur le troisième levier. Notre pays devra bientôt, comme ses voisins, repousser l’âge moyen de départ à la retraite bien au-delà de 60 ans et se rapprocher progressivement des 70 ans.

4. La retraite par capitalisation est une solution individuelle pour ceux qui peuvent épargner mais ne résout pas le problème collectif. Elle présente par ailleurs des risques pour l’épargnant eu égard à l’évolution des valeurs boursières. C’est aussi une illusion. En effet, la capitalisation, comme la répartition, est d’abord un système de « droits de tirage sur la production future ». La valeur de chaque droit de tirage dépend enfin du nombre de droits distribués.

5. Le débat sur les retraites est focalisé sur la durée de cotisation : il fait du même coup oublier que la plus grande des inégalités réside dans le nombre d’années où l’on va en profiter. Les inégalités face à la mort sont telles que les ouvriers du privé vivent 9 ans de moins que les cadres et les employés du secteur public. Les ouvriers devraient partir plus tôt et toucher plus puisqu’ils en profiteront moins longtemps. Leurs épouses toucheront une faible pension de réversion et auront des droits d’autant plus faibles qu’elles auront eu des enfants et une carrière incomplète (61 % des femmes et 15 % des hommes sont dans ce cas). 40 % des familles très nombreuses (quatre enfants et plus) sont de référence ouvrière. Aucun groupe de pression ne les défend, pas même la CGT.

Inégalités face à la mort

Les inégalités de la répartition en fonction des régimes de retraites (privés, publics, spéciaux, agricole) sont particulièrement criantes.

Le privé, avec plus de la moitié des ayants droit (54 %), ne profite que de moins de la moitié des prestations légales vieillesse et veuvage. Cet écart (6 %) est d’autant plus significatif que cette catégorie représente plus des deux tiers des cotisants.

Les moins bien lotis sont les bénéficiaires du régime vieillesse agricole (19 % des ayants droit mais seulement 8 % des pensions versées), soit autant que les régimes spéciaux qui sont quatre fois moins nombreux.

Le plus inquiétant pour l’avenir étant le régime des fonctionnaires, qui avec 12 % des ayants droit compte pour 31 % des pensions versées. Les fonctionnaires vont partir massivement à la retraite et les montants ne sont pas provisionnés.

La solidarité intergénérationnelle justifie les écarts en proportion entre cotisants et ayants droit : il est normal que les régimes spéciaux, qui ne représentent que 2 % des cotisants pour 5 % des ayants droit, perçoivent plus que 2 % des pensions (en réalité 8 %), mais rien ne justifie de tels écarts entre les bénéficiaires de chaque catégorie. Il est vrai que les artisans ou les paysans d’hier ont moins cotisé que ceux d’aujourd’hui, mais ce n’est généralement plus le cas de leurs enfants.

Puisque ce n’est pas le courage et le bon sens qui dominent dans ce pays, on va réformer les retraites en fonction des rapports de force et au mieux rogner sur les avantages du secteur public en faisant passer l’idée d’un allongement de la durée de cotisations avec un système de retraite à points et à la carte. Ce sera déjà un énorme progrès que d’avoir fait comprendre aux Français qu’ils ont acquis des points par leur travail, mais que la valeur de ces points dépendra de la capacité contributive des générations futures. Cette réforme est inévitable pour sauver la retraite par répartition, sinon on finira par la mettre sous conditions de ressources !

——————————————————————————–

Michel Godet est professeur de prospective industrielle au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), dernier ouvrage paru « Le Courage du bon sens » (Odile Jacob, 2009).

LE MONDE | 12.02.10 |

EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES : Retraite/France : Un hold-up d’État sur les retraites du secteur privé (cliquez sur le lien)

Retraite : Vous avez dit Répartition ? mais les caisses sont vides Monseigneur !!! (cliquez sur le lien)

4 réponses »

  1. 3. Sauf recours massif à une immigration d’actifs, le gouvernement et les partenaires sociaux disposent de trois leviers pour sauver la répartition : augmenter les cotisations, baisser les pensions et allonger la durée de vie active.

    mais non, Mr Godet, c’est d’abord de travail qu’on a besoin, sinon, on n’entrerait pas de plus en plus tard vers 30 ans sur le marché du travail pour en être exclus de plus en plus tôt vers 50 ans ….

Laisser un commentaire