Dans les années 1970, les pouvoirs publics autorisèrent successivement différentes catégories à liquider leur pension à 60 ans en bénéficiant du taux de 50 % normalement réservé aux liquidations réalisées à 65 ans. A cette époque, il était possible de bénéficier de sa pension du régime général à n’importe quel âge à partir de 60 ans, avec un taux dépendant de l’âge : 25 % à 60 ans, 30 % à 61 ans, 50 % à 65 ans, et ainsi de suite jusqu’à 100%, taux plafond obtenu à 75 ans. Le taux de la retraite dépendait exclusivement de l’âge à la liquidation ; la durée d’assurance n’intervenait que dans le calcul du coefficient de proratisation (N/150, où N est le nombre de trimestres validés, avec 1 comme maximum).
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Ce système correspondait grosso modo à la retraite à la carte avec neutralité actuarielle, formule en vigueur dans bon nombre de pays développés ( Etats-Unis, Allemagne, Suède, etc.). Un tel dispositif est respectueux de la liberté de chacun ; équitable (en liquidant plus tôt, on touche sa pension plus longtemps, donc il est logique qu’elle soit moindre, et inversement si l’on retarde son départ) ; et il incite à ne pas trop se presser pour arrêter de travailler, en mettant chacun devant la réalité économique : difficile d’avoir à la fois d’immenses vacances durant son troisième âge, et un revenu suffisant pour en profiter pleinement ; entre le loisir et l’argent, à chacun de faire son arbitrage personnel !
1974: place aux jeunes
A partir de 1974, la belle croissance des « trente Glorieuses » fit place à une croissance molle (environ 2 % par an au lieu de 5 %). Ne réussissant pas à endiguer la montée du chômage, la droite au pouvoir décida de « faire de la place aux jeunes » en subventionnant les préretraites et des retraites à 60 ans. Puis vint l’alternance : la gauche s’orienta dans la même direction, mais en augmentant la dose, en utilisant davantage la contrainte, et en mélangeant durée d’assurance et âge à la liquidation.
– Augmenter la dose, ce fut l’accès à la retraite au taux « plein » de 50 % pour toute personne ayant validé 150 trimestres d’assurance, et la pression mise sur les régimes complémentaires pour qu’ils renoncent dans ce cas aux coefficients dégressifs qu’ils appliquaient jusque là aux liquidations réalisées entre 60 et 65 ans.
– Utiliser la contrainte, ce fut la transformation du taux plein en taux plafond : désormais, impossible d’aller au delà de 50 % en prolongeant son activité. Il en résulta une réaction rationnelle : pourquoi se fatiguer à travailler plus longtemps ? Si l’on a validé 150 trimestres à 60 ou 61 ou 62 ans, et si l’on n’est pas un drogué du travail, on s’arrête là ; ceux qui s’entêtent sont punis : la caisse de retraite se remplit les poches à leurs dépens, comme si elle les mettait à l’amende.
– Le mélange du nombre de trimestres validés et de l’âge à la liquidation se fit au sein de ce que l’on appela plus tard la décote : au lieu de dire comme auparavant « vous partez à 62 ans, vous avez un taux de 35 % », on se mit à compter aussi le nombre de trimestres manquants par rapport à 150 ; s’il ne lui en manquait par exemple que 4, l’assuré social obtenait un taux de 45 % au lieu de 35 %. Ce fut une seconde entorse au principe de la neutralité actuarielle.
1993: allongement de la durée de cotisation
Dix ans plus tard, le gouvernement Balladur, contraint de prendre des mesures de redressement, ne revint pas à des règles saines permettant à chacun de servir l’intérêt général en poursuivant son propre intérêt ; il chaussa sans hésitation les bottes dirigistes de ses prédécesseurs socialistes. La réforme de 1993 aurait pu nous sortir du pétrin où les ordonnances de 1982 nous avaient mis. Las ! elle consolida le statut des 50% comme taux maximal, ainsi que le mécanisme pervers de la décote, en programmant un allongement de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir le taux plein avant 65 ans. Les autres mesures (indexation des pensions sur les prix au lieu des salaires, calcul du salaire de référence sur les 25 meilleures années plutôt que sur dix) eurent une certaine efficacité, mais l’occasion d’opérer un retour salvateur à la retraite à la carte avec neutralité actuarielle fut perdue.
La réforme de 2003 essaya de remettre en place une incitation à travailler au delà de l’obtention du taux plein : ce fut la surcote. Mise en place à un taux insuffisant, elle a été depuis rehaussée à deux reprises. C’est mieux que rien, mais cela n’a pas suffit à changer les mentalités : la leçon apprise en 1983, à savoir que la bonne stratégie, pour chacun en particulier, consiste à partir dès que le « taux plein » est atteint, reste gravée dans les têtes. L’intérêt particulier reste opposé à l’intérêt général. En interdisant aux « carrières longues » de bénéficier d’une subvention autrement qu’en liquidant leur pension avant 60 ans, le législateur a d’ailleurs prouvé que l’esprit de 1982 était encore bien ancré au sommet de l’Etat.
