Behaviorisme et Finance Comportementale

Finances comportementales : « L’argument du manque de femmes à Lehman Brothers ne tient pas ! »

Selon Barbara Rupf Bee, classée dans le Top 50 des femmes les plus puissantes de l’industrie des hedge funds, la crise n’aurait pas été évitée avec un ratio hommes/femmes différent…

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Head of Global Institutional Sales chez HSBC Global Asset Management, à Londres, Barbara Rupf Bee a débuté dans l’industrie bancaire en 1985, chez JP Morgan et Nomura. Elle a ensuite rejoint Julius Baer, puis Union bancaire privée, avant d’être engagée par HSBC en 2002. Vingt-cinq ans d’expérience en Europe, en Asie et aux Etats-Unis, pour une idée-force : la notion de genre n’existe pas dans le monde de la finance. Classée dans le Top 50 des femmes les plus puissantes de l’industrie des hedge funds, Barbara Rupb Bee explique sa vision sur la place des femmes dans la finance.

Comment avez-vous été amenée à choisir le milieu de la finance ?

A vrai dire, je n’avais pas de plan de carrière. Cela s’est produit naturellement, au fil du temps, de l’évolution de mon intérêt professionnel et de celui des opportunités d’emploi qui m’ont été offertes.

J’aime beaucoup cet environnement en perpétuel changement, la diversité des différentes personnes qui en font partie, le dynamisme du secteur.

 je crois à une égalité systématique en matière de savoir, d’expérience et de compétence, quel que soit l’emploi ! 

 Une étude de Hedge Fund Research indique que les femmes ont beaucoup mieux performé que les hommes cette année dans la gestion de fonds alternatifs. Qu’en pensez-vous ?

Cette étude ne démontre rien, elle ne fait qu’affirmer qu’un certain nombre de gérantes ont réalisé de très bonnes performances. D’une manière générale, je ne pense pas que les femmes font mieux que les hommes ; la vraie réponse se trouve dans chaque individu, et non dans le genre. Evidemment, de grandes différences existent dans la manière dont les hommes et les femmes, en tant qu’individu, travaillent, mais une fois encore je n’attribue pas cela au genre ; cela est davantage lié à l’expérience, au savoir, au savoir-faire individuel.

La finance s’est-elle construite sur un fonctionnement ou un modèle masculin ?

Qu’est-ce qu’un modèle masculin ? Aimer les voitures ? Mais doit-on être un homme pour aimer les voitures ?

 L’argument du manque de femmes à Lehman Brothers ne tient pas ! 

 Une tendance à vouloir dominer son prochain, surtout si c’est une femme ?

Cela ne fait pas partie de mon expérience. A la réflexion, j’ai rencontré autant d’ « alpha females » que d’ « alpha males » dans le contexte professionnel. Peut-être moins de femmes leaders d’un point de vue quantitatif, mais toutes aussi déterminées dès lors qu’elles avaient une opportunité. En ce qui me concerne, je base ma croyance sur le fait que chaque personne – homme ou femme – est égale en termes de chances.

La crise financière se serait-elle produite avec des boards plus féminisés ?

La crise n’aurait pas été évitée avec un ratio hommes/femmes différent ; cette crise a été provoquée par une insuffisance de supervision et de prudence, et je ne pense pas que les choses auraient été différentes avec plus de femmes dans les conseils d’administration. D’ailleurs, pour rebondir sur l’idée « Lehman Sisters », il faut savoir qu’un très grand nombre de femmes travaillent dans le secteur financier aux Etats-Unis : autrement, l’argument du manque de femmes à Lehman Brothers ne tient pas. Cela dit, si on pose la question de l’intelligence émotionnelle impliquée dans l’évaluation du risque, les conclusions peuvent être différentes. Mais l’efficacité de l’intelligence émotionnelle dans la gestion du risque n’a pas encore été prouvée.

Vous avez occupé des postes aux quatres coins du monde. Y a-t-il des différences notables ?

Si l’on jette un coup d’oeil sur l’industrie financière américaine, on trouve beaucoup de femmes leaders, plus en tout cas qu’au Royaume-Uni ou dans les pays européens, où les opportunités n’ont pas beaucoup augmenté. Cela dit, il y a des exceptions à la règle, comme dans les pays nordiques, où existe un haut ratio de femmes dirigeantes. La même proportion peut être vue en Asie (à l’exception du Japon) et en Amérique latine, où les femmes ont plus facilement des responsabilités… Je pense que les tendances sont corrélées à des facteurs géographiques, avec des rôles précis dévolus aux femmes dans certains pays. En Europe, les femmes n’ont pas les mêmes possibilités en raison de facteurs culturels ou sociaux. Tout dépend de l’origine et de l’histoire, mais dans mon cas, il n’y a pas réellement de différence entre un homme et une femme, le plus important étant d’être le mieux adapté possible pour un rôle/emploi défini. C’est la croyance de mes parents, c’est la mienne, et c’est ainsi que je ne me suis jamais sentie désavantagée en tant que femme. Dans le même ordre d’idées, je crois à une égalité systématique en matière de savoir, d’expérience et de compétence, quel que soit l’emploi. On ne doit pas spécifiquement être un homme ou être une femme pour être performant, c’est qui vous êtes en tant qu’individu, et tout ce que vous apportez, qui a de l’importance.

Johann Harscoët,NF le 8 mars 2010 

EN COMPLEMENT

Lehman Sisters

LE MONDE | 06.03.10 |

Cette semaine, pas de chronique d’actualité. Pas de Grèce, qui va mieux financièrement – elle a pu emprunter 5 milliards d’euros sur les marchés au lendemain de l’annonce d’une cure d’austérité sans précédent -, mais beaucoup moins bien socialement : le pays a été paralysé vendredi 5 mars par une série de grèves dans les transports. Avec une interrogation : le malade va-t-il mourir en bonne santé ?

Pas de livre sterling, non plus, qui dégringole à cause de l’incertitude électorale et de l’ampleur des déficits. Le Royaume-Uni sera-t-il la nouvelle Grèce ? A la différence près, notable, qu’il ne pourra guère compter sur l’aide de ses partenaires européens, trop contents, au fond, que Londres paye au prix fort son isolement monétaire et son rejet de l’euro. Trop contents de voir Gordon Brown, présenté comme le grand sauveur du système bancaire à l’automne 2008, aller quémander l’assistance du Fonds monétaire international (FMI).

Non, cette semaine, rien de tout cela. Place aux femmes. L’idée, il faut l’avouer, ne nous est pas venue spontanément à l’esprit, mais d’une suggestion de Sylvie Kauffmann, directrice de la rédaction du Monde : “Ta chronique paraît dans l’édition spéciale Journée des femmes. Qu’est-ce que tu penses du thème : si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, serions-nous dans le même pétrin ?”

On n’en pense pas grand-chose en vérité, mais on sait en revanche très bien qu’une suggestion de “La Kauf” équivaut à une commande ferme. Le Monde sisters.

Donc, les subprimes ont-ils un sexe ? Masculin, cela ne fait aucun doute, en ce qui concerne leurs victimes, ceux à qui la crise a fait prioritairement perdre leur emploi. A savoir des hommes travaillant dans l’industrie. Les femmes, aux jobs souvent plus précaires mais employées dans les services, ont un peu moins souffert. C’est vrai en France, où pour la première fois le taux de chômage masculin, traditionnellement inférieur, a rejoint celui des femmes. Aux Etats-Unis aussi, où depuis le début de la récession la main-d’oeuvre employée masculine a chuté de 8,2 %, celle des femmes de 3,9 %.

Surtout, la crise des subprimes serait celle d’un capitalisme macho, où la soif d’argent et de pouvoir conduit des mâles dominants, ou aspirant à le devenir, à prendre des risques insensés. Pour épater la galerie et les filles.

Les femmes, c’est bien connu, ont une attitude financière autrement plus responsable et sage que les hommes. Les organismes de microcrédit le savent bien, qui, dans les pays émergents, confient l’essentiel de leurs prêts à des femmes, parce qu’elles se montrent plus respectueuses des échéances.

Des sondages confirment d’ailleurs ce caractère sexué du comportement financier. Comme celui réalisé, il y a quelques années, pour le compte des caisses d’épargne qui indiquait que, pour les femmes, 81 % des hommes sont “joueurs” avec l’argent, tandis que 58 % des hommes jugent les femmes “prévoyantes”.

Tout cela, nous disent les scientifiques, est affaire de testostérone. C’est la conclusion d’une enquête conduite par des chercheurs de l’université de Cambridge sur l’influence des hormones mâles dans la prise de risque, conduite auprès de dix-sept traders de la City auxquels on a régulièrement prélevé des échantillons de salive matin et soir. Résultat : les gains les plus élevés, mais aussi les prises de risque les plus importantes, étaient le fait des traders présentant le taux de testostérone les plus hauts (on a observé le même phénomène chez des judokas en compétition).

Une autre étude, menée à l’université de Chicago auprès de 500 étudiants et étudiantes de MBA par les professeurs Luigi Zingales et Paola Sapienza, est arrivée au même constat. L’expérience consistait à offrir le choix entre un gain financier fixe et certain et une récompense supérieure et croissante mais avec prise de risque. Les femmes – qui produisent aussi de la testostérone, mais en bien moindre quantité – présentant des taux d’hormone masculine anormalement élevés prenaient sept fois plus de risques financiers que les étudiantes ayant un taux normal.

A quoi bon, dans ces conditions, se casser la tête à inventer des régulations strictes pour les marchés ? Alors qu’il suffirait, pour éviter de nouvelles crises et empêcher la formation de bulles spéculatives, de n’embaucher dans les salles de marché que des femmes ou des hommes mûrs (après tests hormonaux, par sécurité). De ne recruter que des “tradeuses” et surtout de se débarrasser sur le champ de jeunes “tradeurs” hypertestostéronés.

La règle d’une sagesse financière féminine supérieure apparaît d’autant plus juste et vraie qu’elle souffre quelques exceptions qui viennent la confirmer. C’est une jeune femme, Antigone Loudiadis, Addy pour les intimes, qui, chez Goldman Sachs, au début des années 2000, a conçu l’ingénieux montage ayant permis à son pays natal de maquiller sa dette.

Erin Callan était, quant à elle, directrice financière de Lehman Brothers au moment où la banque courait à sa perte en raison de risques démentiels pris sur les marchés dérivés de crédit. Elle fut débarquée trois mois avant la faillite fatale. Ce qui brisa le rêve de la belle Erin, au look d’héroïne de Sex and the City : l’achat d’un appartement de 220 m2 au 15 Central Park West, dans un des immeubles les plus huppés de New York, habité par la rock star Sting, Sanford Weill, le légendaire président de Citigroup, et Lloyd Blankfein, le patron… de Goldman Sachs ! Pas assez de testostérone pour Miss Callan.

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE :  Finances Comportementales : « Les femmes gèrent mieux leurs investissements que les hommes »  (cliquez sur le lien)

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