Et maintenant…
La « réforme des régimes spéciaux », en 2007, ayant été de la politique spectacle, comme la plupart des spécialistes ont fini par le dire, la France se retrouve en 2010, en dépit de sa situation démographique nettement moins mauvaise que celle de ses voisins, dans une situation déplorable. Il faudrait revenir à la situation d’il y a trente ans, où la retraite à la carte avec neutralité actuarielle assurait la compatibilité entre l’intérêt particulier et l’intérêt général, et où l’âge de 60 ans était simplement l’âge minimal à partir duquel on pouvait faire liquider sa pension. Mais comment faire ?
Une réforme systémique, avec fusion de l’ensemble des régimes, passage aux points et à la retraite à la carte avec neutralité actuarielle, doterait le système des instruments de pilotage nécessaires pour assurer son équilibre financier tout en permettant à chaque assuré social d’obtenir une pension suffisante pourvu qu’il veuille bien ne pas la percevoir trop tôt. Problème : un tel changement requiert 7 à 10 ans pour être convenablement préparé et réalisé. Alors, que faire en attendant ?
Evoluer déjà dans le bon sens en remplaçant la décote et la surcote, dans les régimes par annuités, par un dispositif analogue à celui qui existait jusqu’en 1982 : possibilité de partir à la retraite à n’importe quel âge, disons entre 50 ans et 80 ans, avec un coefficient actuariel. Il faudrait simplement se décider à utiliser le taux de la retraite à un âge pivot, par exemple 60 ans, comme variable d’ajustement (fixée chaque année au niveau requis pour assurer l’équilibre financier), et faire sauter le plafonnement du coefficient de proratisation, de façon à ce que toute personne validant de nombreux trimestres cesse de se voir privée du bénéfice d’une partie d’entre eux.
Une proposition de ce type devrait logiquement être sérieusement étudiée par ceux qui ont parlé de « tout mettre sur la table, sans aucun tabou ». Mais je ne vous conseille pas de parier gros qu’elle le sera …
Jacques Bichot est l’auteur notamment de Urgence retraite, petit traité de réanimation (Seuil, 2008) et de Retraites, le dictionnaire (à paraître en avril à l’Harmattan)
EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES : Jacques Bichot : « Les Etats constituent une pyramide à la Madoff » (cliquez sur le lien)
Retraite : 2010 risque fort de n’être qu’une réformette » (cliquez sur le lien)
La Révolution ou la Guerre des âges…. (cliquez sur le lien)
http://lumiere101.com/2010/12/13/retraites-sortir-dune-mentalite-criminelle/
Au moment où les marchés financiers nous font savoir par l’augmentation des taux d’intérêt – et des “primes de risque”que ceux-ci cachent – qu’ils ne croient plus à la viabilité des Etats-providence, l’attitude de l’”opinion”, certes conditionnée par leurs soins, est problématique.
Pourquoi voit-on tant de gens incapables de comprendre que le respect du Droit de propriété et des contrats est la seule solution viable, et justifiée, aux problèmes que les “Etats-démons” ont causés comme à ceux qu’ils prétendaient régler sous le masque de la providence ?
François Guillaumat et Georges Lane examinent les deux idées absurdes et persistantes à propos des retraites qui suivent :
1) un système de retraites contractuel dépendrait de la démographie comme la redistribution communiste actuelle dépend de la taille de son cheptel humain,
2) en la matière de la retraite, le passage de l’esclavage à la liberté serait impossible parce que trop coûteux.
Au-delà de l’incompréhension naturelle de gens obsédés par ce qu’ils croient pouvoir calculer alors qu’ils n’ont aucune connaissance rationnelle de la gestion de patrimoine et de l’activité de l’assurance, F.G. et G.L. expliquent que ces gens restent prisonniers des préjugés matérialistes et collectivistes du système communiste actuel, faute d’avoir su tirer les conséquences de ce rappel à l’ordre scientifique que, dans son cours d’économie politique à l’Université de Lausanne, Vilfredo Pareto faisait à la fin du XIXème siècle :
“Il faut se débarrasser du préjugé qui porte à croire qu’un vol n’est plus un vol dès lors qu’il s’exécute dans les formes légales.”
→ Autres émissions sur le sujet :
Le futur des retraites ;
La réforme des retraites et les principes de liberté ;
Retraites (2) : solutions individuelles ou solutions collectives ;
Retraites (1) : de quoi parle-t-on ? ;
La transition vers les retraites du futur ;
Retraites du futur : la capitalisation ;
Futur des retraites et retraites du futur ;
Les retraites, principale plaie de la protection sociale ;
Les “lois de financement” de la sécurité sociale française ;
Sur la sécurité sociale monopoliste française ;
Références :
Vilfredo Pareto : Cours d’économie politique (1896) ;
Georges Lane : La Sécurité sociale et comment s’en sortir ;
L’organisation de la sécurité sociale ;
Georges Lane et Jacques Garello : Futur des retraites, les retraites du futur